États d’âmes d’un lecteur “citoyen de base”

Courrier des lecteurs
par  S. BAGU
Publication : avril 2016
Mise en ligne : 28 avril 2016

La deuxième a été envoyée de Vaulx-en-Velin :

Tueries & représailles.

En 2006 en compagnie de mon ami Azzedine Soltani, nous nous sommes offert un aller-retour Lyon-Paris afin de rencontrer, enfin en chair et en os, M.-L. Duboin. Au cours du repas, je lui ai posé cette question : « Qu’arri­vera-t-il si on ne passe pas en économie distributive ? » Sa réponse fut nette et sans bavure : « ce sera le chaos permanent ! ». Eh bien, 10 ans après, nous y sommes bien dans le chaos, et il n’a pas vraiment cessé depuis l’armistice de 1945, malgré l’aspect trompeur des 30 glorieuses : guerre d’Indochine, guerre d’Algérie, conflits mondiaux, mai 68, montée du chômage de masse à partir de 1975, implosion de la Yougoslavie, pillages et pollutions des pays africains, apartheid, attentats de New-York, de Madrid, de Londres, de Tunis, de Paris, émeutes dans les banlieues, et toutes les atrocités que ma mémoire défaillante oublie.

Franchement j’ai pensé qu’une ère nouvelle allait sortir des décom­bres du World Trade Center. Mais hélas, quelques jours après, j’ai déchanté en voyant la reprise des cours de la Bourse à Wall Street.

Et j’ai été encore plus désolé en voyant Bush envahir l’Iraq et l’Afgha­nistan pour le désastre que l’on sait aujourd’hui.

Alors, elle est où la mondialisation heureuse qu’on­ nous promettait ?

Je ne vais pas parler ici de mon sentiment à propos des tueries de Paris ou des représailles engagées par le gouvernement, car c’est exactement le même que celui exprimé par M.L.Duboin dans La Grande Relève.

Les régionales.

Normalement, pour les régionales comme pour les municipales, on devrait pouvoir voter sans complexe pour quelqu’un qui n’est pas spécialement de notre sensibilité politique, du moment que sur le plan local, il fait bien son boulot. Mais les politiciens et la doxa médiatique ont pris l’habitude néfaste, depuis plusieurs décennies, de transformer ces consultations locales comme baromètre des forces politiques et d’en faire un test national.

Hollande, Valls, Macron forment un triumvirat néfaste et dangereux pour le pays ; malgré les avertissements des frondeurs du PS (en réalité des socialistes clairvoyants), ce trio a tellement déçu l’électorat de gauche que celui-ci s’est jeté comme un seul homme, ou presque, dans les bras de la famille Le Pen ou dans ceux de la droite radicalisée (la droite sans complexe, disent les bellâtres des JT)

Ainsi en Rhône-Alpes-Auvergne, c’est Laurent Vauquiez qui est élu avec le soutien de voix du FN. Pour se faire remarquer, il se balade avec une parka toute rouge, aussi ringarde que les idées qu’il préconise. « Plus de travail et moins d’assistanat » il a dit le monsieur qui n’aime pas les métiers saltimbanques comme le cirque et les théâtres de marionnettes. Je pense que notre Guignol lyonnais saura trouver d’ardents défenseurs dans la population.

Car Vauquiez a annoncé une baisse considérable des subventions accordées aux associations ; à Vaulx-en-Velin le réseau associatif est très dense et les premières concernées par cette baisse budgétaire seront sans doute celles à but humanitaire.

Malgré ce résultat accablant, le triumvirat veut continuer la même politique libérale et, d’après les experts qui squattent l’émission “C’dans l’air”, Hollande veut ainsi foutre la zizanie à droite afin de se retrouver, au deuxième tour, en face de Marine Le Pen, et être réélu en tablant sur un sursaut républicain des citoyens de tous bords pour faire barrage au FN. D’ici là, le mécontentement sera tel que les rangs de la famille Le Pen vont grossir et rien ne dit qu’il y aura cette fois-ci, comme au deuxième tour de 2002, un tel sursaut citoyen.

D’après les journaleux, comme on voit arriver dans tous les groupes politiques des jeunes de moins de 40 ans, c’est la preuve que tout le monde souhaite un renouveau de la politique, qu’ils vont amener un sang neuf, un nouveau souffle et patati et patata. Mais comme ils reprennent les mêmes idées sclérosées que leurs aînés, on peut se demander ce que ces jeunes politiciens peuvent insuffler de neuf !

Dans les années 80, on nous avait déjà raconté qu’avec les jeunes loups, Madelin, Léotard, Deved­jian d’un côté, Dray, Monte­bourg, Peillon, de l’autre, etc. on allait voir ce qu’on allait voir. En fait, beaucoup de tapage, des résultats désastreux et un chômage endémique.

