Élections municipales

Actualités
par  G. EVRARD
Publication : avril 2014
Mise en ligne : 5 octobre 2014

Et si le vrai changement démocratique pouvait venir de nous, sans attendre qu’un gouvernement en décide et l’institue ? Des expériences ont lieu en ce sens, dont les grands médias se gardent de parler.

Au contraire de Guy Evrard, qui reprend ici quelques points de sa propre contribution à la réflexion au cours de la mise en place d’un projet dans la commune où il habite :

Tout (ou presque !) commença avec des chants de lutte entonnés à belle voix par la chorale des Rouges-Gorges, au cours d’une première réunion publique dévoilant, un soir de janvier dernier, le projet d’une liste de candidatures Front de gauche en vue des élections municipales de mars 2014. Un front de gauche envisagé dans son plein sens d’origine, décidé à combattre toute politique d’inspiration néolibérale.

 Des sources de démocratie à ne pas tarir

Nous sommes dans une commune des Hauts-de-Seine, à l’ouest de Paris, où l’exécutif est résolument à droite depuis 1971. La politique gouvernementale conduite par le PS et ses alliés depuis 2012, qui poursuit celle de ses prédécesseurs aux plans économique et social, trahissant les espérances populaires, n’autorise plus ici une opposition municipale de gauche commune avec la section PS. La décision a donc été prise, après débat, de se lancer dans l’aventure d’une liste Front de gauche. Car il s’agit bien de cela dans une commune qui frôle les 80.000 habitants. Il faut rassembler 49 candidats, à parité de genre, établir un programme avec la volonté de répondre en priorité aux besoins des populations les plus modestes. L’objectif ne peut être de gagner la mairie mais d’y avoir au moins une élue et peut-être deux. Car la tête de liste sera une femme et celle-ci s’emploiera à populariser le programme devant le conseil municipal, en s’appuyant sur tous les citoyens qui auront contribué à le construire et voudront poursuivre l’action au-delà de l’échéance électorale.

 

Photo Guy Evrard

Ce programme [1] résulte en effet d’une multitude de contacts avec la population : ateliers thématiques rassemblant des compétences spécifiques, rencontres au porte-à-porte dans les quartiers populaires et sur les marchés, contacts associatifs, débats de synthèses... Il implique aussi la perspective de faire avancer l’idée que le Front de gauche ouvre d’autres voies que la soumission au néolibéralisme, dont la logique économique de marché, reniant coopération et solidarité au profit d’une concurrence de la jungle, épuise les ressources naturelles, dégrade l’écosystème Terre et se nourrit de l’injustice sociale. Il s’agit donc, plus fondamentalement, de s’inscrire dans un autre avenir.

 Des élections municipales et politiques

Dans notre démocratie représentative, qui tend à montrer ses limites en ne sollicitant le citoyen que le temps d’une campagne électorale, les élections municipales sont celles où la proximité de l’exécutif est pour le moment encore préservée. À défaut de pouvoir récuser l’élu avant la fin de la mandature, si celui-ci n’applique pas le programme annoncé, au moins peut-on l’interpeler publiquement. Même si elle est insuffisante, cette réalité est à défendre car, de plus en plus, la France aux 36.000 communes est montrée du doigt. Sous le prétexte du coût induit par la multiplication des strates administratives, le haut pouvoir économique et politique rêve de couper les ailes à cette démocratie-là et d’éloigner les citoyens des lieux de décision. Qui n’a entendu parler d’une nécessaire gouvernance européenne, voire mondiale ? Concernant plus spécifiquement les affaires communales, les projets de métropolisation autour des grandes villes auront pour conséquence de priver les communes de leur capacité à décider au plus près des citoyens. Au moment où, justement, les citoyens revendiquent d’intervenir plus directement dans tous les domaines qui conditionnent leur existence : aménagement du territoire, habitat, transports, relocalisation de l’économie et des services, santé, culture, école, petite-enfance, vieillesse, sauvegarde des écosystèmes proches...

