Alors que les médias dominants bruissent de nouvelles alarmantes sur la nouvelle pandémie mondiale, alors que la multitude a le regard rivé sur les thermomètres médicaux dans la peur de contracter la maladie, notre planète poursuit sa course folle, chaotique et absurde : désastres écologiques et sociaux, corruption endémique, déni de la justice la plus élémentaire. Sur ce dernier point nous allons nous arrêter sur le sort réservé à Julian Assange que la juge Eva Joly qualifie de « scandale judiciaire le plus important de cette décennie ».
En 2006, Julien Assange journaliste et informaticien australien fonde une Organisation Non Gouvernementale dénommée Wikileaks. L’objet de cette ONG d’un nouveau genre est de diffuser tous les documents, même confidentiels, susceptibles de permettre la réalisation d’enquêtes et d’analyses politiques, financières et sociales à l’échelle mondiale tout en protégeant ses sources. Il s’agit en fait de donner aux « lanceurs d’alertes » la plus large audience possible, de mettre en ligne, pour le bénéfice de tous, des sortes “d’archives de l’humanité” afin de comprendre les enjeux de notre temps.
Dès sa fondation, cette organisation va faire preuve d’une redoutable efficacité puisqu’en quelques mois environ 10 millions de documents, pour la plupart confidentiels, se trouvent dévoilés.
Ainsi se déroule un immense panorama, jusqu’ici occulté, concernant les guerres américaines en Afghanistan et en Irak (mensonges d’État, cas de tortures…), les capacités de surveillance généralisées de la CIA et de la NSA, d’inavouables tractations au Moyen-Orient, d’innombrables cas de corruption et de fraudes fiscales (notamment 2.000 comptes appartenant à des personnalités de la politique, des affaires ou du spectacle ouverts dans les paradis fiscaux par la banque suisse Julius Bär)….
Une partie de ces révélations seront bientôt reprises par la presse mondiale : New-York Times, Le Monde, Der Spiegel, El Pais….
Une vidéo dénommé « Collateral Murder » [1] va faire le tour du monde à travers les réseaux sociaux. Il s’agit d’un enregistrement effectué à bord d’un hélicoptère “Apache” de l’armée américaine, en opération au-dessus du territoire Irakien en 2007, qui pense avoir repéré des terroristes. À travers le téléobjectif on assiste à la traque de ce groupe dans les rues de la banlieue de Bagdad, on perçoit le dialogue des pilotes qui semblent se croire dans un jeu vidéo. On relèvera 12 morts et deux enfants grièvement blessés dont l’un décèdera par la suite. Parmi les victimes se trouvent seulement deux hommes armés, mais aussi Namir Nor-Eldeen le principal correspondant de guerre de l’agence Reuters en Irak et son assistant et chauffeur Saeed Chmah… Malgré les protestations véhémentes de Reuters le Pentagone considèrera que les « procédures d’engagement du feu » ont été respectées.
Mais on ne défit pas impunément les puissances d’un monde encore largement voué à l’ignorance et à la barbarie. La répression va être impitoyable. Dès 2013, Edward Snowdens, lanceur d’alerte étasunien, ancien employé de la CIA et de la NSA qui a révélé l’existence de programmes de surveillance de masse, est inculpé d’espionnage. Assange parviendra de justesse à le faire transférer en Russie où il obtiendra un asile politique précaire. La même année Chelsea Manning, ancienne analyste militaire qui a révélé nombre de documents sur les guerres d’Afghanistan et d’Irak (notamment la fameuse vidéo “collateral murder”, mais aussi des images montrant les tortures pratiquées à la prison d’Abou Ghraib en Irak ainsi que plus de 260.000 câbles diplomatiques confidentiels) est condamnée à 35 ans de prison toujours pour espionnage. Elle sera graciée par le Président Obama en 2017, mais incarcérée de nouveau en 2019 suite à son refus de témoigner contre Assange.
Pourtant, le 12 mars dernier, après une tentative de suicide qui manque de très peu de réussir, un juge ordonne sa libération, mais elle devra cependant s’acquitter d’une amende de 256.000 $ (229.000 €). Par ailleurs Wikileaks devra faire face à de nombreuses difficultés d’ordre administratif notamment, en 2011, à un blocus financier organisé par les principaux réseaux de paiement (Visa, Western Union…). En 2012 une “attaque” informatique empêche pendant plusieurs mois les internautes de se connecter à son site. Simultanément, Assange se retrouve sous le coup d’un mandat d’arrêt international émanant de la justice suédoise pour un “délit sexuel” particulièrement obscur. Afin de ne pas être extradé vers la Suède Assange se réfugie dans l’ambassade d’Équateur à Londres où le Président équatorien Rafael Correa lui accorde l’asile politique. Il y passera 7 ans, confiné dans un studio minuscule, surveillé en permanence par Scotland Yard et la CIA.
