Quel monde demain ?
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Publication : février 2016
Mise en ligne : 28 avril 2016
Les contraintes de la transition énergétique posent un gigantesque défi, Jacques Hamon les évoque, avant de conclure qu’elles sont telles que des risques de nouvelles guerres sont à l’horizon :
Le climat et la composition de l’atmosphère terrestre, depuis quelques millénaires, sont particulièrement favorables à l’espèce humaine. Cela résulte d’un fragile équilibre entre l’énergie reçue du Soleil et celle réémise par la Terre vers l’espace. Cet équilibre est modulé par les gaz à effet de serre (GES) d’origine naturelle H2O, CO2, CH4, et NO2 dont une métabolisation spontanée évite l’accumulation.
Les grandes lignes des variations du climat et de la composition de l’atmosphère sont assez bien connues pour les 800.000 dernières années, grâce à l’analyse de carottes glaciaires de l’inlandsis paléoarctique [1], [2]. Ironiquement, c’est la situation au cours de la première moitié du second millénaire de notre ère qui cause le plus de controverses [3], [4].
Depuis quelques décennies, la composition de l’atmosphère terrestre est connue avec une grande précision, tandis que la température moyenne de la Terre est raisonnablement bien mesurée depuis plus d’un siècle. Ces observations montrent une concentration des gaz à effet de serre supérieure à celles connues depuis 800.000 ans, et un accroissement relativement régulier de la température, association décrite comme « la dérive climatique ».
Il est certain que le développement socio-économique, résultant essentiellement de progrès technologiques associés à l’utilisation massive, et croissante, d’énergies fossiles carbonées est la cause de l’augmentation de la concentration des GES, bien au-delà de ce que les mécanismes d’élimination spontanée peuvent détruire.
Dans leur très grande majorité, les spécialistes de ces domaines sont convaincus que la présente dérive climatique découle de la concentration des GES d’origine anthropique (CO2, CH4, N2O) et non de variations spontanées du climat1. Quelques analystes continuent de penser que cette dérive est d’origine naturelle et temporaire [3], [4].
Si on accepte la thèse majoritaire, on doit aussi admettre que la présente dérive climatique, encore de peu d’ampleur, ne peut que s’amplifier si ces émissions anthropiques de GES continuent à leur niveau actuel, ou même s’accroître tant qu’il existe des énergies fossiles carbonées disponibles et des besoins économiques non satisfaits. Cela conduirait à des modifications du climat souvent défavorables aux populations humaines : températures trop élevées, pluviométrie moins bien répartie géographiquement et saisonnièrement, montée durable du niveau de la mer.
Un Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat a été établi en 1988 pour suivre cette évolution et évaluer son futur probable en fonction des émissions de GES. Des réunions annuelles, COP (=Conferences of parties) s’efforcent de définir la manière d’éviter une dérive climatique dangereuse. La COP21, qui vient de se tenir à Paris, a confirmé la décision de limiter l’accroissement de la température atmosphérique à 2° (et même à seulement 1,5° si possible). Presque tous les pays, à cette occasion, ont précisé les actions qu’ils avaient l’intention de d’entreprendre pour contribuer à atteindre cet objectif, mais la coordination internationale requise est restée très vague [5].
Sur le papier, la solution est simple : il suffit de réduire dans un premier temps les émissions anthropiques de GES à ce que la Terre peut spontanément recycler : environ 4 milliards de tec (tonne équivalent carbone) par an [6], puis les réduire encore plus pour compenser les excès passés, l’idéal étant de ne plus en émettre du tout.
Le défi est gigantesque, la croissance économique étant basée à 80% sur la consommation d’énergies fossiles carbonées [6], [7], et près de la moitié de la population du monde vivant dans des conditions humainement inacceptables [8]. Des énergies renouvelables existent [9] mais, parmi les plus vantées, l’éolien et le solaire restent presque entièrement à mettre en place, et le moyen nécessaire pour stocker l’électricité reste à inventer [6], [2] tandis que la biomasse n’a qu’un potentiel très limité [10].
Éliminer les gaspillages s’impose, la priorité allant à la reconfiguration énergétique, et sociale de l’habitat. Non seulement il faudra diminuer drastiquement la consommation énergétique des bâtiments , mais il faudra aussi revoir complètement l’occupation des sols, l’habitat dispersé devenant aussi inacceptable que les mégapoles [11], [12].
Les déplacements, tant des personnes que des marchandises devront être limités à l’essentiel : ils sont presque intégralement basés sur des énergies fossiles carbonées. Ceux qui sont inévitables devront être assurés par une électricité renouvelable ou son dérivé l’hydrogène et de rares biocarburants [13].
