L’impossible solution

Michel Debré a raison, mais...

par  R. KOPINSKI
Publication : juin 1980
Mise en ligne : 6 octobre 2008

Oui, M. Michel DEBRE a raison, la France ne doit pas vieillir. Actuellement elle est en train de vieillir parce que les divers progrès des sciences prolongent heureusement la vie et parce que les jeunes ménages ont moins d’enfants. Si notre population diminue en nombre nous serons bientôt considérés comme une Nation en déclin, alors que l’esprit, la culture, la science de notre pays ont été longtemps admirés dans le monde entier.
Oui, M. DEBRE a raison, mais il n’a vu apparemment que la moitié du problème. Pourtant le vieil adage « gouverner c’est prévoir  » devrait l’inciter à tenir compte de l’influence de la conjoncture sur le désir des Français d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants. Or, il n’en parle utilement jamais.

LE VRAI PROBLEME :

La conjoncture, en effet, n’est pas favorable à la progression démographique pour deux raisons principales : morales et matérielles, encore que les soucis matériels agissent sur le moral. William BOOTH, le fondateur de l’Armée du salut, a déclaré, paraît-il, un jour : « qu’il ne sert à rien de prêcher la morale à un homme qui a les pieds dans l’eau ». Si cela est vrai, les difficultés matérielles auxquelles de nombreux Français ont à faire face ne les incitent pas, quoiqu’on en dise, à compliquer davantage leur vie en fondant ou en agrandissant une famille.
Mais comment se fait-il que les Français soient accablés de soucis quand les progrès de toute sorte devraient leur faciliter la vie ? Sans connaître les causes profondes de la situation économique, sociale, politique actuelle chacun est conscient que les choses ne vont plus comme elles devraient aller. On sait que le progrès technique peut supprimer des emplois et on croit qu’il en crée aussi de nouveaux. Mais l’irruption de l’électronique, de l’informatique et de tous les microprocesseurs emporte, comme une avalanche, toutes les idéologies, toutes les doctrines, toutes les traditions du passé, qui toutes sont basées sur la sentence : «  Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
Or, l’automation devient un concurrent inexpugnable du travail humain. De plus en plus nombreux sont ceux qui ont perdu leur emploi pour lequel ils avaient pourtant consacré des années d’études et de formation professionnelle et de nombreux jeunes, manuels ou intellectuels, avec ou sans diplôme, ne trouvent pas de travail.
Le nombre clé chômeurs ne peut qu’augmenter, d’autant plus que la compétition internationale oblige à débarrasser la production industrielle comme la production agricole et le secteur tertiaire de toutes les scories qui pèsent sur les prix de revient. Les charges salariales dues aux lois sociales et à certaines taxes sont les scories les plus lourdes et pourtant elles ne peuvent être supprimées.
Toute Entreprise doit être compétitive sur le plan intérieur comme sur le pan du commerce international si elle ne veut pas disparaître. Elle doit donc tendre vers l’automatisation, car une machine automatique est toujours moins coûteuse que la main-d’oeuvre qu’elle remplace et quand elle est amortie elle travaille pour ainsi dire gratuitement, même si elle doit faire des heures supplémentaires. Dans ces conditions les protestations des syndicats de salariés contre les licenciements ne peuvent abolir l’obligation impérative de compétitivité pour toute Entreprise et quel qu’en soit le Patron, un particulier, un Conseil d’Administration ou l’Etat et cela tant que nous vivons dans le cadre d’une économie de marché.
Précisons que toute économie de marché, qu’elle soit capitaliste ou qu’elle soit dite socialiste, est en opposition avec l’intérêts des salariés c’est-à-dire de la majorité de la population, car elle a pour objectif, dans un cas comme dans l’autre, la réalisation d’un profit maximum. A cet effet, elle doit pratiquer les prix de vente les plus élevés compatibles avec ceux de la concurrence et elle doit diminuer le plus possible les prix de revient, c’est-à-dire elle doit baisser la masse salariale et toutes charges qui s’y rapportent.
Dans ces conditions, comment peut-on délivrer la population française de la crainte du chômage ou d’un pouvoir d’achat insuffisant. Comment peut-on délivrer la jeunesse de la hantise de n’être utile à rien et de ne pas même pouvoir fonder un foyer  ? Comment avoir confiance dans l’avenir si l’on ne peut être rémunéré qu’en fonction d’un travail fourni, quand il devient évident, sauf pour ceux qui ne veulent pas voir, que le travail humain, que les emplois, commencent à se raréfier ?
L’ancien ministre de l’Economie Nationale et des Finances qu’est M.  Michel DEBRE peut-il admettre cette réalité nouvelle, inconnue dans l’Histoire et intimement liée au, problème démographique : le colossal progrès des techniques, que de nouvelles énergies vont encore amplifier, rend caduques les lois fondamentales de toute économie rie marché et de notre système financier. Par conséquent, la situation sociale ne peut que s’aggraver et les jeunes Français auront de moins en moins le moral pour fonder un foyer ou pour avoir plusieurs enfants.

