Émancipation


par  D. DELCUZE, M.-L. DUBOIN
Publication : septembre 1983
Mise en ligne : 15 octobre 2006

Ainsi l’industrialisation, en se développant a pu modifier le travail des femmes, mais sans faire progresser leur émancipation.

Citons encore une étude italienne qui montre que l’évolution des techniques qui a bouleversé les moyens de production n’a pas été, pour les femmes, une réelle évolution de leur condition.

"Face à la machine à laquelle ils (les ouvriers) sont tous asservis, la vieille distinction entre aptes et inaptes n’a plus cours, la hiérarchie liée à la diversité des tâches qui structurait et imprégnait tout l’atelier, n’a plus de raison d’être et disparaît en laissant la place à une structuration plus simple, uniquement fondée sur des nécessités objectives qui ne requièrent plus d’aptitude spécifique.

"Il semblerait donc que sur la base de ces nouvelles conditions objectives de travail, les femmes puissent obtenir cette égalité de traitement (d’exploitation) avec les hommes qui leur avait été structurellement inaccessible dans la période de la manufacture et en particulier il semblerait que sur la base de cette nouvelle division du travail, nivelée, elles puissent obtenir les mêmes tâches que leurs compagnons et donc les mêmes salaires. Il semblerait donc aussi qu’elles aient la possibilité réelle, réalisable, d’avoir une autonomie économique et de dépasser le rapport matrimonial qui, depuis l’institution de la propriété privée, avait été le moyen et la forme de l’asservissement des femmes en tant que parties de la propriété des hommes et en tant qu’instruments de reproduction et de maintien de ces mêmes propriétés.

"Le système des machines pouvait laisser supposer que les conditions matérielles qui contraignaient les femmes à devenir une partie des biens de leurs maris, seraient supprimées ou en voie d’élimination, que le temps où les femmes n’avaient pas d’autre choix que d’entrer en rapport avec les hommes pour pouvoir survivre (ou de se livrer à la charité publique, comme les veuves et les orphelins), pourrait s’achever (du moins pour la classe ouvrière) que le temps où elles avaient été contraintes de faire des enfants pour leurs maris, de les servir dans leur maison et de travailler parallèlement aux champs ou dans les activités artisanales familiales, ou encore d’entrer au service de quelqu’un, serait fini. Bref, il pouvait sembler que le système des machines fournissait tous les éléments nécessaires pour que l’on puisse déclarer que le mariage était caduc en tant que contrat où l’on échange des biens contre des femmes, il semblait que les femmes pouvaient se suffire à elles-mêmes puisqu’elles avaient la possibilité de subvenir à leurs propres besoins par leur travail, qu’elles étaient en somme des prolétaires parmi et comme les autres prolétaires. Au contraire, évidemment, cela ne s’est pas réalisé. Le rapport entre les hommes et les femmes qui travaillent, malgré la perte progressive de son contenu et la disparition de sa signification antérieure (qui est toujours celle des classes dominantes), n’a pas réussi à devenir une liberté réciproque et est même resté pour les femmes qui travaillent à l’extérieur le choix nécessaire à leur survie.

"Une fois de plus, comme à l’époque de la manufacture, les femmes sont des travailleuses différentes des autres travailleurs. Le progrès technique, la volonté et la science collective que les capitalistes s’approprient, font tomber les frontières anciennes de l’aptitude et de l’inaptitude qui cloisonnaient et divisaient la classe ouvrière et à l’intérieur desquelles les femmes se trouvaient à la dernière place.

"Cela ne veut pas dire que l’égalité et l’unité de tous les prolétaires se produisent au moment précis où le capital parvient à les exploiter le plus totalement. Les différences demeurent puisqu’elles sont nécessairement justement à la permanence et au développement du capital, différences dont la base pourtant s’estompe toujours davantage, dont le maintien devient peu à peu gratuit et irrationnel, nécessitant une contrainte toujours plus subtile et persuasive et des justifications superstructurelles toujours plus raffinées.

"Dans ce cas, les différences entre les prolétaires sont ramenées à la différence la plus "évidente", la plus "naturelle", la plus ancienne : celle de l’infériorité des femmes par rapport aux hommes. Certes, cette infériorité n’est pas la même qu’aux époques précédentes. En se fondant sur elle, le capitalisme la transforme et l’adapte mieux à ses exigences en la redéfinissant comme "naturelle" (et même pourquoi pas "providentielle") à ses débuts ...

"L’industrie capitaliste ne peut donc pas être un moyen d’émancipation pour les femmes comme elle l’avait été pour les paysans et les artisans : les femmes travaillent effectivement en masse mais ce qu’elles gagnent ne représente qu’une fraction de ce qui est nécessaire à leur subsistance. Lorsqu’ensuite le syndicalisme d’un côté, et les lois de protection de l’autre feront augmenter la valeur de leur force de travail jusqu’à des niveaux comparables à ceux des hommes, pour le capital, l’opportunité d’embaucher de la force de travail féminine disparaitra progressivement, et alors il y aura une expulsion massive des femmes hors des usines" [12].

Concluons comme E. SULLEROT dans son étude des droits de la Femme : "Plus la civilisation s’affirme et s’affine, plus la situation de la femme accuse un retrait plus important par rapport à celle de l’homme" [13].


[12Coll. Italien, L’Aptitude et l’inaptitude des ouvriers, Etre exploitées (ed. des femmes, 1974).

[13E. SULLEROT, citée par I. TINKER, Le développement contre les femmes.


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