ÉTIEZ-VOUS sur les Champs-Elysées, le 14 juillet dernier
avec toute la famille, le grand-père (qui a fait 14-18), la tante
Honorine et le cousin Jules, pour voir défiler l’armée
française ? Moi non plus. Mais si j’en crois les journaux, les
radios et la télé, c’était un spectacle impressionnant.
Manquait pas un bouton de guêtre, comme aurait dit Mac-Mahon.
La « force tranquille » qui, à l’image du nouveau
président, se dégageait de cette troupe en marche - une,
deux ! - aux accents retrouvés de la vraie Marseillaise en imposait
aux spectateurs les plus désabusés. De quoi donner à
réfléchir à l’ennemi héréditaire,
toujours à l’affut du défaut de la cuirasse s’il lui prenait
la fantaisie de venir nous marcher sur les orteils. Qu’on se le dise.
Nous voilà rassurés, mais il était temps de réagir.
La crise économique, cette maladie du monde moderne qui, depuis
un demi-siècle déjà - mais oui ! - venue d’Amérique
avec le phylloxéra, le pou de San José et le coca-cola,
ravage les pays industrialisés, gagne maintenant la planète
tout entière. Personne, aujourd’hui, ne peut se croire à
l’abri de ce fléau mystérieux qui a résisté
jusqu’ici à tous les remèdes miracle des plus illustres
thérapeutes, chez nous, à ceux du professeur Barre. Pourtant,
tout espoir n’est pas perdu.
Le réveil soudain de l’armée française auquel tous les parisiens ont pu assister de visu le 14 juillet dernier, avec la mise en chantier de notre septième sous-marin nucléaire, en est le signe encourageant.
On pouvait craindre, en effet, que le nouveau ministre des Finances
à la recherche du fric qu’il lui manque pour acheter du pétrole,
rembourser les caisses de retraite en déficit, payer les indemnités
de chômage et les excédents agricoles, avant de pressurer
une fois de plus le bon contribuable, allait faire des coupes sombres
dans le budget de l’armée - pardon, de la défense nationale
- sous prétexte que nous n’avons plus d’ennemi héréditaire.
C’était l’occasion ou jamais. Eh bien non, ce sera pour une autre
fois. Réflexion faite, un ennemi héréditaire, en
cherchant bien, ça peut se trouver.
Il y a quelques années de cela le délégué
du Portugal à l’O.N.U. obtint un succès de tribune pour
avoir, au cours d’une réunion sur le désarmement, lancé
aux défaitistes ces paroles devenues historiques :
« Et si les Martiens attaquaient une humanité réduite
à des lance-pierre une fois que le désarmement sera devenu
une réalité ? ».
Oui, au fait. Eh bien je puis rassurer aujourd’hui le délégué
du Portugal, si par hasard il lit ces lignes. Les Martiens peuvent débarquer,
on les attend de pied ferme. Mais ce n’est pas, rassurez- vous, avec
des lance-pierre qu’on va les accueillir. L’avertissement de ce Portugais
que l’on prenait pour un hurluberlu a été salutaire. Il
a donné à réfléchir à tous les pacifistes
bêlants comme à tous nos stratèges d’état-major,
toujours en retard d’une guerre, qui se sont si brillamment illustrés
au cours du dernier casse-pipes.
Je dois dire, et il fallait le dire, que les difficultés croissantes
que rencontre notre pays, comme tous ses voisins proches ou lointains
en pleine dépression économique et soumis aux jeux alternés
de l’inflation et du chômage, n’ont pas découragé
les grosses têtes qui nous gouvernent devant le nouvel effort
financier exigé pour répondre le cas échéant
à une menace des extra-terrestres. Au contraire. A défaut
d’ennemi héréditaire, dont l’espèce, comme celle
du « libéral inguérissable », est en voie
de disparition, le Martien était bon à prendre. Même
au sérieux. Le nouveau redressement définitif que l’on
nous mijote en ce moment à Matignon fût-il aussi provisoire
que les précédents, était à ce prix.
C’est que, dans le monde déboussolé de cette fin du XXe
siècle, alors que les progrès des sciences et des techniques
dans tous les domaines ont permis à l’homme, « Cet arrière
neveu de limace qui inventa le calcul intégral et rêva
de justice » (*), d’aller dans la Lune et même sur Mars,
de vaincre la maladie et la souffrance, de faire reculer la mort, de
créer
l’abondance et de faire du Socialisme qui n’était hier qu’une
utopie, une réalité, dans ce monde devenu une poudrière,
on continue à se massacrer avec entrain, tandis que des millions
d’êtres humains oubliés de l’abondance meurent de faim.
Et la noble industrie du casse- pipes toujours florissante, devenue
le ballon d’oxygène du capitalisme moribond, lui assure une survie
momentanée en continuant d’enrichir les croque-morts.
Jusque-z’à-quand ?...
(*) Jean Hamburger : « Un jour un homme ».