L’économie distributive et le péché originel

publié en 1949

par  J. DUBOIN
Publication : 1949
Mise en ligne : 4 juin 2021

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 Sommaire

  • L’Église et la nature de l’homme
  • Du judaïsme et du christianisme
  • Apports grecs au christianisme
  • L’Écriture et la tradition
  • Du péché originel
  • Ce récit de la Genèse est aussi invraisemblable que celui de la création L’Église et la science
  • Le péché originel et saint Augustin
  • Nouvelle définition qu’en donne le concile de Trente
  • Le baptême ne devrait-il pas l’effacer ?
  • Grâce et libre-arbitre
  • Les grandes hérésies proclament la nature viciée de l’homme
  • Luther
  • Calvin
  • Le jansénisme
  • Ces hérésiarques se réclament de saint Augustin
  • Or l’Église avait évolué
  • Les chrétiens seront de bons citoyens de la société d’abondance
  • Saint Augustin voudrait que nul n’ait faim
  • On demande à Dieu le pain quotidien et non pas le travail quotidien

 L’Église et la nature de l’homme

Vous m’attirez, Monsieur, sur un terrain bien périlleux. Vous m’affirmez que si l’homme a été créé bon à l’origine et sous la forme d’Adam, sa nature a été entièrement viciée par le péché originel. Vous dites que l’Église enseigne que nous sommes tous déchus en notre premier père, parce que nous sommes tous pécheurs avec lui. Comment dès lors concilier la prétendue perfectibilité humaine avec le dogme de la corruption universelle de l’humanité, perdue par la faute d’un commun ancêtre ? Et vous invoquez saint Paul, qui voit en nous des fils de colère et de malédiction ; Pascal excellant dans ses Pensées à nous peindre sous un jour odieux ; La Rochefoucauld, qui, dans la préface de ses Maximes, dénonce l’état déplorable de notre nature corrompue par le péché ; La Bruyère pour qui notre penchant au mal est sans remède. En définitive, notre âme serait pourrie et irrévocablement souillée aux yeux de Dieu.

À cela je réponds : en assurant que l’homme est foncièrement méchant, vous répétez tardivement ce que disait l’Église il y a fort longtemps. On a tort de croire le christianisme immuable : il change comme tout change, il se modifie avec les siècles et renferme des éléments de toutes les époques et de bien des pays. Au lieu de représenter la religion comme quelque monument conçu sur un plan régulier et symétrique, il faut voir en elle un organisme vivant, se transformant avec lenteur, mais évoluant avec la civilisation. Ainsi le christianisme a dû se tempérer en allégeant la malédiction qu’il avait jetée sur la terre. De même que l’austérité dans les cloîtres s’est progressivement adoucie, que les abstinences du moyen âge sont tombées en désuétude, l’Église est devenue bien plus conciliante, plus tolérante, plus humaine. Tout en maintenant son évangile immuable et en restant maîtresse de la morale conformément à son essence, elle a dû s’accommoder aux exigences de la vie civile et finir par admettre le salut par les bonnes œuvres, ce qui, vous en conviendrez, se concilie assez mal avec la méchanceté foncière des hommes.

C’est pourtant à une discussion délicate que vous me conviez, car je puis blesser les convenances en paraissant parler légèrement de ce qui est sacré pour vous. Je cours ce risque en vous prévenant que mes explications seront un peu longues. En effet, je veux vous montrer que l’Église a défendu la nature humaine contre les doctrines pessimistes de l’hérésie, et que ce sont ceux qui prétendaient régénérer le christianisme qui ont insisté sur la corruption originelle, l’abîme du péché, l’idée de chute, donc sur la nature mauvaise de l’homme ; alors que l’importance de ces calamités s’atténuait avec le temps...