Le 11 avril 2019, en contrepartie d’une aide financière importante en provenance des États-Unis, le nouveau Président équatorien Lénin Moreno met fin à l’asile politique dont bénéficiait Assange qui est immédiatement arrêté par la police britannique et transféré à la prison de haute sécurité de Belmarsh dans la banlieue de Londres.
On notera que quelques mois plus tard, en novembre 2019, la justice suédoise clôt définitivement, faute de preuves, la procédure engagée contre Assange… et cela 9 ans après les faits reprochés.
Pour avoir permis des révélations majeures sur les guerres américaines (tortures, mensonges d’État…), sur les capacités de surveillance généralisées de la CIA, sur des cas de corruption et de fraudes fiscales, Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, fait face aux États-Unis à dix-huit chefs d’inculpation dont celui d’espionnage. Il est actuellement détenu au Royaume-Uni dans des conditions contraires aux Droits de l’Homme les plus élémentaires, soumis à des tortures psychologiques de tous les instants : un isolement presque absolu, une surveillance permanente du moindre de ses gestes et de ses entretiens avec ses avocats, ce qui constitue une violation flagrante des droits de la défense.
En novembre dernier Nils Melzer, Rapporteur général de l’ONU sur la torture faisait part de ses graves préoccupations quant aux conditions de détention d’Assange [2].
Le 26/6/2020 Le Monde publiait la traduction d’une lettre parue dans la revue médicale The Lancet par laquelle 216 médecins appartenant à 33 pays s’indignaient des conditions de détention de Julian Assange et mettaient en garde contre de graves répercussions sur sa santé.
Le procès en vue de l’extradition de Julien Assange s’est ouvert le 24 février dernier. Interrompu par l’épidémie de Coronavirus, il devrait reprendre au cours du dernier trimestre de cette année.
Bien au-delà de sa personne, Assange est devenu le symbole d’un droit fondamental : le droit à l’information des peuples souverains, celui de savoir tout ce qui est fait en leur nom par les états. Son extradition signifierait la remise en cause de ce droit. D’autre part si l’extradition était prononcée ce serrait en violation de toutes les conventions internationales. En effet selon la juge Eva Joly interviewée le 26 février dernier parle quotidien en ligne Médiapart, pour qu’un prévenu puisse être extradé, il faut que deux conditions soient réunies :
•1.Les faits reprochés à l’accusé doivent constituer des délits dans les deux pays concernés. Or l’US Espionnage Act en vertu duquel les États-Unis poursuivent Assange n’a d’équivalent dans aucun pays d’Europe. Si Assange était extradé cela signifierait que la loi étasunienne s’applique aussi au Royaume-Uni.
•2. La certitude que l’accusé bénéficiera d’un procès équitable. C’est loin d’être le cas aux États-Unis où le Président Trump a même déclaré qu’Assange mériterait la peine de mort.
Cela est tellement vrai que la Commissaire européenne aux Droits de l’Homme, Dunja Mijatovic, a pris nettement position contre l’extradition « compte tenu à la fois des implications pour la liberté de la presse et des graves préoccupations concernant le traitement que subirait Julien Assange aux États-Unis » [3].
Si l’extradition devait être prononcée il ne s’agirait pas d’un jugement au terme d’une procédure judiciaire, mais d’une décision politique. Assange ne serait pas alors extradé mais « livré » aux États-Unis et c’est malheureusement le cas le plus probable tant la pression des États-Unis sur le Premier Ministre Boris Johnson est forte.
Seule une intervention massive de l’opinion internationale peut sauver Julian Assange et c’est pour cela qu’il est important de signer et faire signer rapidement la pétition soutenue notamment par Reporter Sans Frontière, Le Syndicat National des Journalistes, Amnesty International, La Ligue des Droits de l’Homme et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de L’Homme. On peut aussi participer aux divers meetings et manifestations qui ne manqueront pas de se dérouler d’ici la conclusion du procès.
Car dévoiler la vérité pour que vive la démocratie ne doit pas devenir un délit.