Bien plus qu’une crise sanitaire


par  P. PETIT
Publication : juin 2020
Mise en ligne : 4 octobre 2020

Le texte ci-dessous a été publié à l’origine dans la collection « Le Virus de la Recherche » (PUG), dirigée par Alain Faure. Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’éditeur.

Partir de l’idée que la crise du coronavirus est un choc exogène nous fait courir le risque de mal en préparer la sortie.

Cela est d’autant plus inquiétant que ce choc « silencieux » implique des interventions de l’État à des niveaux dépassant ceux de la crise financière globale de 2008, voire de la crise de 1929 qui auront des conséquences durables.

La cause première des crises de 1929 et 2008 était claire  : des crashes boursiers venant sanctionner des prises de risque du secteur financier devenues incontrôlables. L’histoire a montré que de telles sorties pouvaient être souvent longues et incomplètes.

Une partie du monde développé ne sortira de celle de 1929 qu’après la seconde guerre mondiale avec une claire légitimation des projets d’Etat Providence.

La sortie de la crise de 2008 apparait encore inachevée avec, certes, un contrôle bancaire accru, mais sans mettre fin à une domination financière, largement vilipendée comme génératrice d’inégalités et de politiques d’austérité. D’où l’importance de bien saisir comment ce terrain mal réparé a pu engendrer cette crise sanitaire. Son caractère endogène est certes partiellement lié aux dégâts que provoquent nos modes de développement sur l’environnement, en l’occurrence par le biais de déforestations et d’urbanisations croissantes, multipliant les contacts entre souches de virus et milieux humains, sources de contamination que la mobilité accrue des personnes et des biens dans la présente phase de mondialisation diffuse avec une rapidité qui rend illusoire toute tentative d’isolement.

Mais la cause principale de la crise sanitaire de 2020 est à lire dans la façon très imparfaite dont nous sommes sortis de la crise financière globale de 2008.

 Une crise sanitaire qui révèle l’ampleur des fragilisations induites par la crise de 2008.

Que nous apprend la rapide diffusion du Corona virus dans ces premiers mois de 2020 ? — D’une part que, face à cette pandémie, nombre de systèmes de santé n’ont d’autre moyen qu’un confinement plus ou moins sévère pour éviter de ne pouvoir soigner qu’un afflux de cas graves.

— D’autre part que les équipements et médicaments qui permettraient de contenir cette pandémie font souvent défaut, parce que les stocks sont insuffisants et que l’approvisionnement dépend de quelques pays, comme la Chine et l’Inde, confrontés à une forte demande mondiale.

Chaque jour vient ensuite instruire les causes de ces blocages. Les systèmes de santé ont pâti de politiques d’austérité renforcées par l’endettement des États, suite à la crise de 2008. Tout un arsenal de mesures, entre tarifications à l’acte et partenariats public-privé, a fait de plus en plus pression (réduisant en France de quelques 12 milliards d’euros en 10 ans le budget tendanciel des hôpitaux- voir rapport d’information du Sénat n°40 2019-2020).

Les témoignages des personnels soignants sont éloquents : ils éclairent de façon dramatique les mouvements de grève antérieurs à la crise.

Même constat pour ce qui est de la délocalisation des productions d’équipements et de médicaments. Dans une économie mondiale en croissance plus faible après 2008, nombre d’entreprises pour soutenir leur profitabilité et la valeur de leurs actions, délocalisent des productions vers des pays offrant des salaires moins élevés et des possibilités d’économie d’échelle. Là encore les témoignages abondent sur la façon dont certaines entreprises dynamiques ont su profiter des chaines globales de valeur pour préserver leurs profits dans le contexte d’un ralentissement de l’économie mondiale après la crise de 2008 et d’une pression accrue sur les dépenses de santé.

Peu ou prou, le même scénario se retrouve dans la plupart des pays, alliant rationalisation accrue des choix budgétaires et restructuration des chaines globales de valeur.

Les opinions perçoivent ces mesures d’austérité sans bien en saisir l’impact sur leurs systèmes de santé. Il est vrai qu’ont maintenant de quoi surprendre les évaluations de performance qui, en 2019, classaient en tête l’Espagne et l’Italie (selon l’Euro Health Consumer Index EHCI -classement de l’Espagne en Europe que confirmait l’indice Bloomberg !), ces deux pays dont la crise de 2008 avait fortement accru l’endettement public et conduit à des politiques d’austérité.

Dans cette même période (d’octobre 2007 à décembre 2019) l’indice Dow Jones doublait, soulignant l’habileté d’une finance internationalisée.