Il s’agit donc d’un projet de société, c’est-à-dire de la politique. Les citoyens doivent pouvoir participer à l’organisation de leur cadre de vie. Certes, dans les limites de la loi, en principe garante de l’intérêt général. C’est donc autant par rapport au projet global des formations politiques dont se réclament les listes de candidatures, que par rapport aux objectifs locaux, de terrain, que les électeurs doivent se déterminer, en veillant à la cohérence du global au local. Le discrédit dont se sont affublés nombre de nos hommes politiques professionnels devrait en premier lieu inciter les citoyens à reprendre leurs responsabilités et à limiter au strict minimum les délégations de pouvoir qu’ils consentent. La défiance qui peut être ressentie à l’égard des formations politiques devrait inciter également la base à reprendre le pouvoir au sein de celles-ci. C’est donc aux premiers niveaux de l’engagement citoyen qu’il faut attendre l’indispensable renouveau démocratique. La résignation du « tous pourris ! » ne profitant qu’à ceux qui ne veulent surtout rien changer.

Des exemples multiples montrent qu’il est possible, à l’échelle d’une commune, d’activer des solidarités pour aller vers de nouveaux objectifs. Mais pour cela, une réelle mobilisation démocratique est nécessaire. Ainsi, dans de nombreuses villes, il est urgent de retrouver une mixité sociale qui s’est souvent délitée au fil du temps lorsque les élus se sont d’abord efforcés de préserver leur électorat. La politique du logement est le premier levier pour y parvenir, même si, nous le verrons, elle ne peut y suffire à elle-seule.

Le retour à un véritable débat d’idées doit également être au cœur des pratiques démocratiques. Ce n’est pas la pensée dominante qui doit remplir les lieux d’expression, mais l’envie de confronter les points de vue. Il faut donc en finir avec une culture consumériste, et pacifiée. Par exemple, dans la ville dont je suis le témoin, lorsque l’on célèbre à grands frais Napoléon Ier et Napoléon III, les habitants savent-ils que Joséphine de Beauharnais (qui y a son ancienne résidence et son tombeau dans l’église) a poussé son empereur de mari à rétablir l’esclavage aboli une première fois par la Révolution française ? Savent-ils qu’une rue Adolphe Thiers honore le responsable de la répression par les Versaillais des Communards qui avaient défendu Paris contre les Prussiens après que Napoléon III eut perdu la bataille de Sedan ?

 La ville, un tremplin pour le changement

Changer de cap, cela peut donc commencer dans la commune, mais sans oublier de voir loin. Le philosophe André Gorz, disparu en 2007, a consacré des chapitres entiers dans ses ouvrages des années 1960 à la question de la transformation de la ville comme tremplin pour transformer la société [2]. Il note, par exemple, dans Misère du présent, richesse du possible que : « En changeant la ville, nous fournirons un levier au changement de société et au changement de la manière dont les personnes vivent leurs rapports et leur inhérence au monde. La reconstitution d’un monde vécu et vivable suppose des villes polycentriques, intelligibles, où chaque quartier ou voisinage offre une gamme de lieux accessibles à tous, à toute heure, pour les auto-activités, les auto-productions, les auto-apprentissages, les échanges de services et de savoirs ; une profusion de crèches, de jardins publics, de lieux de réunion, de terrains de sport, de gymnases, ateliers, salles de musique, écoles, théâtres, biblio-vidéothèques ; des immeubles d’habitation dotés d’espaces de circulation et de rencontre, de salles de jeux pour enfants, de cuisine-restaurants pour personnes âgées ou handicapées. »

 

Nombreux seront ceux qui hausseront les épaules devant ces “évidences”, qui viennent cependant souligner l’ampleur des réformes à conduire pour que la ville contribue à plus d’égalité et de justice sociales. Nous savons bien qu’il ne faut pas attendre de la culture marchande la satisfaction de tels besoins sociaux, elle est trop occupée à la satisfaction des actionnaires, notamment en grignotant (en avalant) les services publics. Il n’est plus davantage question des politiques paternalistes de quelques riches industries du 19ème siècle. Pourtant, travailler à la mise en évidence de tels objectifs est bien une manière de promouvoir le changement de cap.

