Avancées électorales
par
Publication : mai 1988
Mise en ligne : 16 juillet 2009
Lorsque j’écris ces lignes, le 18 mars 1988, j’ignore évidemment quel sera le nouveau président de la République et même les résultats du premier tour. Pourtant je puis prévoir que les débats entre les principaux candidats resteront, comme ils le sont jusqu’à présent, aussi vides sur les problèmes fondamentaux auxquels la société française est affrontée. Les règles formelles de notre démocratie politique, aussi bien pour des élections cantonales que législatives ou présidentielles, la bipolarisation de fait de l’opinion, sont telles que les 4 ou 5 pour cent d’électeurs qui font la décision restent toujours les plus indécis. Ils sont aussi fort évidemment les moins bien informés, les plus influençables et les plus versatiles. Le futur vainqueur ne peut donc pas se permettre le risque de les perdre en prenant position trop nettement sur les sujets sensibles. Il est admis que faute de pouvoir agir sur les citoyens de conviction, les publicitaires polarisent leur action sur la margue fluctuante du centre. Ainsi les centaines de millions de francs dépensés par les grands partis à l’occasion de chaque élection nationale sont gaspillés uniquement dans l’espoir d’influencer le vote de quelques centaines de milliers de personnes. Mille francs pour un bulletin, n’est-ce pas trop cher payer ?
Cette démocratie du fric ou ploutocratie présente
des inconvénients rédhibitoires. En particulier, elle
oblige les hommes politiques soucieux de leur réélection
à des compromissions inacceptables avec les milieux d’argent
et le milieu tout court. Casse de Nice, Carrefour du développement,
vrais-faux passeports, exportations d’armes, société de
développement de l’agglomération rouennaise ne sont que
quelques-unes parmi les affaires dont l’origine se situe dans la nécessité
du financement des campagnes électorales. Et encore ne sont-elles
que celles qui émergent. Combien, parce que mieux montées,
c’est-à-dire plus cachées restent inconnues ? Tous les
partis, les initiés le savent, sont compromis. Les hommes politiques,
eux-mêmes, ne sont pas forcément bénéficiaires
de ces trafics. Victimes consentantes de l’hydre publicitaire, ce n’est
pas obligatoirement leur avoir propre qui est en cause mais, la fin
justifie les moyens, le développement du parti. Pourquoi donc
les obliger à d’humiliantes et incontrôlables déclarations
de patrimoine avant et après ? Faut-il voter pour les plus aisés
et les plus riches dans l’espoir souvent vain qu’ils seront moins cupides
pour eux-mêmes et plus généreux pour leur parti,
ce qui évitera à celui-ci d’employer des moyens malhonnêtes
pour se procurer des fonds ?
Toujours est-il que de telles pratiques font courir de grands dangers
à notre système politique. S’il était possible
de se débarrasser de la publicité envahissante, ne serait-il
pas plus simple, au lieu de limiter les dépenses, de limiter
l’affichage et la réclame indirecte ? Beaucoup d’entre nous,
conscients de l’impossibilité pour les humains de se dégager
des contraintes du profit et de la finance, en déduiront que
la démocratie politique restera un leurre tant que la démocratie
économique n’aura pas été instaurée.
***
La campagne
Avec l’agrément supposé du lecteur, consacrons la seconde
partie de cette chronique à des réflexions plus encourageantes
sur le déroulement de la campagne. Deux éléments
capitaux me paraissent à retenir.
Au cours de "l’Heure de Vérité" du premier février
1988 sur A2, Pierre Juquin a déclaré qu’étant confrontés
de plus en plus à des problèmes mondiaux, il lui paraissait
nécessaire que nous mettions en place, pour les résoudre,
des institutions mondiales. Il s’est donc déclaré "citoyen
du monde" engageant de ce fait ses auditeurs à prendre le
même chemin. Certains minimiseront cette prise de position, la
trouvant démagogique et peu contraignante pour un candidat sûr
d’être battu. C’est vrai. On peut même ajouter qu’une telle
déclaration est bien tardive après tant d’années
de "langue de bois" et qu’elle correspond fâcheusement
avec un besoin de voix à rechercher forcément en dehors
des communistes orthodoxes, dans les milieux progressistes. Il n’en
reste pas moins que, pour la première fois à ma connaissance,
au cours d’une émission grand public suivie par quelques millions
de téléspectateurs, un homme politique influent s’est
prononcé très nettement pour des organismes mondiaux supra-nationaux.
Saluons le courage de celui qui n’a pas hésité à
bousculer ainsi quelques tabous. Relevons aussi que cette déclaration
n’étant pas neutre, c’est que son auteur, avec probablement quelques
raisons, s’il a cru devoir la prononcer, pense qu’elle lui aura apporté
des voix. Combien ? nous ne le savons pas. Le score de Pierre Juquin
qui sera connu quand paraîtront ces lignes donnera quand même
une idée, même vague, de leur nombre.
Je ne saurais manquer de dédier ce nouveau succès à
tous mes camarades militants de la cause mondialiste qui ont tant travaillé
dans l’ombre et la réprobation des sots, au mieux dans l’indifférence
et l’incrédulité des cyniques et des résignés.
Deux manières d’avancer restent compatibles avec notre système
électoral. L’une, nous venons de la décrire venant du
candidat marginal qui n’a rien à perdre, l’autre par agrément
d’ensemble.
L’accord presque général des candidats et des partis en
vue d’instaurer sous une forme ou sous une autre, un revenu minimal
garanti est à relever également comme l’un des acquis
de la controverse politique présente. Nous informons régulièrement
nos lecteurs sur les développements de cette idée, en
France et à l’étranger. Le réseau européen
"BIEN" nous permet de nous tenir au courant des aspects extrêmement
divers pris par l’idée de revenu minimal dans les différents
pays. Regrettons que notre tradition humaniste et généreuse
ait failli à instaurer plus tôt en France une telle mesure.
Certains la récusent encore sous prétexte de disparition
de la motivation au travail. Niant le chômage structurel et appelant
à toujours plus de travail obligé, ils refusent l’idée
de dissocier travail et revenu. Malgré la diffusion donnée
à leurs thèses par la presse, la radio et la télévision,
malgré le renfort de Raymond Barre et Jacques Chirac, ils sont
de plus en plus isolés.
Trop nombreux au regard des placés disponibles sont ceux qui
se battent pour un travail rémunéré. Beaucoup sont
prêts aux pires compromissions, d’autres proposent de payer afin
d’accéder à un emploi. Quel besoin de les motiver encore
plus en cette quête ?
Oui, messieurs, nous sommes tous les cohéritiers du patrimoine
constitué par les progrès foudroyants des sciences et
des techniques ces dernières années. Ni les financiers,
ni les industriels, ni tous les privilégiés les plus divers,
ni même ceux qui ont encore la chance dans ce régime, de
détenir un poste rémunéré, ne sont les propriétaires
exclusifs de ce patrimoine, il appartient à tous et tous doivent
en recevoir leur part.
Cette idée s’impose. Elle a commencé à trouver,
insuffisamment, son expression légale lors du précédent
septennat. La loi n’étant en définitive que, avec retard,
la traduction des us et coutumes, il faudra bien qu’elle soit codifiée
et réalisée dans les faits. Merci à tous ceux,
distributistes ou non, qui ont agi depuis des décades en faveur
de notre thèse. Encouragés, par les résultats obtenus,
nous poursuivons bien sûr notre lutte pour un véritable
revenu social maximal. Les événements nous confirment
qu’aucune activité militante n’est jamais perdue, si faible et
si désespérée puisse-t-elle paraître à
première vue.