L’agriculture moderne est une émettrice notable de GES, et sa productivité dépend d’intrants pétroliers et gaziers. Sa réorientation est inévitable, avec, à la fois, une baisse des rendements et des besoins accrus de main d’œuvre. Trouver la main d’œuvre qualifiée requise pourrait être difficile dans les pays les plus développés.
Un problème rarement évoqué sera celui des pays exportateurs de pétrole et de gaz, dont le niveau de vie et même l’alimentation dépendent majoritairement de ces exportations. En leur absence, découlant de l’abandon des énergies fossiles carbonées, tout ou partie de leurs populations devra s’expatrier pour survivre. Ce sera le cas de dizaines de millions de personnes de la péninsule arabique et d’Afrique du Nord. Où iront-elles ? En Europe ? Les pays les moins développés souhaitent accéder au niveau enviable des pays riches, popularisés par les films, la télévision, internet, qui les rendent sensibles aux pressions. Les grands pays en voie de développement ont les moyens de faire accepter leurs exigences. Les pays développés ne sont pleins de bonne volonté que sous réserve de ne pas affecter leur niveau de vie ; et ils ont encore tellement de pauvres… Idéalement, les émissions de GES par personne devraient passer à moins de 400kg équivalent carbone par an. Cela correspond à une réduction, pour les États-Unis, à 5% de leur niveau présent, à 13 à 14% pour la France et à 10% pour la Chine [6]. Peut-on croire au Père Noël ?
Idéalement aussi, les pays les plus avancés devraient contribuer à financer la transition socio-économique des autres pays en s’engageant eux-mêmes sur la voie d’une décroissance durable [14], dont quelques propositions, d’une faisabilité douteuse, ont été publiées pour la France [15], [16] .
L’avantage de la COP21 c’est que les pays participants ont accepté de se retrouver périodiquement pour comparer leurs performances respectives et, si nécessaire, pour ajuster leurs objectifs nationaux. Tout délai rendrait l’objectif international plus difficile à atteindre, il paraît d’ores et déjà probable que la stabilisation de la dérive climatique se situera sensiblement au-dessus du 2°C retenu, 3° paraissant possible…
Pour des raisons indépendantes de la dérive climatique, les sociétés de l’an 2016 ne sont pas très stables… Les contraintes de la transition énergétique risquant de ne rien arranger, des risques de nouvelles guerres sont à l’horizon [17], [18], [19].
[1] J. Jouzel, Quel climat demain ?, éd. Dunod, Paris, 2015.
[2] S. Huet, Les dessous de la cacophonie climatique, La ville brûle, Paris, 2015.
[3] O. Postel-Vinay, La comédie du climat, éd. J-C Lattés, Paris, 2015.
[4] R. Prud’homme, L’idéologie de réchauffement, L’Artilleur, Paris, 2015.
[5] O. Postel-Vinay, Le ballon crevé, Libération du 13/1/16.
[6] J.-M. Jancovici, Transition énergétique, éd. O.Jacob, Paris, 2013.
[7] T. Caminet et al, Produire plus, polluer moins, l’impossible découpalge, éd. Seuil, Les petits matins, Paris, 2014.
[8] D.Tanuro, L’impossible capitalisme vert, éd. La découverte, Paris, 2012.
[9] J. Hamon, L’indispensable changement, GR 1133, juillet 2012.
[10] H. Bichat et P. Mathis, La biomasse, une énergie d’avenir ?, éd. Quae, Versailles, 2013.
[11] J. Hamon, Énergies fossiles, métaux essentiels : comment s’adapter après l’épuisement des réserves ? éd. Environnement et technique, 293, Paris, 2010.
[12] R. Heinberg, The party is over. Oil, war and the fate of industrial societies, New Society Publishers, Canada, 2003.
[13] J-M Agator et al, Hydrogène, énergie de demain ? éd. Omniscience, Sophia-Antipolis, 2008.
[14] S. Latouche, Le pari de la décroissance, éd. Fayard, parie, 2006.
[15] T. Salomon et al, Manifeste négawatt. Réussir la transition, éd. Actes sud, Arles, 2012.
[16] H. Geli, Le changement climatique, éd. Quae, Versailles, 2015.
[17] M. Rees, Our final century, éd. Arrow books, Londres, 2003.
[18] G. Dyer, Alerte. Changement climatique : la menace de guerre, éd. R.Laffont, Paris, 2009.
[19] Le monde en 2030, vu par la CIA, éd. des Équateurs, Paris, 2013.