Des propositions et des veaux

Tribune libre
par  T. NGUYEN MINH
Publication : décembre 2000
Mise en ligne : 24 mars 2009

À propos de l’éditorial Les dés sont pipés [1], je veux aller dans son sens, mais plus loin. À l’origine un malaise, diffus et indéfinissable, quotidien devant les valeurs de compétition, d’élitisme diffusées par notre société. On y réagit par deux types de comportement, soit je modifie le milieu selon le principe que l’individu est le produit de son milieu, soit je fais un retour sur moi-même et j’élimine de l’intérieur ces comportements nuisibles en ne faisant pas que les critiquer (du bla-bla !). Il est évidemment plus aisé de choisir la première voie sans la seconde.

Or il me semble qu’un travail sur la société qui ne s’accompagne pas d’une libération personnelle des différents préjugés et comportements nuisibles peut amener à des résultats indésirables. Un travail de réflexion un peu plus poussé que la simple demande de propositions, slogans ou programmes, serait le bienvenu. L’attitude des abonnés à la GR-ED demandant des “propositions” me parait proche de veaux trop habitués au paternalisme…

Cette situation est révélatrice d’un décalage. Demander des slogans, c’est attendre et se satisfaire d’une simplification, d’une perte de sens… par lassitude, négligence, manque de temps… ou de concentration, c’est abdiquer là sa propre autonomie intellectuelle, tout en risquant de se soumettre à un nouveau maître qui agirait pour (ou contre) nous, derrière des mots et discours réducteurs mais ô combien rassurants ! Or les slogans sont à double tranchant (rappelons nous de “Arbeit macht frei !!”). Ce que l’on risque ?— La pensée unique, exactement ce contre quoi nous nous battons.

La diversité, le contradictoire, l’incertitude, le diffus… voilà la vraie vie !

Il est pourtant simple de ne pas tomber dans le piège. Nous avons, nous Français, une vieille habitude de la synthèse, du résumé. à toujours vouloir réduire au minimum, simplifier à outrance, on finit par perdre le sens. Or, il y a une satisfaction intense face à la formule irréductible mais porteuse d’un sens totalitaire (qui expliquerait tout par sa seule force intrinsèque, puisque de façon magique) face à l’impression d’être parvenu à l’essence des choses par la déduction intellectuelle. Essence à laquelle on se soumet, reddition sans conditions, sans réflexion et sans critique ! Il y a malheureusement derrière cela un schéma imbriqué dans les êtres, un schéma occidentalo-judéo-chrétien de la domination, l’acceptation de la domination. Une habitude hiérarchisée et pyramidale de vouloir le sens, la complexité des choses, d’un unique noyau transcendantal, universel et irréductible (tel un dogme, une bible selon une lecture intégriste, un slogan, un père, un führer !) noyau originel qui nous baignerait de sa lumière bienfaisante… on fait confiance à ce dieu et on lui délègue ce qui nous reste de souveraineté intime. Or ce sont ces comportements qui après avoir nourri les églises, nourrissent aujourd’hui les fascismes et néolibéralismes et leur permettent de prodiguer leurs nuisances. Le marché est tout, l’individu, rien. Le marché est devenu le nouveau dieu, transcendant les hommes et agissant pour eux, décidant de leur avenir… Les veaux qui demandent des propositions ne font que perpétuer ce système.

Il est tellement plus rassurant de retrouver la sécurité… de l’ancien cocon familial, en toute irresponsabilité sous la protection d’un père… et d’une mère nourricière ! Ces gens se veulent assistés, ils se veulent esclaves et c’est ce qui fonde toutes les situations d’exploitation et d’inégalité. (Est-ce dû à l’incapacité d’imaginer autre chose ou, comme le dit Benjamin Constant “nous avons perdu en imagination ce que nous avons gagné en connaissance” ?) S’ils veulent modifier le système, alors qu’ils changent aussi leur façon d’être !

La situation, critiquable en elle-même, révèle aussi un certain mode de relation au système, une relation de dépendance, entre un moi qui ressent le vide de sens de son existence, et un maître, un autre (le journal GR-ED, par exemple) sensé apporter la réponse à la place de l’individu. Mais le plus grave se cache derrière la formulation même de la demande : « Quels sont vos buts, vos objectifs ? » qui dissimule en fait les questions : « Quelles garanties apportez-vous ? Êtes-vous fiables ? Quelles sont vos références ? » et révèle une culture de l’efficacité et du rendement, à la base de notre système dominant actuel. Ne leur donnons pas satisfaction, laissons-les se forger une opinion comme des grands !

Car il y a une autre voie que le paternalisme et la soumission aux dogmes et à l’autorité. Cette voie c’est se construire du sens comme on se fait un plat, d’après les divers ingrédients de l’existence (l’opportunité quotidienne, imprévisible), c’est composer avec l’inattendu en puisant dans la globalité complexe de la vie et la diversité environnante pour intégrer l’unité d’une démarche, et non l’inverse. Ceci est une pratique, et non un dogme. Ainsi le journal, ce n’est ni un programme, ni un tract. à chacun donc de se construire son opinion, son sens, à travers la lecture de différents articles de GR-ED mais aussi d’autres moyens d’information, expériences individuelles ou collectives, magiques ou scientifiques… Je m’égare.

Le cloisonnement, la simplification, la spécialisation, voilà les vraies plaies de notre époque. L’ouverture d’esprit devrait nous interdire des idées telles que “ce n’est pas mon boulot”, “ça ne me concerne pas”… La GR-ED sera-t-il le nouvel “establishment” ou un espace continu de liberté collective ? Message adressé aussi bien aux abonnés qu’à l’équipe du journal.


Réponse de la rédaction. En fait d’être le nouvel “establishment”, la GR-ED vise à la plus grande autonomie des citoyens en leur donnant la parole !


[1de GR-ED N°1002.


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