Méfaits de l’abondance
L’Europe produit six millions de litres de lait “en trop”. Pour aider les éleveurs qui ne gagnent pas assez de la vente de leur production, les ministres de l’agriculture de l’Union Européenne ont décidé de leur allouer 500 millions d’euros. Mais, nous explique le Canard Enchaîné du 16 septembre, si l’Europe produit de plus en plus de lait, c’est surtout parce qu’on gave les vaches avec du maïs au lieu, tout simplement de leur laisser brouter de herbe. « Nos 3,7 millions de laitières ont droit à un menu composé en moyenne de 25% de maïs, voire de 60% pour les usines sur pattes du Grand Ouest. D’après les experts, ce supercarburant permettrait de presque doubler la production de lait. Et d’atteindre les 8.000 litres par an ! Une vraie potion magique ». Pas aussi magique qu’on le prétend, car le lait des vaches nourries au maïs n’est pas très bon pour la santé parce qu’il contient trop d’omégas 6 dont l’excès favorise le développement de cancers et de maladies cardio-vasculaires. Par contre, les vaches qui broutent de l’herbe, et qui polluent moins parce qu’elles dégagent moins de méthane, donnent un lait très riche en omégas 3 qui ont des vertus protectrices. En plus, le coût moyen de production de lait décroît lorsque la proportion d’herbe pâturée augmente : un éleveur dégage plus de marge brute avec deux vaches élevées à l’herbe donnant 4.000 litres de lait chacune qu’avec une seule vache au maïs donnant 8.000 litres… Alors pourquoi les vaches laitières ne broutent-elles pas ? Voici l’astuce : « Le lobby céréalier étant passé par là, les aides publiques plafonnent à 130 euros l’hectare d’herbe contre 230 euros l’hectare de maïs… Pour se garantir un approvisionnement en lait constant et à bas coût, les industriels du fromage et du yaourt, alliés aux grands groupes céréaliers, ont poussé les éleveurs à produire toujours plus. Et la vache à lait, c’est le consommateur qui paie trois fois : sur sa santé, à la caisse et avec ses impôts pour subventionner l’élevage intensif ».
Une invasion de robots
« La véritable révolution robotique est sur le point de commencer ». C’est la conclusion des travaux des experts du cabinet international de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG). Il n’y a guère qu’un demi-siècle que les robots ont commencé à entrer dans les usines surtout pour effectuer des tâches ingrates et répétitives principalement dans les industries de l’automobile, de l’aéronautique, de l’informatique et de l’électronique. On en compte aujourd’hui environ 1,4 million en fonctionnement dans le monde, principalement aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Corée du Sud et en Allemagne.
Selon l’enquête du BCG, la vente de robots industriels dans le monde devrait augmenter très fortement dans les prochaines années pour atteindre 500.000 ou même 700.000 exemplaires en 2025. Dans les dix ans qui viennent la progression annuelle du parc mondial de robots qui était jusqu’ici de 2 ou 3% devrait atteindre 10%… et leur prix baisser de 20%. Déjà, selon les statistiques de la Fédération internationale de robotique, le nombre de robots vendus dans le monde en 2014 a bondi de 27%, soit 225.000 appareils dont les Chinois, à eux seuls, ont acheté le quart. L’enquête de la BCG prévoit aussi qu’au plan mondial la part des tâches effectuées par des robots dans le secteur manufacturier (qui est actuellement de l’ordre de 10%) pourrait atteindre 25%.
Une telle “invasion” ne se fait évidemment pas sans casse : une étude publiée début septembre par Forrester Research [1] estime que le nombre net d’emplois supprimés aux États-Unis d’ici à 2025 par l’introduction des robots pourrait atteindre 9,1 millions.
Les aveugles
Cette casse, les économistes semblent ne pas la voir. La lecture d’un récent article du Monde Economie et Entreprises [2] est particulièrement révélatrice de cet état d’esprit. L’auteur commence à déplorer dans le sous-titre que « l’économie américaine n’ait créé que 142.000 postes en septembre » mais se réjouit que le taux de chômage soit resté stable à 5,1%. Puis, sans faire le lien, il écrit un peu plus loin que le taux de participation [3] a encore reculé de 0,2 point en septembre pour atteindre 62,4%, soit son plus bas niveau depuis octobre 1977. « Ce phénomène des “disparus” du marché du travail ne cesse d’inquiéter. En septembre 350.000 personnes se sont ainsi exclues volontairement ou involontairement (sic) du marché du travail portant leur nombre total à plus de 8 millions depuis 2007 avant que n’éclate la crise financière. Parmi les Américains dans la force de l’âge, 77,2% travaillent, alors qu’ils étaient encore 80% avant la récession ». Est-ce que le taux de chômage a encore un sens dans ces conditions ? D’autant plus que, comme le souligne la présidente de la banque centrale américaine, « un grand nombre inhabituel de gens travaillent à temps partiel mais préféreraient un poste à temps complet ». Il y a en effet 6,5 millions de personnes dans ce cas. Ils n’étaient “que” 4,6 millions avant la récession. « Ce qui frappe, nous dit le journaliste, c’est le manque d’homogénéité du marché du travail sur le plan sectoriel. L’essentiel de la dynamique repose sur le tertiaire, qui même s’il ralentit reste dynamique », avant de s’étonner : « En revanche, l’industrie continue de souffrir avec 9.000 emplois détruits en septembre et 22.000 en août… ».
Quand donc comprendront-ils ?
C’est désespérant.