Faut-il pavoiser ?
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Publication : février 2016
Mise en ligne : 26 avril 2016
L’emploi rémunérateur est en train de fondre comme neige au soleil… du numérique. C’est pour cette raison que l’idée d’un revenu garanti fait son chemin, et à toute allure. Faut-il se réjouir en pensant qu’enfin cela signifie qu’on va vers nos propositions d’une économie raisonnée, démocratiquement orientée pour mettre les moyens modernes au service de tous, supprimant ainsi la misère et l’accaparement des richesses par une minorité et empêchant ces excès qui compromettent l’avenir ?
On peut être incité à le croire, tant la solidarité est mise en avant par ceux qui présentent et défendent les mesures qui vont vers le “revenu de base”. Mais pourquoi les responsables du monde seraient-ils subitement devenus soucieux des pauvres ? — La réponse apparaît dans cette entrée de Hubo au forum de Davos. Quand on annonce 200 millions de chômeurs, il est évident qu’on ne peut plus se permettre de les envoyer à un vague “pôle emploi”, en leur répétant qu’ils doivent gagner leur vie à la sueur de leur front ! Quand on a compris qu’il n’est plus possible d’espérer que des emplois salariés vont permettre à ces centaines de millions de gens de survivre, il faut soit les condamner à mort, soit accepter qu’un revenu puisse être versé sans contrepartie d’un travail.
L’idée, qui n’est pas neuve, c’est celle des diverses allocations, réapparaît avec des variantes selon les pays. C’est en Espagne qu’elle a le plus avancé, J-P Mon, qui suit de près son évolution, l’évoque souvent dans nos colonnes. Ailleurs, l’association BIEN a fait le point ce 9 février :
•En Irlande il est promis 188 euros par semaine à tout citoyen.
•En Finlande, une enquête, menée en décembre dernier, a révélé qu’une proposition en ce sens, présentée par les Verts et la gauche, et qui avait été soutenue longtemps par 70% de la population, l’était encore par plus de la moitié des citoyens.
•En France, le 11 janvier, Delphine Batho a demandé à ses collègues de l’Assemblée Nationale d’ouvrir une enquête sur la faisabilité d’un revenu de base versé à tous, une agence gouvernementale a proposé de faire un test à ce sujet, et le ministre de l’économie se serait dit « ouvert » à cette idée.
•Au Royaume-Uni, le 20 janvier, la députée Caroline Lucas, en présentant « ces raisons simples pour lesquelles un revenu de base pour tous pourrait transformer notre société pour le meilleur », a demandé au Parlement qu’une enquête soit menée sur les différents modèles possibles.
• En Australie, le 21 janvier, une nouvelle association pour un revenu de base a tenu sa première réunion à Sydney.
• Au Canada, Elisabeth May, à la tête du parti des verts, écrivait récemment dans le journal Huffington Post : « Le versement à tous d’un revenu de base mettra fin à la pauvreté et économisera de l’argent », son parti se félicite d’apprendre que les nouveaux démocrates du Saskatchewan ont changé d’avis et soutiennent maintenant cette proposition ; notre correspondante à Montréal nous a signalé la publication, ce 5 février, dans le journal de Québec Le Soleil, d’un article annonçant que le Premier ministre « envisage sérieusement l’implantation d’un système de revenu garanti au Québec », ce qu’il a commenté en ces termes : « On lit, on regarde ce qui se fait dans d’autres pays… Il y a deux pays actuellement qui ont annoncé leur intention d’aller de l’avant, dont la Finlande. Il y a quelque chose qui m’attire dans ce concept… D’un côté, la simplification de l’État, de l’autre, le maintien de la dignité des gens. Je crois qu’il y a une combinaison qui est extrêmement intéressante ».
•Au Danemark, la banque Saxo prédit que l’Europe va envisager le revenu garanti en 2016.
•En Suisse, une enquête a montré qu’avec ce revenu assuré « seulement 2% de la population cesserait de travailler ».
•Aux États-Unis une expérience est en cours, mais pas d’un revenu pour tous, une initiative de “crowdfunding” (financement participatif qui, le 15 janvier, avait récolté 15.000 dollars) se propose de verser un revenu, pendant un certain temps, à des personnes désignées par tirage au sort parmi les candidats déclarés ; ses promoteurs ont mené une enquête pour savoir en quoi ce revenu modifierait la vie des gagnants : ils s’investiraient dans leur travail, poursuivraient leurs études, paieraient leurs dettes, voyageraient, se consacreraient à un projet artistique, seraient moins stressés et pourraient passer plus de temps en famille ; un “éminent” syndicaliste, Andy Stern vient de publier un livre qui explique (je traduis) : « comment un revenu universel de base peut rénover notre économie et reconstruire le rêve américain ».
Concluons que la disparition de l’emploi salarié, du métier dans lequel on pouvait acquérir de l’expérience en se sentant utile et apprécié, qui permettait de bâtir sa vie sur des projets à long terme, est un fait mondial aujourd’hui reconnu. Qu’au point de vue social, l’assurance d’un revenu est une nécessité, dont les bienfaits attendus sont évidents. Mais que son financement, qui ne peut être que par REdistribution dans le système actuel, est loin d’être trouvé.
Il n’y a donc, à ce jour, que la Suisse, avec son initiative de monnaie pleine, évoquée ci-dessus dans le Fil des jours, qui semble avoir trouvé la voie du financement public et sûr, de ce revenu si nécessaire : par une véritable distribution.