L’IMPOSSIBLE SOLUTION

Tant que nous restons confinés dans le cadre d’une économie de marché périmée, tout espoir de voir le nombre de naissances augmenter est une utopie. Le récent projet gouvernemental d’assurer, à partir de 1981, à toute famille riche d’au moins 3 enfants un minimum de ressources de 4 200 francs n’apparaît-il pas illusoire, aléatoire et lourd de menaces inflationnistes pour le Budget de l’Etat ?
L’espoir de voir l’inflation jugulée dans les mois à venir est également une illusion d’autant plus tenace que depuis plus de 50 ans il nous a toujours déçus. Qualifier l’inflation de maladie de l’économie ne peut être qu’un alibi pour faire oublier que les meilleurs spécialistes mondiaux des finances n’ont jamais réussi qu’à la ralentir par périodes, non à la vaincre. Si nous ne voulons pas nous leurrer nous-mêmes, constatons la réalité inflationniste de notre système financier.
La seule question qui se pose est de savoir comment donner aux hommes et aux femmes de ce pays la joie de vivre, la joie de procréer et d’élever des enfants sains et robustes, dans une sécurité matérielle assurée parce que basée sur le potentiel pie production en augmentation constante et non sur une valeur évanescente du salaire ou de la monnaie.
Il est facile d’esquiver la réponse à cette question en proclamant par exemple que les femmes, au lieu de travailler hors du foyer, devraient rester à la maison et faire des enfants. C’est oublier que la majorité des femmes qui « travaillent » le font par nécessité quand le salaire du mari ou du père de famille est insuffisant. Il y a des femmes qui exercent avec plaisir une profession qui les intéresse et elles réussissent généralement très bien dans leur carrière. Que celles qui souhaitent avoir une occupation professionnelle soient libres de le faire, mais il faut que celles qui préfèrent avoir et élever des enfants soient absolument assurées de le pouvoir en disposant d’un logement et de ressources suffisantes.
Est-ce possible ? Pour trouver la réponse, M. DEBRE pourra-t-il admettre qu’aux problèmes nouveaux de notre temps doivent correspondre des solutions nouvelles hors de tout exemple du passé ? M. DEBRE aura-t-il le courage de se remettre lui-même en question en même temps que les structures traditionnelles de l’économie, de revenir aux sources de son propre bon-sens au lieu de rester obstinément fidèle à une orthodoxie économique qui, elle, ne réussit qu’à rafistoler, à temporiser sans résoudre jamais aucun des problèmes modernes ?
Voudra-t-il se reporter par exemple aux vues prophétiques d’un ancien s/secrétaire d’Etat au Budget qui, dès les années 30, avait décortiqué de façon inédite les éléments de la fameuse crise économique mondiale et prévu le désordre économique, financier et social que nous vivons actuellement ?
il s’agit de l’oeuvre de Jacques DUBOIN qui démontre que le progrès technique nous oblige à remplacer l’économie marchande par une économie qu’il a appelée « distributive  ». Si M. DEBRE se donne la peine de lire lui-même l’oeuvre de Jacques DUBOIN sans se contenter de parcourir des résumés plus ou moins déformants, il sera surpris d’y redécouvrir des évidences oubliées et peut-être arrivera-t-il à la même conclusion que celle formulée en son temps par Emile SERVAN-SCHREIBER lorsqu’il disait que Jacques DUBOIN a eu le tort d’avoir raison 50 ans trop tôt. Nous y sommes. Je lui souhaite ce courage pour le bien de tous les Français.


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