L’ANI qui ne veut pas du bien aux salariés
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Publication : mai 2013
Mise en ligne : 3 août 2013
Gérard Filoche rappelle qu’avant 1973, le travail à temps partiel était interdit par la loi. Un gouvernement de droite, il y a 40 ans, a d’abord accepté que des « horaires de travail réduits…[soient] applicables qu’aux seuls salariés qui en font la demande ». Après quoi le travail partiel a progressivement été mis en place, dans des conditions de plus en plus précaires pour les salariés. La loi n°81-64 du 28 janvier 1981 selon laquelle « le temps partiel peut être “proposé” aux salariés de l’entreprise qui demandent à en bénéficier » a soulevé « l’hostilité de la quasi-totalité des organisations syndicales ». En 1986, le temps partiel devient travail intermittent. En 1991, il peut être mis en place « à l’initiative du chef d’entreprise, ou, s’il y a accord collectif, à la demande des salariés ». En 1993 il devient “temps partiel annualisé”. En 2000, « il peut être mis en place par un simple accord d’entreprise, sinon à l’initiative du chef d’entreprise ou à la demande des salariés par simple information de l’inspecteur du travail ». En 2008, « le temps partiel dit “modulé” est abrogé et remplacé par le temps partiel “aménagé”, plus flexible ». Tout cela aboutit à “la flexibilité” qui « n’est pas seulement un malheur, c’est une ineptie, ça ne nuit pas seulement aux humains mais à l’économie, à la productivité, ça crée du chômage, c’est un non sens ! L’ANI ne fera pas un seul emploi de plus, pas un chômeur ni un précaire de moins ».
Sur ITV, G.Filoche énumère et commente les mesures de l’ANI pour les temps partiels, qui concernent 3,7 millions de personnes, dont 85% de femmes : « c’est une passoire tellement il y a de dérogations ! Les temps partiels déjà en place ne sont pas concernés, ni les jeunes de moins de 26 ans, ni les emplois auprès des particuliers ; et les patrons pourront… vous imposer moins de 24 h de travail… Ensuite le diable est dans les détails : l’ANI flexibilise les contrats à temps partiel, salaires lissés, “paquets d’heures complémentaires” 8 fois par an à volonté de l’employeur, multiplication des coupures dans la journée, renégociation des délais de prévenance pour changements d’horaire, et baisse masquée de la majoration des heures complémentaires. L’ANI allonge aussi les durées (1.820 h au lieu de 1.000 h - article 19) du “chômage partiel”… il accroit les aides financières à l’employeur et diminue les moyens de contrôle de l’inspection du travail. » Et ce n’est pas tout : « l’extension d’une “complémentaire santé” sera soumise à d’autres négociations dans les entreprises… Le “panier de soins” sera réduit. Mais surtout l’ANI décide d’avance que c’est l’employeur qui choisira où ira l’argent : un jackpot de 4 milliards pour les assurances privées, AXA, Allianz... Cela ne s’appliquera qu’en 2016, pour la ”mise en concurrence” de la Sécurité sociale, prévue par directive européenne : l’URSAAF n’aura plus le monopole des collectes de cotisations ». Et ce n’est toujours pas tout : « Laurence Parisot dit déjà qu’il faut la dégressivité des indemnités chômage ». À propos de la création d’un droit à la “mobilité volontaire sécurisée”, Filoche explique : « Mobilité externe “volontaire” ? Le volontariat n’existe pas en droit du travail car le contrat se caractérise par un “lien de subordination juridique permanent”. Pour aller d’une entreprise à une autre il faudra l’onction de l’employeur. Au “retour“, l’ANI évoque “un poste similaire”, mais en cas de refus cela équivaudra à une démission. “Mutations internes volontaires” ?— Article 15 : ce sera “mobilité obligatoire… ou viré” ! Modèle : Francetélécom. Suite à un “accord” d’entreprise, le salarié ne pourra plus refuser une mutation géographique, dans une filiale, ou un autre poste… sauf à être licencié pour “cause réelle et sérieuse” ». Les indemnités en cas de rupture de contrat ne seront pas majorées, « ce qui va changer ce sont les critères de licenciements : jusque là, la loi protégeait d’abord ceux qui avaient des difficultés sociales, charges de famille, puis ceux qui avaient le plus d’ancienneté… C’est fini. Seront protégés en premier lieu ceux que le patron jugera “compétents”. C’est un des plus lourds reculs de l’accord. Des “pactes dits de maintien de l’emploi par accord” (toujours l’épée sur la nuque) pourront être signés, ce qui permettra de baisser les salaires et de faire varier les horaires pendant 2 ans si l’entreprise rencontre des “difficultés conjoncturelles” (elles en ont toutes). L’article 18 prévoit une généralisation de ce chantage à l’emploi : les salariés qui refusent seront licenciés pour motif économique individuel… On attendait un contrôle des licenciements, l’ANI fait le contraire : les procédures de licenciement par “plan de sauvegarde de l’emploi” vont être “allégées”. Les licenciements collectifs pour motif économique de plus de 10 salariés seront avalisés par accord collectif d’entreprise ». Les salariés pourront-ils toujours aller aux prudhommes ? « L‘ANI veut limiter les “indemnités forfaitaires” que les salariés peuvent demander aux prud’hommes, et ce, dés la conciliation. Cette “conciliation” ne pourra plus être contestée. Les prud’hommes devront former leur conviction “au vu des éléments fournis par les parties” sans pouvoir prendre, comme avant, des mesures d’instruction complémentaires. Enfin, les délais pour saisir les prud’hommes seront limités à 2 ans (au lieu de 5) pour les licenciements, 3 ans pour les salaires (3 ans en arrière au lieu de 5 ans pour les heures supplémentaires) ».
À la question : « Pourquoi le gouvernement fait-il ainsi le lit du Medef ? » G.Filoche répond : « Je crois qu’il a l’idée, fausse, que pour “faire de l’emploi” il faut amadouer le Medef. C’est aussi pour cela que 20 milliards d’euros de crédit d’impôts ont été donnés aux patrons, sans contrepartie. Grave erreur, car le Medef n’a pas du tout l’intention d’aider la gauche à atteindre son objectif d’inverser la courbe du chômage en 2013 ! » Et il conclut : « 10 millions de pauvres, 5 millions de chômeurs ! Et en dépit de tout ça, la France n’a jamais été aussi riche ! Pour sortir de la crise, il faut la relance, pas l’austérité. Non seulement il ne faut pas cet ANI, mais au contraire il faut renforcer le droit du travail. Pour être “compétitifs”, il faut des salariés bien formés, bien traités, bien payés, pas des “flexibles” ».