L’histoire pourrait s’arrêter là et le caractère endogène de la crise sanitaire serait déjà bien établi par les excès d’une idéologie néo libérale, qui par son court- termisme a laissé s’accroitre la vulnérabilité de nos économies. Mais l’histoire s’aggrave si l’on s’interroge sur l’amnésie qui accompagne cette crise sanitaire.

 Une amnésie criminelle … ouvrant à des thérapies de choc.

Comment expliquer une telle vulnérabilité de nos systèmes de santé, alors que cette pandémie n’est pas la première  ?

Certes, l’OMS devait être l’institution internationale devant donner l’alarme à la fois sur les risques de pandémie et sur les capacités des systèmes de santé. La question est justement posée mais un retour en arrière sur les expériences de pandémies vécues au tournant du siècle conduit à poser d’autres questions.

Alors que l’on croyait à la fin du 20éme siècle que l’ère des grandes pandémies était close, le VIH/SIDA à travers le monde dans les années 80, puis le virus Ebola en Afrique dans les années 90 et enfin le virus SRAS en Asie en 2003) ont fini par inquiéter les état-majors, les institutions internationales et les populations, conduisant à la création d’un ensemble d’institutions, d’accords internationaux et de protocoles au milieu de la première décennie du 21ème siècle.

Les pays de l’OTAN créent ainsi en 1998 l’Euro Atlantic Disaster Relief Coordination Centre (EADRCC). 

L’OMS adopte en 2005 un règlement sanitaire international, signé par la plupart des pays.

L’Union Européenne installe en 2005 une agence l’ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control). 

Dans ce concert la France fait passer en 2007 une loi sur « la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur » avec un établissement public pour son application. On débat même d’inscrire le principe de précaution dans la constitution.

La crise financière de 2008 semble avoir effacé cette prise de conscience pour d’autres impératifs qui vont, en une décennie, accroitre considérablement la vulnérabilité de nos économies. 

Comment expliquer cette “versatilité” ?

— Trois facteurs concourent, semble t-il, à cette inaction face à ces risques existentiels.

•Le premier élément renvoie à la thèse de Naomi Klein (The Shock Doctrine, 2007, traduction en français : La stratégie du choc) soulignant que les crises sont propices à de réels changements, ce dont les adeptes de Milton Friedman (qui écrivait en 1982 « Only a crisis, actual or perceived, produces real change »), ont su profiter en imposant un néo-libéralisme radical après 2008.

•Le second facteur est d’une autre nature qui met en cause la faiblesse de la base démocratique des accords internationaux comme ceux précités. Cette critique, que développent Aglietta et Leron dans leur ouvrage La double démocratie (2017), à propos de l’Union Européenne, s’applique en l’occurrence pour expliquer la faible mobilisation des instances démocratiques nationales pour veiller à la mise en œuvre effective des projets internationaux en matière de sécurité sanitaire. Les rapports internes à l’OMS, quelque dix ans après le règlement sanitaire international de 2005, confirment cette hypothèse [*]. Tout comme le fait que 80 % de son budget soient laissés à la charge de fonds privés.

•Le troisième élément est plus difficile à saisir car il renvoie à des évolutions internes à chaque pays, qui se lisent principalement au niveau des territoires, différemment marqués par les défis environnementaux (comme le souligne Bruno Latour dans son ouvrage Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, 2017) et par différentes inégalités de revenus et d’accès aux services publics. Ceci entraine de nombreux mouvements sociaux (dont celui des gilets jaunes en France) et une défiance accrue à l’égard de services publics, devenus pour beaucoup des instruments du pouvoir central et non plus des organisations démocratiquement ouvertes pour répondre aux besoins des citoyens (au sens où l’entendent Pierre Dardot et Christian Laval dans leur contribution à AOC [**]).

La recomposition des rapports entre local, national et global, qui est en gestation dans cette transformation, ouvre peut être la voie à une reconstruction de compromis sociaux qui réponde aux défis tant sanitaires que climatiques. Elle doit pour cela trouver son expression politique. Si le retour de l’État est celui d’États-stratèges, ouvrant des médiations démocratiques et innovantes, il peut y contribuer. La tâche est ample mais, à la fois, la crise donne nombre d’exemples de solidarités nouvelles… et l’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat, ouverte en Octobre 2019, manifeste l’actualité de cette prise de conscience des enjeux. Le temps de cette recomposition politique est néanmoins compté, l’offensive des néo-libéraux pour réduire les objectifs en matière d’environnement ayant déjà commencé, qu’appuieront volontiers les Trump et Bolsonaro.



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