Autopsie d’un désastre


par  G. LASSERRE
Publication : décembre 1990
Mise en ligne : 17 décembre 2008

Comme les catalans d’Eco Concern (voir page 4), Gilbert Lasserre a été amené par son métier à s’interroger sur la monnaie. II a publié en 1987 un ouvrage fort Intéressant, dénonçant en expert les mécanismes pervers liés à la monnaie capitaliste, et notre ami, Denis Bloud, avait fait de son livre une analyse que nous avons publiée en 1988. Gilbert Lasserre vient de sortir un second livre et II en fait lui-même pour nous l’analyse ci-dessous. Le sous-titre de ce second livre est "Le monde à l’envers - L’honneur perdu de l’Occident", son titre, comme pour son premier livre, étant :

La seule ambition du premier ouvrage était de remettre la monnaie sur ses rails, d’en définir irréfutablement sa nature unique de créance publique, et, partant de là, d’en donner, pour la première fois, une définition. J’entendais liquider une fois pour toutes les idées de complexité du phénomène monétaire, et surtout de pluralisme de natures et de formes. II n’y a jamais eu de monnaiematière, et autre monnaie fiduciaire. La monnaie, depuis qu’elle existe, a toujours été "scriptu rale", n’ayant jamais été que créance publique mémorisée, et ce, même avant l’écriture. La mémoire de groupe (monnaie bidonvilles), l’inscription sur une pièce authentique (on confondait dès lors le support et la monnaie), puis sur le billet, sont les prémices de l’écriture, inscription quelque part de la créance. Simple histoire de support plus ou moins substantiel, allant du troc associé à la simple mémorisation...

L’écriture a fait son entrée en force avec la Banque, dans l’héritage du prêteur de deniers, qui était, lui, prêteur de supports doublant la monnaie, forcément préexistants, à l’époque où nul n’avait encore conscience de la créance publique nue. II y a eu mutation interne, le contenant support (comptabilité matière) s’effaçant devant le contenu (comptabilité monétaire). Le roi lui-même n’authentifiait pas la créance monétaire, mais le support qui la garantissait. Philippe le Bel "allégeant’ pour la première fois le support n’était pas faux-monnayeur, il ne faussait que le support, troc intermédiaire attelé à la monnaie. II ne faisait qu’ouvrir la voie à la monnaie sans filet, qui attendait la maturation des esprits. Celle-ci s’est effectuée à travers les instituts d’émission et le billet inconvertible qui a peu à peu donné consistance à la créance nue, créance sur collectivité à travers l’Institut. Pour finir, courtcircuitant le pouvoir central dans le cycle, les banques commerciales ont pris l’affaire en mains, ont battu monnaie sur créances privées en se substituant aux débiteurs dont elles se portaient ducroire, pour finalement rester aujourd’hui seules en lice. La vraie monnaie, sortant des limbes, arrivait à maturité.

J’ai résolu le problème de la rémanence d’un stock d’or laisant croire à l’existence d’un "résidd’ de monnaiematière en traitant le matériau en transparence. II n’était, pour lever l’obstacle, que de faire la part entre sa valeur potentielle (propriété publique) et sa valeur bloquée octroyée par l’Etat, en fait la créance sur l’Etat (ou plutôt la collectivité) sous-tendant le métal... Ce faisant, je tenais l’équation absolue de la monnaie, qui n’est et n’a jamais été que créance publique, née de la mutation de créances privées par un authentificateur... agréé ou qui a réussi à se faire agréer.

La place occupée aujourd’hui par les Banques, avec les ubuesques règles de ratios de liquidité et de sécurité, masque une usurpation, non seulement au niveau des profits, mais encore et surtout au niveau du droit de créer (authentifier) les valeurs au nom de la collectivité. La Féodalité moderne s’en donne à coeur joie. L’usurpation est insoutenable dans le cas de la Banque privée, héritière en droite ligne des apanages féodaux. Mais le socialisme lui-même n’a pas compris que le problème de la privatisation des banques était bien plus fondamental que celui de n’importe quelle autre entreprise, et devrait être traité sous cet éclairage. Allant plus loin, je conclus que les errements fondamentaux de l’économie dite libérale partent de la base, à savoir des abus du droit de créer valeur et de la multiplier, et je m’en explique dans le second ouvrage.

II devrait donc vous apparaître qu’il y a divergence d’intentions au niveau de la recherche, entre le sympathique club des tenants de l’économie distributive auquel vous vous référez, et mon parcours solitaire. Je cherche tout simplement à démontrer que l’économie capitaliste est viciée à la base : au niveau de la naissance, de la captation de la valeur, et de sa domestication dans la monnaie. Et que tout part d’une erreur de nature de la monnaie entrainant les errements que l’on dénonce aujourd’hui de tous côtés à l’entrée de l’ère dite post industrielle en matière de Valeur et des valeurs dont la monnaie est porteuse et hélas (I) abusivement créatrice.

