À contre courant


par  R. POQUET
Publication : juin 2001
Mise en ligne : 30 septembre 2008

Dans les deux précédents numéros sous le titre Qu’est-ce que l’argent ?, Roland Poquer a tiré parti des réflexions du plasticien allemand Joseph Beuys pour rappeler les principes fondamentaux sur lesquels repose l’Économie distributive et, partant de là, pour évoquer l’affirmation progressive d’un “troisième courant” porteur de perspectives à venir. Il précise ici sa pensée :

Face à l’opinion, trois grands courants de pensée et d’action s’affrontent en ce début de XXIe siècle.

1 – Le courant libéral et ultra-libéral dont le langage et les actes ont gagné en assurance, et même en condescendance, depuis l’effondrement du bloc soviétique. « Soyons réalistes », répètent à l’envi les défenseurs - et les profiteurs - de ce courant : la misère et le chômage ne seront vaincus qu’au prix d’un taux de croissance annuel positif dans les pays émergents mais aussi dans les pays supérieurement équipés ; dans cette perspective, un seul mot d’ordre : privatisons les entreprises, tordons le cou au secteur public et libéralisons au maximum les échanges commerciaux mondiaux. La croissance ne peut être stoppée sans créer de graves désordres dans les domaines de l’emploi et des revenus. Toute tentative de changement de cap serait suicidaire.

Bien entendu, aucune réflexion n’est menée sur les conséquences pour l’humanité d’un taux de croissance indéfiniment augmenté et tout juste quelques pleurs, vite séchés, sont versés sur l’écart sans cesse grandissant entre riches et pauvres. – trois à quatre millions en France - , sur une petite paysannerie au bord du suicide et sur une exploitation de plus en plus pernicieuse du travail et de l’emploi.

2 – Le courant socio-démocrate relève, pour sa part, d’une tradition européenne bien établie et rassemble, dans chaque pays concerné, une part non négligeable de responsables politiques et d’acteurs sociaux. Pour les adeptes de ce courant, le capitalisme va de soi et l’action quotidienne aura pour but de le rendre le plus acceptable possible en corrigeant, de ci de là, un certain nombre d’inégalités, tout en laissant espérer un mieux-être progressif. Ce courant est porté par l’essentiel des forces dites de gauche. C’est à ce courant que la majorité des Français font confiance actuellement.

3 – Le troisième courant, quant à lui, est beaucoup plus complexe à définir que les deux précédents. On y touve tous ceux qui partagent la même indignation à l’encontre des méfaits de l’ultra-libéralisme et de la mondialisation. Citons pêle-mêle : un certain nombre d’associations non gouvernementales (ONG) qui ont acquis une dimension internationale, des partis se situant à gauche de l’échiquier politique, des écologistes de progrès pareillement soucieux de l’homme et de la nature, des intervenants dans différentes publications (Le Monde diplomatique et Transversale Science/Culture notamment), des militants d’Attac, des associations et mouvements de citoyens et, à l’occasion, de revendications précises, tous ceux qui dynamisent des secteurs ayant à souffrir du désintérêt des responsables politiques ou du mépris des instances politiques et financières : agriculture, urbanisme, recherche, santé, justice, art et culture, loisir, éducation, formation,… sans oublier des salariés et des consommateurs alliés pour la circonstance (Danone, LU, …). Tout ce monde tire son énergie de la conviction qu’un changement en profondeur est possible et que toute action susceptible d’accélérer ce changement est à mener avec la plus grande vigueur. Cependant l’échec d’un capitalisme d’État en Union soviétique rend prudents les plus pugnaces et provoque le rejet de tout projet “clé en mains”. Aussi est-il hors de propos, pour l’instant du moins, de remettre en question les lois économiques et financières qui nous régissent pour la simple raison que l’économie de marché – totalement absorbée par l’économie financière – possède une incomparable « qualité de réactivité et de souplesse » et que « le marché a aussi ses vertus ».

Par conséquent, concluent les acteurs de ce troisième courant, menons des actions citoyennes de plus en plus nombreuses (Seattle, Prague, Nice, Porto Alegre…), si possible avec la complicité de responsables politiques et syndicaux, car « c’est l’action de quelques uns qui fera basculer l’histoire ».

La tentation est grande, même si la prudence s’impose en ce domaine, de supputer les chances à venir de chacun de ces trois courants.

1 – Dans la seconde moitié du XXème siècle, le capitalisme est parvenu à surmonter ses multiples crises de croissance - ou de dégénérescence comme on voudra – en dépassant le cap de la satisfaction des besoins élémentaires par une surexcitation des désirs qui sommeillent en chaque individu : c’est ainsi qu’il a réussi, avec un sens de l’opportunité diabolique, à faire triompher la production du superflu, voire de l’inutile, repoussant à l’infini les possibilités de production et de consommation à l’échelle de la planète. Dans le même temps, et en raison de l’apparition conjointe des transactions financières en temps réel et de la dérégulation des capitaux, l’énorme spéculation dont font l’objet les monnaies a provoqué le dépassement de l’économie de marché par l’économie financière. Force objective s’il en est, le capitalisme connaît aujourd’hui une période triomphaliste sans précédent, accumulant pêle-mêle trésors et malversations. Ne pas le remettre en question dans ses principes fondamentaux revient à prédire pour l’humanité un avenir incertain et dangereux en raison de l’inaptitude de ce système à réduire les inégalités et à œuvrer au plein épanouissement de la personne humaine.

2 – Tant que le grand frère capitaliste se développera en force, sinon en sagesse, la social démocratie, qui représente le courant moyen, aura de beaux jours devant elle, mais les résultats de son action resteront toujours limités, en raison de son souci constant de ménager la chèvre et le chou et, parfois, de vouloir marier la carpe et le lapin : sa démarche hésitante à l’encontre des privatisations de larges secteurs publics est exemplaire à ce sujet.

3 – En raison, sans doute, des pouvoirs de plus en plus faibles détenus par le second courant, se développent et agissent des forces nouvelles. Relativement récentes pour la plupart, elles alimentent un contre-courant de plus en plus efficace : animé par des personnes de qualité dont l’ambition vise rien moins qu’à infléchir le cours de l’humanité, ce contre-courant est porteur de toutes les espérances, à l’image de ces écrivains, économistes et philosophes qui, au siècle des Lumières, faisaient le lit de la révolution française et ouvraient les portes toutes grandes à l’essor de l’économie de marché et de l’économie capitaliste (cette judicieuse distinction appartient à l’historien Fernand Braudel). Un peu plus de deux siècles après, ce courant à large assise citoyenne donne de la voix, non plus au sein d’une nation mais à l’échelle mondiale cette fois, car les enjeux débordent le cadre d’un seul pays. Bien sûr, la cohésion n’est pas encore établie entre les différentes composantes de ce courant car la plupart d’entre elles viennent tout juste de naître, mais chacun d’entre nous, en fonction de sa sensibilité, est tenu de collaborer activement aux multiples actions entreprises dans le but de faire échec aux dérives financières de l’économie ultra-libérale et d’élaborer progressivement un projet visant au dépassement des lois économiques et financières qui nous régissent.

En tant que distributistes, nous sommes persuadés que nous pouvons jouer un rôle dans cette démarche à contre-courant. Aussi serons-nous amenés, dans un prochain article, à examiner en quoi les mesures fondamentales qui structurent l’Économie distributive peuvent offrir des pistes de réflexion et de recherche.


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