Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Publication : juillet 2013
Mise en ligne : 12 octobre 2013

 Allemagne

Décidément Le Monde a toujours la même manie : donner en première page un titre idiot et généralement trompeur. Ainsi titre-t-il dans son numéro du 25 juin Merkel pille les idées des sociaux–démocrates : salaire minimum, plafonnement de la hausse des loyers, aménagement des routes. « À trois mois des élections, Angela Merkel reprend les propositions de la gauche pour conforter son avance et remporter les élections ». Ce ne sera pas la première fois. Et s’il le faut pour assurer son succès, Merkel s’alliera même à la “Gauche” ! L’auteur de l’article du Monde semble avoir oublié que la “Grande coalition” a plusieurs fois rassemblé la CDU (Union démocrate chrétienne)/CSU (Union chrétienne sociale) et le SPD (Parti social démocrate) au niveau fédéral comme au niveau des Länder. Ce fut notamment le cas au niveau fédéral de 1966 à 1969 avec Kiesinger (CDU) comme chef d’un gouvernement dans lequel figurait Willy Brand (SPD), et plus récemment, de 2005 à 2009, avec le premier cabinet Merkel (déjà !) où Franz Müntefering (SPD) occupait le poste de vice-chancelier et de ministre du travail et des affaires sociales. Sur ce point, rappelons que l’arrivée au pouvoir du CDU/CSU à la suite des élections anticipées de novembre 2005 ne fut acquise qu’à une très faible majorité. Le gouvernement SPD, dirigé par le chancelier Schröder, venait de faire adopter la loi Hartz IV qui constituait la quatrième étape de sa “réforme” du marché du travail, en chantier depuis 2003. (Entre autres régressions sociales, cette loi fait passer de 32 à 12 mois le versement des indemnités de chômage, réduit ces indemnités pour les chômeurs de longue durée qui refusent d’accepter des emplois en-dessous de leur qualification et autorise des embauches à des salaires inférieurs à ceux prévus dans les conventions collectives et même des salaires à 1€ de l’heure !). C’est grâce à ces mesures aussitôt mises en œuvre par la CDU, que nos journalistes s’extasient aujourd’hui sur le faible taux de chômage allemand (qui ne prend évidemment pas en compte les exclus de l’emploi normal). Bref, le SPD avait fait le sale boulot pour la CDU. Il ne faudrait donc pas s’étonner d’un nouveau mariage de la carpe et du lapin avec toujours pour objectif assurer définitivement la prédominance de l’économie néo-libérale dans toute l’Europe.

 Royaume-Uni

L’austérité y est toujours de rigueur [1] (si je puis dire…). Le plan de quatre ans, lancé par le Premier ministre David Cameron après son élection en mai 2010, prévoyait de sévères coupes budgétaires, ministère par ministère, afin de faire passer le déficit budgétaire de 11% à 1% du PIB en 2015-2016. Cet objectif étant loin d’être atteint, Cameron a décidé de prolonger son plan d’austérité de trois ans, c’est-à-dire jusqu’en 2017-2018. Les prochaines élections doivent avoir lieu en 2015 mais les partis de la coalition au pouvoir, n’ayant pas pu se mettre d’accord sur les coupes à effectuer, ont décidé que les nouvelles mesures d’économie ne concerneraient que l’année 2015-2016. Ces coupes budgétaires devraient, selon le Chancelier de l’Échiquier, s’élever à 13,6 milliards d’euros. Ce qui correspondrait à une baisse de 2,3% du total des crédits. Il semble cependant que les deux principaux budgets de l’État, la santé et les allocations sociales, ne devraient pratiquement pas être touchés. L’échec du plan initial tient à la faiblesse de l’économie, qui stagne depuis 2011, étouffée par l’austérité et la crise de la zone euro. Ce qui a pour effet de figer les rentrées fiscales et d’augmenter le montant des aides sociales. Résultat : malgré l’austérité, les dépenses de l’État progressent chaque année. C’est tout à fait l’inverse du but initialement recherché. Alors, pourquoi continue-t-on ?

 La vraie question

C’est celle que se pose Paul Krugman [2] dans une de ses récentes chroniques [3] intitulée La solution du un pour cent. Il constate tout d’abord que la doctrine des “pro-austérité” a implosé, car non seulement leurs prévisions se révèlent totalement fausses, en Europe comme aux États-Unis, mais en plus les recherches universitaires sur lesquelles ils s’appuient sont pleines d’erreurs, d’omissions ou de statistiques douteuses [4] . Ce qui soulève deux autres grandes questions : d’abord pourquoi la “théorie” de l’austérité a-t-elle acquis une telle influence ? Ensuite, est-ce que les gouvernements vont adopter d’autres mesures économiques, maintenant que les affirmations péremptoires des pro-austérité ont été démenties par les faits et ne sont plus que des sujets de plaisanteries pour les humoristes ?

Pourtant les politiques d’austérité conservent tout leur pouvoir dans l’opinion des “élites”. Krugman pense que la réponse tient en partie au fait qu’il existe un désir très répandu de considérer l’économie comme une pièce morale, d’en faire un conte des excès et de leurs conséquences. Ainsi raconte-t-on que nous avons vécu au-dessus de nos moyens, et qu’aujourd’hui nous en payons inévitablement le prix. Même si de nombreux économistes expliquent, jusqu’à en avoir la nausée, que cela est faux, que la raison pour laquelle nous connaissons un chômage de masse n’est pas que nous dépensions trop dans le passé, mais bien que nous ne dépensons pas suffisamment aujourd’hui. Qu’importe, beaucoup de gens pensent viscéralement que nous avons pêché et que nous devons trouver la rédemption à travers la souffrance ! Ni les arguments économiques, ni le fait que ceux qui souffrent aujourd’hui ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui ont fauté lors des années de la bulle, ne font la moindre différence.

Mais ce n’est pas simplement une histoire d’émotion opposée à la logique, c’est aussi une question de classes sociales et d’inégalités.


[1www.lemonde.fr/ ` 26/06/2013.

[2Prix “Nobel” d’économie 2008, professeur à l’université de Princeton.

[3The New York Times, 27/04/2013.

[4Nous reviendrons sur ce point dans un prochain numéro.


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