 Habitat et mixité sociale

La question du logement était au cœur de la campagne électorale dans bien des communes urbaines, tant elle pèse lorsque la crise économique et sociale touche de plus en plus de nos concitoyens et lorsque la pénurie de logements alimente la spéculation immobilière. S’attacher à répondre aux besoins, c’est en même temps l’opportunité d’agir en faveur de la mixité sociale, pour les conseils municipaux qui en ont le mandat et réellement la volonté. Cette stratégie reste cependant insuffisante et peut être dévoyée si elle n’est pas accompagnée d’autres mesures contrôlant l’évolution à moyen terme des prix des logements (en location ou en accession à la propriété), l’orientation du commerce et des services alentour, et également de multiples initiatives sur le terrain permettant de maintenir ou créer du lien social.

 

La recherche de mixité sociale via l’habitat peut emprunter deux voies :
• Amener les classes moyennes dans les quartiers populaires. C’est la tentative qu’analyse Anne Clerval [3] à Paris, où elle montre que la rénovation de l’habitat et de l’environnement dans d’anciens quartiers ouvriers conduit à une augmentation progressive des prix et repousse les familles les plus modestes vers les banlieues (phénomène dit de « gentrification »).
• Inversement, disperser l’habitat populaire dans les quartiers majoritairement investis par les classes moyennes. Camille Acot [4] met alors en garde contre le risque de perte d’identité des classes populaires avec la disparition du tissu social qui les caractérise.

Nos deux auteurs insistent sur le rôle de l’aménagement de l’espace public et la mise en place d’infrastructures appropriées dans les quartiers, en concertation avec les habitants, comme des ingrédients indispensables à la réussite d’une politique de mixité sociale. Mais ils laissent entendre que c’est surtout l’émancipation des classes populaires qui permettra d’avancer vers une ville qui réponde aux besoins [5].

Sur le sujet, on pourra revoir aussi avec intérêt les récents débats des rencontres Niemeyer [6].

 Jaurès

Jean Jaurès a conservé une place et une école dans notre ville. Nous pouvons lui faire référence, avec humilité mais détermination : « C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source ». En effet, au soir du premier tour, qui voit la liste du maire sortant disposer largement de la majorité absolue, celle du Front de gauche n’obtient que 4,32% des votes et se trouve donc privée d’un représentant au conseil municipal.

C’est avec la reprise de cette citation que s’ouvrait un bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin [7], intitulé Leçon(s), dans un numéro de l’Humanité d’octobre 2011 (dans quel contexte ?). Et l’auteur poursuivait : « Jamais sans doute la phrase de Jaurès ne nous a autant hantés, nous qui, obstinément, avec (soi-disant) la foi des “vaincus de l’histoire”, refusons de croire qu’il est trop tard désormais pour reprendre à sa source le fleuve d’un Devenir qui s’est assez mal épandu ».


[1Programme de la liste « Pour une ville humaine et solidaire », élections municipales 2014 à Rueil-Malmaison.

[2Enzo Lescourt, L’autonomie de l’individu au cœur de l’écologie politique, blog de la Fondation de l’écologie politique, le 24 janvier 2014.
http://www.fondationecolo.org/blog/Gorz-l-autonomie-de-l-individu-au-cour-de-l-ecologie-politique

[3Anne Clerval : « A Paris, le discours sur la mixité sociale a remplacé la lutte des classes », l’Humanité des débats, le 18 octobre 2013. http://www.humanite.fr/societe/anne-clerval-paris-le-discours-sur-la-mixite-socia-551401

[4Camille Acot, Mixité sociale et participation populaire, La Revue du projet, N° 33, janvier 2014. http://projet.pcf.fr/49093

[5Anne Clerval, Aller vers le droit à la ville, ce droit collectif de produire la ville en fonction des besoins, L’Humanité des débats, le 21 février 2014. http://www.humanite.fr/debats/aller-vers-le-droit-la-ville-ce-droit-collectif-de-559680

[7Jean-Emmanuel Ducoin, Leçon(s), Bloc-notes dans l’Humanité, le 7 octobre 2011. http://www.humanite.fr/politique/lecons-481040.


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