Demain la France... Quelle France ?
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Publication : mai 2004
Mise en ligne : 7 novembre 2006
Les résultats des élections régionales qui viennent d’avoir lieu laissent supposer que les électeurs, après avoir donné un pouvoir discrétionnaire au Président Jacques Chirac il y a deux ans, ne sont pas pleinement satisfaits de la façon dont ce pouvoir a été utilisé et n’ont pas apprécié ce qu’ils ont considéré, à tort ou à raison, comme une casse sociale généralisée. Dans le contexte d’une décentralisation de plus en plus marquée, ils ont établi, dans la majorité des régions, des exécutifs pouvant partiellement équilibrer l’action du gouvernement nommé par le Chef de l’État. Chacun pense désormais à la prochaine élection présidentielle, dans trois ans. C’est à la fois prématuré, et bien tardif.
Réfléchir à long terme
L’inertie économique d’un pays est considérable.
Le renouvellement d’un véhicule se situe entre 10 et 20 ans, celui d’un immeuble entre 50 et 100 ans. Certaines de nos autoroutes ne seront jamais amorties.
La seule politique énergétique visible de la France date d’il y a plus de 30 ans.
Bien former un jeune est un investissement pour 50 ans.
Réduire les coûteuses mortalités et morbidités prématurées évitables, découlant du tabagisme, de l’éthylisme et des vitesses routières excessives, implique un changement des attitudes et mentalités qui demande des décennies.
Préparer l’élection présidentielle de 2007, pour les formations sérieuses, implique donc une réflexion à long terme, avec des objectifs 2050 et 2100.
La France n’est qu’un petit pays dont les décisions de fond la concernant sont généralement prises à Bruxelles, ou au sein d’institutions internationales dans lesquelles le plus riche décide.
Il est donc essentiel d’accorder une très grande importance aux élections communautaires, afin que le prochain Parlement de la Communauté serve au mieux les intérêts des résidents des pays membres, dont ceux des Français, sans oublier nos devoirs vis-à-vis du Tiers monde.
D’abord à la dérive climatique
La plus grande menace pesant sur l’Humanité est celle de la dérive climatique. Tout doit donc être fait pour réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre, quitte à exiger de l’OMC des compensations pour les distorsions commerciales des pays ne faisant rien, et à envisager de poursuivre pour crime contre l’humanité les dirigeants des pays ne voulant rien faire. Passer des énergies fossiles conventionnelles aux énergies renouvelables aura un coût, ce qui implique une harmonisation de la fiscalité appliquée aux énergies fossiles et à leurs dérivés, sans la moindre exemption [1] pour les transports, terrestres ou aériens. La vérité des coûts devra s’étendre aux infrastructures, péages routiers notamment.
Limiter le tabagisme, l’éthylisme et les vitesses excessives au volant serait facilité par une harmonisation communautaire fiscale et juridique. La gravité des accidents est proportionnelle au carré de la vitesse et, à partir d’un certain seuil, la consommation des véhicules, au cube de cette vitesse. Tous les véhicules homologués devraient avoir un régulateur de vitesse et, pourquoi pas, une boite noire. Produire, ou importer, un véhicule ayant la possibilité de dépasser la vitesse communautaire maximale agréée devrait constituer un délit communautaire.
L’énergie renouvelable de demain sera surtout thermique (solaire, géothermie) et électrique (éolienne et marine). Un vaste effort de recherche devrait être entrepris dans les domaines du stockage des énergies thermique et électrique (barrages d’altitude, air comprimé, hydrogène) et d’exploitation de l’énergie marine (énergie des vagues, des marées et des courants).
Les problèmes qui viennent d’être énumérés devraient dominer tout débat politique national ou communautaire. Ce n’est pas le cas.
Les Français devront juger et décider. Sur quelles bases ?
Durant peut-être une décennie, les centrales à gaz à cycle combiné assureront une fourniture d’électricité complémentaire lors des pics de consommation, liant étroitement GDF à EDF. Plus tard, avec la généralisation des éoliennes, en périodes de pointes de production éolienne sans demandes solvables, l’électricité servira, entre autres, à produire de l’hydrogène et de l’air comprimé, liant ainsi encore plus EDF et GDF. Dans ce contexte il semble n’y avoir aucune justification pour séparer ces deux entités et les vendre au plus offrant.
Le service de la dette
Un problème national majeur est celui de la dette dont le service pèse un peu plus chaque année sur la bonne utilisation des ressources publiques.
Son amenuisement devrait constituer une priorité depuis qu’elle ne peut plus être réduite par une inflation galopante. Ce problème n’est pratiquement pas abordé.
De graves dérives budgétaires ont été justifiées au nom d’un retour nécessaire à la croissance mais il faut poser la question : la croissance, pourquoi faire ? S’agit-il de préparer l’avenir, ou bien seulement de produire des biens matériels loin d’être indispensables ? Ou même exigeant des subventions à l’exportation pour nous en débarrasser ? Par ailleurs, du fait de capacités productives sous-utilisées et d’une productivité croissante, un taux important de croissance, comme actuellement aux États-Unis, peut se faire presque sans création d’emplois. Créer des emplois utiles, voire indispensables, tout en préparant l’avenir, est donc essentiel.
Le budget de la défense
Le budget de la défense nationale de la France mériterait d’être revu. L’Europe occidentale et centrale (Communauté, OTAN et pays assimilés) a environ 517 millions d’habitants, et consacre chaque année quelque 215 milliards de dollars pour se défendre d’une façon conventionnelle contre des pays ennemis inexistants. Cette dépense, de l’ordre de 416 dollars par habitant, devrait être revue à la baisse en absence d’ennemis, et également répartie. La facture française serait alors au maximum de 25 milliards de dollars, contre 45 à ce jour. Économiser environ 20 milliards d’euros par an constitue donc un objectif immédiat très raisonnable.