Des journalistes honnêtes di­raient qu’il faut un changement d’économie, pas des changements de têtes.

Mais ça, c’est une autre histoire.

La COP 21.

Malgré un accord final, c’est vraiment du n’importe quoi. D’abord, contrairement à ce qui était initialement prévu, et si j’ai bien compris, il n’y aura aucune autorité supranationale pour contrôler les engagements des 195 pays concernés. Il paraît que c’est trop compliqué à mettre en place… alors que contrôler les déplacements des citoyens pour savoir ce qu’ils font minute par minute, ça ne pose aucun souci au Moloch capitaliste ! Donc il faudra se fier à la bonne foi des multinationales qui se sont engagées pour polluer un peu moins ! Ce serait à mourir de rire si ce n’était pas si grave !

La protection de l’environnement demanderait l’abandon des comportements mercantiles et une production raisonnée, ce qui est incompatible avec le capitalisme mondial qui veut toujours plus de croissance (“créatrice d’emplois” croient les benêts) et plus de dividendes pour les actionnaires. Une preuve récente : la décision d’autoriser, durant encore 6 années, une entreprise à déverser des produits extrêmement toxiques dans la Méditerranée du côté de La Ciotat, vient d’être prise, face au chantage au chômage !

De toute façon l’adoration du Veau d’Or conduit toujours le troupeau. Paraphrasant Descar­tes, disons que c’est « je consomme donc je suis ! ». Publicités outrancières dans les médias, par téléphone, par internet et sur les routes, salaires mirobolants des footeux et d’autres sportifs de haut niveau (tous dopés, c’est ma conviction, et servant de supports publicitaires), hystéries collectives au moment des soldes (les gens s’étriperaient pour entrer les premiers dans un magasin), odieux et cyniques messages des banques en ligne, cotations en Bourse et jusqu’au scandaleux Paris-Dakar, tout est devenu marchandise  !

Ce n’est pas dans ces conditions que la planète va devenir un lieu convivial, respectueux de la faune et de la flore ! Trop de citoyens n’ont pas encore compris que l’humanité n’est pas une exception dans la nature qui serait à son service, mais qu’elle en est une partie intégrante… Quand on voit que les sponsors de la COP 21 étaient les mêmes que ceux des documentaires commerciaux de Yann Arthus Bertrand, on peut se poser des questions sur la sincérité de leur engagement pour le climat et l’environnement !

J’apprends que les opposants à Notre-Dame des Landes sont, à l’heure où j’écris, dispersés par les flics, voilà qui en dit long sur l’hypocrisie de Hollande et consorts.

Paris candidate aux JO 2024.

On n’a pas fini d’en entendre parler jusqu’à la décision finale. Des spots ont déjà fait leur apparition avec des sportifs aux biscotos surgonflés se félicitant de cette décision. Et tous les médias d’y aller de leurs petits couplets : prestige de Paris et de la France, Paris centre du monde, fierté nationale, créations d’emplois, retombées post-olympiques, et patati et patata. Alors si par malheur Paris est désignée, on devine l’hystérie médiatique. Je vois déjà en pleine page de la Une de L’Équipe, la tour Eiffel avec un lumineux slogan : Paris 2024 ! Et Télé­matin abrutir le citoyen lamda en lui rappelant l’événement tous les jours, depuis l’annonce de la décision jusqu’à la fin des JO, et encore après, pour le bilan.

Présidentielles 2017.

La ligne de départ est déjà bien garnie. À gauche, à droite et aux extrêmes, toujours les mêmes avec leurs litanies habituelles ; les lecteurs de la GR savent pertinemment qu’il ne faut rien espérer de ce côté-là. À la gauche des socialistes, personne n’a réussi à faire éclore un mouvement contestataire et dynamique comme Podemos en Espagne malgré une pauvreté et une précarisation en hausse constante. Le peuple me semble anesthésié. Les syndicats se sont discrédités dans la lutte entre le peuple et l’oligarchie capitaliste dominante à cause de leur vision passéiste, avec toujours ce même schéma : salaires, prix, profits, emplois, au lieu de s’engager dans la déconnexion entre salaire et temps de travail, et, grâce à une monnaie de consommation, avoir accés à un revenu social suffisant pour être autonome. C’est encore pour eux pure illusion…

J’ai lu et relu l’article de Guy Evrard De l’auberge libérale à l’auberge espagnole, dans la GR 1154 de juin 2014. Il est vrai que beaucoup de revues font, peu ou prou, les mêmes critiques que nous, et je sais bien que si je fais lire la GR à un abonné de Politis, de L’Humanité Dimanche, de Fakir, de Siné Mensuel etc, notre point de vue sera accueilli favorablement et vice versa. Mais comme à ces revues, l’accès aux grands médias nous est interdit. Alors ma question est : « Comment faire lire La Grande Relève à un supporter de foot ?