Un petit enfant comprendrait...
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Publication : 16 novembre 1935
Mise en ligne : 9 octobre 2006
Nous avons le plaisir de donner ci-après quelques bonnes feuilles du livre de nos amis Jove et Jean Nocher « Révolutionnaires, où allez-vous ? » [1], qui parait cette semaine en librairie.
Si on mettait sous les yeux d’un enfant une grande image de la terre, avec ses richesses naturelles les champs de blé, les puits de mines, les arbres fruitiers, les sources d’énergie, les villes et les campagnes, les fleuves qui se promènent et le ciel qui happe les oiseaux mécaniques ; si on peuplait soudain ce tableau de pantins humains traçant des frontières par-ci, des fortifications par-là, semant des usines, construisant des silos géants où les moissons s’entassent, des chais où le vin prend du corps en attendant le gourmet, des magasins plantureux où les machines, le sucre, le charbon, les laines, le beurre et les bonnets de coton attendent qu’on les prenne à pleines mains ; si on montrait ensuite au petit enfant les longues files de chômeurs qui attendent leur bon de famine, toutes les mères qui s’arrachent les cheveux pour équilibrer leur budget, tous les gosses rachitiques qui ont soif de lait ; pendant que le gouvernement fait abattre « 150.000 vaches prises parmi les meilleures laitières » ; si on lui faisait voir, enfin, le petit ruban de papier qui, volant de l’usine à la banque, de la banque à la bourse, de la bourse aux krachs, coince les machines, ligote le consommateur, stérilise le producteur, obstrue les échanges et ne se roule plus que dans la poche de quelques fauteurs de speculation ; - si on mettait toute cette carte de tremblement de terre sous les yeux du petit enfant, il ferait à coup sûr cette déclaration qui ne serait ; d’ailleurs pas reproduite par la grande presse : « Je ne comprends pas pourquoi les gens meurent de faim au milieu de toutes ces bonnes choses ; ni pourquoi ils veulent s’entretuer au moment où ils pourraient si bien vivre ; ni enfin pourquoi tous ces épiciers, tous ces ronds-de-cuir, tous ces petits épargnants, s’arrachent des bouts de papier fantôme au lieu de s’approprier des richesses très réelles, dont ils ne s’occupent que pour les détruire. Car enfin, le papier ne nourrit pas... »
L’argent nous cache les véritables richesses
Il est fâcheux qu’au lieu de toutes leurs expériences de misère, de guerre et d’esclavage, nos maîtres n’aient pas ce clair regard de l’enfant. C’est que l’argent a fini par cacher les véritables richesses : ce moyen d’échange est devenu un but se suffisant à lui-même et s’est élevé comme un mur entre la production et la consommation. « Grands » financiers et petits épargnants confondent, sans même s’en apercevoir, le symbole et la chose, le miroir avec ce qu’il reflète.
Il est symptomatique de constater que de l’expérience mussolinienne au « Bain trust » en passant par les expédients du docteur Schacht, tous les « réformateurs » de ce temps ont pratiqué avec obstination ce grandiose sophisme : croire qu’on peut changer le rythme de production et de répartition des richesses en accroissant le nombre des signes monétaires, qui se dévaluent précisément dans la même proportion qu’augmente leur masse. Si bien que le pouvoir d’achat serait resté le même.., si le progrès technique, envahissant le marché du travail, n’avait dans le même temps continué à priver l’homme de son gagne-pain. »
[1] Un volume paru aux Editions Fustier. En vente à la Ligue pour le Droit au Travail. Prix 5 francs.