D’ailleurs, à une époque de mondialisation et de privatisation, notre défense nationale pourrait être délocalisée et sous-traitée avec l’objectif, à moyen terme, d’économiser 30 milliards d’euros par an.
La protections sociale
Notre système de protection sociale, santé publique comprise, fait face non seulement à des difficultés financières, bien limitées par rapport au service de la dette, mais aussi à des difficultés humaines en personnel qualifié. Il faut impérativement former plus de personnel médical et paramédical, et donner une bien plus grande priorité à la prévention, aux traitements précoces, et à la réhabilitation. (Dans ce contexte, notre système carcéral est totalement inadapté). Il y a quelques décennies, la Norvège avait (et a peut-être encore) un niveau de santé excellent, basé sur la prévention et des équipes de santé communales, et seulement 1.000 formulations médicamenteuses, donc moins encore de matières actives ; la Communauté pourrait s’inspirer d’un tel système de santé pour réduire les gaspillages et remplacer la publicité des marques par l’information du public et des praticiens. La santé a un coût, privatiser certains secteurs, si l’on se base sur l’expérience des États-Unis, accroît ce coût de près de 50% tout en diminuant le niveau national de qualité de la santé. Il faudrait en tenir compte.
La formation des citoyens et résidents doit être revue avec quelques ambitions légitimes, de l’école maternelle à l’université. Il faut assurer une formation de base essentielle à tous, quitte à accepter plus de redoublants, tant dans le primaire que dans les collèges et lycées. La formation professionnelle demande beaucoup plus de moyens et de prestige. La recherche doit être réanimée, tant pour satisfaire les besoins nationaux que pour aider à un développement socio-économique du Tiers monde n’accroissant pas la dérive climatique.
Avoir une nouvelle politique énergétique, réduire la dette, intensifier la coopération internationale pour le développement, et respecter le pacte de stabilité auront un coût.
Il va falloir accroître les impôts, taxes et prélèvements sociaux de probablement 100 milliards d’euros par an, sans pour autant affecter le dynamisme économique. Une hausse du prix des carburants, du tabac et des boissons alcoolisées paraît inévitable.
Il faudrait aussi substituer des rentrées légales de ressources à l’autofinancement des activités au noir et au banditisme, tout en améliorant notre protection sociale. Il y a en France des millions de consommateurs de cannabis et des dizaines de milliers de personnes s’adonnant à la cocaïne et à l’héroÏne. Il serait raisonnable de légaliser ces trois consommations, le cannabis étant vendu par les buralistes avec une qualité garantie, et les drogues dures disponibles dans les pharmacies sur ordonnance médicale, avec de lourdes taxes au bénéfice de l’État ; au lieu d’importer du cannabis, nous pourrions le produire dans des conditions aussi contrôlées que pour la culture du tabac.
Une union démocratique, économique et sociale
Le présent élargissement de la Communauté ne devrait être qu’un premier pas vers une Union démocratique, économique et sociale, dont les limites logiques se situent à Vladivostok à l’est, et au nord de la frontière chinoise et au milieu du Sahara au sud ce qui, en attendant une utilisation plus parcimonieuse des énergies fossiles, placerait l’essentiel des ressources de gaz naturel et de pétrole au sein de la Communauté. Temporairement, cet élargissement pose problème.
Les Pays Baltes peuvent fournir une main d’œuvre très qualifiée au dixième des coûts salariaux ouest-européens.
La Pologne peut nous approvisionner en lait et en viande à la moitié des cours des productions françaises équivalentes.
Doit-on procéder à l’union sur la base du moins-disant ou avec une harmonisation par le haut des systèmes sociaux ?
La politique agricole
La Politique agricole commune est une faillite. Rien qu’en France, des dizaines de milliers d’exploitations familiales disparaissent chaque année et notre nombre de chômeurs correspond à peu près à celui des travailleurs des exploitations agricoles ayant perdu leur emploi au fil des récentes décennies. La Pologne devra accepter de perdre rapidement 90% de ses exploitations pour aboutir, comme en Europe occidentale, à une agriculture sans paysans. L’agriculture industrielle ne s’intéresse qu’à la rentabilité immédiate, ruinant durablement la structure des terres arables, contaminant massivement les eaux de surface et les nappes phréatiques, et exigeant des subventions à l’exportation, ce qui transforme de nombreux paysans du Tiers monde en habitants des bidonvilles. L’Institut national de la recherche agronomique, après de multiples études de terrain, vient de montrer qu’en revenant à des pratiques traditionnelles (assolements en légumineuses, nourriture à l’herbe et aux protéagineux locaux, limitation drastique des intrants chimiques), on peut sensiblement améliorer les ressources des exploitants agricoles en acceptant une modeste baisse des rendements à l’hectare, rendant inutiles les subventions à l’exportation.
Je suis conscient de l’hétérodoxie de mes propos, mais un nouveau monde est à bâtir, dans l’intérêt de tous, ou de presque tous. Ce devrait être l’enjeu des prochaines élections communautaires, des positions de la Communauté auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce, puis des élections présidentielle et législatives de 2007.
[1] NDLR : Allusion aux tarifs particulièrement avantageux sur les carburants dont profitent les transporteurs routiers, les agriculteurs, et les compagnies aériennes, ce que beaucoup de gens ignorent.