C’est à juste titre que vous relevez des insuffisances dans mon premier ouvrage (constat insuffisant) : le lecteur ne savait où je voulais en venir. D’autres l’ont fait également. En fait , je me serais volontiers contenté de l’analyse, qui apportait une réponse à la question qui me tracassait depuis nombre d’années : le manque d’explication claire du phénomène monétaire, ce qui choquait ma conscience d’ancien banquier. Mais, sur la lancée, je me suis mis à tirer le fil qui s’est déroulé en douceur, et qui m’a conduit. très loin.

Voici donc la suite que je me permets de livrer à votre critique, dans le droit fil de mon analyse du phénomène monétaire fondamental. L’ouvrage, qui porte le même titre général, se clivé en deux parties, la première prolongeant mon travail de base du premier livre au coeur des mécanismes monétaires et politico-financiers qui marchent en fin de compte à l’envers, je ne crains pas la caricature, la seconde cherchant à montrer que la guerre économique conduite par le Japon contre le reste du monde s’inscrit dans la dialectique libérale. Elle n’est en fait qu’une prise à contre-pied d’un système abusif : une très mauvaise querelle qui s’alimente des perversions de deux factions antagonistes de l’humanité, une discrète allusion à l’errance biblique et aux comportements apatrides situant la première, la dénonciation d’un patriotisme un tantinet ringard fondé sur une frustration historique, situant la seconde. Un conflit aux limites du conflit de races en ce qui concerne les protagonistes... mais sur un terrain totalement imprévu, celui du concept même des valeurs, en réaction des excès d’un ultracapitalisme quia perdu le sens des réalités. Répétition, à une échelle planétaire, et en transposition des valeurs politiques directes en valeurs indirectes, de l’histoire des rois fainéants.

Je tiens ce second ouvrage pour fondamental pour tous ceux qui s’interrogent sur les problèmes actuels qui dépassent même les gouvernants. D’aucuns ne manqueront sans doute pas d’en contester les côtés parfois abrupts - j’ai parlé de caricature - mais tous devront convenir que les piètres résultats du capitalisme délirant qui domine le monde incitent à révision déchirante. Cela doit conduire l’honnête homme, qui doit être prévenu de ce qui l’attend au niveau de l’ahurissante domination japonaise dont rares sont ceux qui paraissent en avoir pris la vraie mesure, à se poser des questions. Le Japon a outrageusement tiré parti de la perversion du système, à un point de non retour que nul n’a encore mesuré.

Dans cet ouvrage, sous le même chapeau d’Autopsie d’un désastre" que je tiens pour acquis et pratiquement irréversible (ce qui justifie le terme autopsie), je quitte largement le cadre de la seule théorie économique, pour entrer en politique et en sociologie. Et en stratégie : c’est la guerre, qui répète celle de 1939 où les jeux étaient faits avant même la déclaration des hostilités. Le Japon, aujourd’hui maître d’un système pervers hors lequel la théorie anglo-américaine a fait accroire qu’il n’est point de salut, est en passe de devenir le maître du monde, et nul ne veut encore y croire. C’est un fiasco de même ampleur que le fiasco communiste qui nous attend, ou le déshonneur d’un Occident livré par des maîtres prêts à accepter n’importe quelle allégeance pour sauver leurs meubles. Le Japon le sait, et joue fin... Terrible dilemme de cette fin de siècle qui va se clôturer sur la faillite des deux idées maîtresses qui l’ont dominé, et sur les décombres d’une planète dangereusement ébréchée.

Le livre se clôture - ou s’ouvre - sur un journal, en forme de dernières nouvelles, les évènements allant très vite. A suivre donc. Ce journal suivra les trajectoires japonaise, angloaméricaine et européenne. Je donne deux ans aux faits, c’est-à-dire que je donne deux ans à l’Histoire pour me donner raison. L’Occident anglo-américain, le libéralisme et le monétarisme (dans l’acception la plus large de règne d’une certaine monnaie) sont à bout de souffle. La seule inconnue majeure, et le seul espoir restant, sont au niveau de l’Europe. Ce journal, qui est celui de tout le monde, suivra donc les méandres des évènements, des revirements sournois ou émotifs, les capitulations et forfaitures, les erreurs, toutes les péripéties de la fantastique partie de bras de fer qui s’est déjà engagée entre l’Europe, le tandem angloaméricain décidé à persévérer dans sa voie suzeraine et le Japon et ses acteurs très spéciaux d’un scénario sans précédent.

Je me suis pris au jeu. Ce livre est ainsi devenu un cri d’alarme, en même temps qu’un acte d’accusation de la Pensée Magistrale Libérale abusive, de la Banque, de la Féodalité, de la Bêtise. Il faudrait faire passer son message.