Cinq, quatre, trois…
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Mise en ligne : 31 octobre 2009
On ne peut croire ni à une croissance éternelle, ni à pouvoir s’échapper vers une autre planète quand seront épuisées les ressources de la nôtre. C’est impossible. L’humanité s’est mise en danger de mort, et Albert Jacquard, dans son dernier livre Le compte à rebours a-t-il commencé ? [1] montre comment.
Il évalue d’abord le risque nucléaire (entre la puissance de la bombe H et celle des essais américains dans le Pacifique, il y a un facteur mille) : il suffit que dans un seul État possédant l’arme nucléaire le risque d’un accident (une colère d’un dirigeant trop impulsif par exemple) soit de 1 pour 100 par an pour que la probabilité d’un désastre irréversible, tuant toute vie humaine sur la planète, soit de 64 % au cours du siècle et de pratiquement cent pour cent au cours du millénaire.
La probabilité du suicide nucléaire de l’humanité dépend donc surtout du comportement des moins raisonnables. Or cette escalade a été décidée sans la moindre consultation populaire. Alors Albert Jacquard se demande par quelle aberration la première question posée à tout candidat à la Présidence de la République n’est pas : « Renoncez-vous aux armes nucléaires ? » Il évoque ensuite le sujet que Guy Evrard développait récemment dans nos colonnes [2], celui de la démographie, et il aboutit, à propos de ce qu’il appelle la bombe P comme population, à la même conclusion que Guy : alors qu’un milliard d’êtres humains souffrent et meurent de malnutrition, il faut que les pays riches remettent en question leurs habitudes gaspilleuses et dévastatrices.
Alors, avant d’accaparer toutes les richesses, ne fallait-il pas commencer par poser une autre question : « À qui appartient la planète ? »
Le polytechnicien généticien Albert Jacquard aborde enfin deux domaines déterminants quant à l’avenir de l’humanité : l’intégrisme économique et l’éducation.
Traitant le premier, il montre « la richesse de la décroissance » par des réflexions de bon sens dénonçant un système qui s’est cru « capable de créer de la richesse simplement en échangeant des signatures sur des papiers ou sur des écrans d’ordinateurs, à la façon dont en famille on joue avec passion au Monopoly ». Mais quand il évoque « la fortune dont dispose l’ensemble des humains », il sous- entend que cette fortune est une réalité, certes mal partagée, mais une vraie richesse. Dans son expression « la fortune de l’ensemble », il mélange sans nuance ce qui est monnaie fiduciaire et ce qui est monnaie bancaire, il cautionne leur assimilation. Il entretient ainsi la confusion, fort malheureuse, généralement faite entre la monnaie légale, publique et garantie, et la monnaie scripturale, qui mène le monde malgré lui, qui ne sort jamais du domaine privé et secret des banques, que certains économistes n’hésitent pas à qualifier de pseudo-monnaie et qu’un “prix Nobel” d’économie, Maurice Allais, dénonce même comme étant émise de façon identique à celle de faux-monnayeurs.
Même ambiguïté lorsque Jacquard écrit que les clients des banques « ont confié leur fortune à des financiers qui l’ont convertie en prêts », car il cautionne ainsi l’idée fausse trop répandue dans le grand public, selon laquelle, en matière de crédit, le rôle des banques ne consiste qu’à prêter aux uns les économies déposées par les autres. C’est ignorer oupasser sous silence le privilège, pourtant ahurissant, abandonné aux banques de pouvoir augmenter à leur gré et dans leur intérêt la masse monétaire de la nation.
Mais ceci n’empêche pas notre auteur de démonter, en quelques phrases claires et limpides, tout l’arbitraire de la notion de valeur, ainsi que la fausse croyance en l’équilibre que le marché est censé apporter. On peut s’étonner, tout de même, qu’il n’ait pas choisi de relever, dans l’Histoire qui en contient tant, d’autres exemples que celui des assignats pour montrer les dangers d’une création monétaire basée sur la spéculation.
Cette ombre est vite oubliée dès qu’on aborde le chapitre consacré à ce que devrait être l’éducation. Ce dernier chapitre ne peut qu’enthousiasmer nos lecteurs, tant par sa critique du système actuel au cœur duquel « ce n’est pas l’élève que l’on découvre, c’est plus souvent l’économiste, quand ce n’est pas le financier », que par son ouverture vers un monde plus humain, dans lequel, rappelle l’auteur, lire, écrire, compter ne sont pas tout, « comme s’il n’était pas tout aussi fondamental de savoir écouter, s’exprimer, questionner, c’est-à-dire en un mot : rencontrer. »
Ah, si seulement nos prétendus “réformateurs” étaient capables de “rencontrer” Albert Jacquard !
[1] éd. Stock, Les documents, mars 2009, 140 pages, 15 euros
[2] I. GR 1097, avril 2009
II. GR 1098, mai 2009,
III. GR 1099, juin 2009.