L’expertise d’un spécialiste

Lectures : où est le pouvoir qu’on croit confier à nos élus ?
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 30 avril 2007

En écrivant “Mais où va l’argent ?”, j’ai découvert et tenté de faire comprendre à quel point la démocratie est bafouée par le pouvoir financier. Quelle belle confirmation m’apporte François Morin dans son livre “Le nouveau mur de l’argent – essai sur la finance globalisée”, paru aux éditions du Seuil ! Et il s’agit en plus d’un travail de spécialiste puisque cet auteur est Professeur de sciences économiques à l’Université de Toulouse I, et qu’il publie depuis 1974 des études telles que “La structure financière du capitalisme français”, ou “Le Cœur financier européen”. Il se place maintenant à l’échelle mondiale pour décrire comment les grandes banques internationales opposent aux responsables politiques un véritable mur, ce “nouveau mur de l’argent”, pire que celui des années 1930.

Et il en décrit l’architecture :

À la base, les fondateurs, les théoriciens qui entendent libérer la finance des tutelles publiques et limiter le rôle des États à celui d’éviter l’inflation qui leur fait du tort. Grâce en particulier aux recommandations du FMI, et en agissant par étapes (marché des changes, marché obligataire, marché des produits dérivés, puis extension aux pays en développement) il ne leur a fallu que 25 ans (1970-1995) pour réussir à l’échelle de toute la planète.

La hauteur de ce mur est maintenant “phénoménale” : l’ampleur des flux monétaires qui circulent dans la sphère financière amène à employer le mot téradollar, car ces flux, qui écrasent de leur énorme poids l’économie réelle, se mesurent maintenant en milliers de milliards de dollars, ou d’euros.

Notre expert montre alors à quoi est due l’expansion de ce mur, en citant l’exigence de taux de rentabilité à court terme allant jusqu’à 25 %, alors que la croissance de l’économie réelle tourne autour de 4 %, et il ne manque pas de souligner combien pareille exigence bouleverse le management des entreprises et transfère les risques sur le monde du travail, dont elle modifie l’organisation, dès lors que le seul critère est désormais la performance financière.

Ces risques entraînent pour les sociétés des besoins de ”couverture“, d’où l’extension sans précédent des marchés des produits dérivés dont “l’encours” a été multiplié par 25 au cours des dix dernières années, dont celui des marchés non réglementés qui s’est même accru au rythme de 20 % par semestre !

Ancien membre du Conseil Général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique, François Morin a accès aux données qui sont déterminantes en ce domaine et qu’il maîtrise parfaitement. Ce qui lui permet, en s’appuyant en particulier sur celles de la Banque des règlements internationaux, de montrer le rôle devenu dominant des contrats “swaps”, qui sont des contrats de crédits croisés, auxquels un “taux swap” est attaché. En spécialiste, il explique avec clarté ce commerce extrêmement complexe, mais il n’est pas question d’entrer ici dans ces détails. Ce qui est important à retenir, c’est que, contrairement aux échanges en Bourse, où il existe des organismes de contrôle, ces contrats et ces taux swaps, qui se multiplient, restent confidentiels, ce sont les grandes banques internationales qui en négocient les taux. Et le résultat final est que ces dernières sont ainsi parvenues à imposer ces taux comme taux de référence des marchés à l’échelle planétaire. En d’autres termes, ces taux qui étaient autrefois sous l’influence des “autorités monétaires” (les Banques centrales) sont passés au pouvoir « d’un oligopole extrêmement puissant qui s’est installé au poste de commande du financement de l’économie mondiale. Ce pouvoir-là est tellement incommensurable qu’il justifie ici, et à lui seul, l’appellation de “nouveau mur de l’argent“ dont les pouvoirs grandissants ne peuvent qu’impressionner et inquiéter. Le poids de ce mur écrase aujourd’hui l’économie réelle par les prélèvements exorbitants qu’il opère ». Et l’extrême volatilité des taux qui en résulte exerce sur le financement des entreprises un poids qui s’ajoute à la pression qu’elles subissent en raison de la financiarisation de leur gestion.

François Morin poursuit la description du mur de l’argent en décrivant le ciment qui le maintient. Ce ciment est très fragile et très instable depuis que les Banques centrales ont perdu, au profit d’acteurs privés, leur fonction de régulation et qu’elles n’ont plus d’influence, même indirecte, sur les taux directeurs. D’où, au passage, une première conclusion : la revendication démocratique contestant l’indépendance des Banques centrales vis à vis du pouvoir politique est déjà dépassée !

Après avoir énuméré les lignes de faille de ce capitalisme de marché financier, qui aggrave inévitablement les dérives spéculatives, dont il donne quelques exemples notoires, notre auteur présente le maître de l’ouvrage, à savoir l’ensemble formé des institutions internationales, des banquiers centraux, et des investisseurs et autres intermédiaires. Il décrit le jeu de ces acteurs, en n’hésitant pas à chiffrer leurs profits respectifs et leurs moyens. Il montre que c’est une banque détenue par les grandes banques internationales, la CLS Bank, qui règle les opérations de change. Et il insiste sur le fait que l’ensemble décrit plus haut sous le nom de maître d’œuvre, dispose d’un système de communications privées qui lui est réservé : la société Swift. Cette “Société pour la communication financière interbancaire mondiale” assure à ce maître d’œuvre, outre la technique informatique la plus performante, toute la sécurité qu’il souhaite et, bien entendu, le secret. Le nombre de banques membres de cette société Swift à l’origine, en 1973, était 239, dans 15 pays, il est passé depuis à plus de 7.500 dans 199 pays. Près de 10 millions de messages, correspondant à des transactions évaluées à la bagatelle de 6.000 milliards de dollars, y sont échangés chaque jour, sans qu’aucune institution internationale soit en mesure de fixer des règles à ce marché.

Faut-il laisser faire ou faire front ? À cette question qu’il pose, François Morin répond évidemment en économiste : il souhaite que se recomposent au niveau international des instances politiques qui permettraient de piloter la mondialisation, et il cite les nouvelles régulations qui lui semblent nécessaires.

…Mais qui sont aussi difficiles à faire comprendre, puis à obtenir, que ce que nous proposons…


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