La gauche, c’est par où ?


par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 3 décembre 2007

Telle est bien la question qu’on se pose quand on voit les infirmières faire le siège, jour et nuit, de leur Ministère de tutelle pour l’amener à découvrir dans quelles conditions elles assument leurs tâches. Et la violence des paysans mécontents n’augure rien de bon.

Certains en profitent pour proclamer haut et fort : « Le socialisme est en train de mourir ! ». D’autres, malheureusement moins entendus, préfèrent réfléchir et faire des propositions « pour redéfinir le socialisme », tel André Gorz avec le livre [1] qu’il vient de publier.

Comment ne pas adhérer pleinement lorsqu’il dit qu’un projet de société doit mettre « les buts économiques au service de l’autonomie des individus et de la société » ? Car il pose bien les questions fondamentales de notre époque : « Que doit être une société dans laquelle le travail à plein temps de tous les citoyens n’est plus nécessaire ni économiquement utile ? Quelles priorités autres qu’économiques doit-elle se donner ? Comment doit-elle s’organiser pour que les gains de productivité profitent à tout le monde ? ». Et enfin « Comment doit-elle redistribuer au mieux tout le travail socialement utile, de manière que tout le monde puisse travailler, mais travailler moins et mieux, tout en recevant sa part de richesses socialement produites ? »

Sa réponse, si elle n’est pas immédiatement le socialisme distributif, est en tout cas une transition vers lui. Elle passe par une politique de réduction du temps de travail (RTT), déjà présentée dans un autre ouvrage, “ Métamorphose du travail” que nous avons analysé ici-même, il y a trois ans [2]. Cette RTT est un contrat social : « Il s’agit…de gouverner un développement en cours en choisissant par avance des fins que nous entendons lui faire servir. La politique, c’est cet ensemble de choix, ou alors elle n’est rien.…mais elle n’aura de portée réelle que si, dès la fixation de l’échéance à laquelle la RTT entrera en vigueur, syndicats, associations d’usagers et de consommateurs participent de plein droit, à tous les niveaux, à l’élaboration des prévisions, des programmes et des orientations prioritaires. C’est là une conception élargie des compétences syndicales qui n’a cessé d’être défendue en Italie et qui commence à l’être en Allemagne et en Grande-Bretagne, au nom de cette démocratie économique inscrite depuis au moins quarante ans au programme de toutes les gauches ».

Cette dernière remarque, au passage, conforte notre détermination à agir sur le plan européen, comme nous essayons de le faire dans le cadre des associations BIE N et Europe 93.

André Gorz offre ainsi une redéfinition du socialisme : « Lutter pour le socialisme, c’est revendiquer dans tous les domaines le droit des individus à l’autodétermination, à l’égalité, à l’intégrité de la personne, en agissant pour que puisse être remodelé tout ce par quoi la société fait obstacle à ce droit » rejoignant ainsi Rainer Land [3] pour qui le socialisme « est une société qui se développe de manière à créer, dans les domaines de la civilisation matérielle, du travail, du cadre de vie, de la consommation, des espaces croissants pour l’épanouissement des individus ».

C’est très exactement le contraire de ce qu’amène le capitalisme libéral et son idéologie de compétitivité mercantile, qui entrave le développement de la personnalité en diminuant l’autonomie des individus. Nos lecteurs se souviennent de la façon dont cette mainmise du mercantilisme est dénoncée dans "Les affranchis de l’an 2000". André Gorz parle de l’impérialisme de la rationalité économique, décrivant « les experts patentés qui vous dépossèdent de la possibilité de déterminer vous-même vos besoins, vos désirs, votre manière de gérer votre santé et de conduire votre vie ». Il montre que la politique menée par “nos gouvernements” (y compris le nôtre qui se prétend socialiste) parce qu’elle est une politique de l’emploi pour l’emploi, creuse de plus en plus le fossé entre les riches et les pauvres et ceci pour la raison suivante : les pauvres, si vous augmentez leurs ressources, consomment plus de produits et de services courants donc industrialisés et qui demandent relativement peu de main d’œuvre, si bien que cette augmentation de leurs revenus crée finalement peu d’emplois. Au contraire, en augmentant le revenu disponible des riches on fait augmenter la consommation des produits de luxe et de services personnels dont le contenu en travail humain est beaucoup plus élevé. Et c’est ainsi que se développe « une énorme sous-classe de serviteurs pour agrémenter la vie et les besoins de loisirs des couches solvables » . Si bien, conclut Gorz, qu’on aboutit à ce paradoxe explosif : « la création d’emplois dépend principalement, désormais, non pas de l’activité économique, mais de l’activité anti-économique…la création d’emplois n’a plus pour fonction d’économiser du temps de travail à l’échelle de la société mais de gaspiller du temps de travail pour le plus grand agrément de ceux qui ont de l’argent à dépenser. Le but est désormais de réduire la productivité et de maximiser la quantité de travail par le développement d’un tertiaire qui ne crée pas de richesses ! »

Une démonstration magistrale de l’absurdité de notre époque en même temps qu’un véritable programme socialiste.


À cet article Gérard Horst/André Gorz répondait dès le 7 décembre suivant :

Chère Marie-Louise Duboin,

À la lecture de votre éditorial de novembre, je voulais vous écrire tout de suite. Votre article est du genre dont, habituellement, un auteur peut seulement rêver : découvrir qu’il a été lu, qu’il a été compris, qu’il a trouvé un témoin capable de restituer et de commenter l’essentiel de ce qu’il a voulu dire, l’essentiel seulement, sans s’égarer dans l’accessoire. Et vous n’avez même pas, cette fois, relevé mon silence (sauf une remarque en passant) sur les problèmes financiers qui, pourtant, occupent une place centrale dans votre propre réflexion – à juste titre.

Avec un mois de retard, je vous dis ici ma gratitude.

Ce mois a été largement occupé, chez moi, par des ennuis dentaires qui, je le crains, ne prendront pas fin avant le mois prochain, au plus tôt. Nous allons rarement à Paris ; mais nous comptons bien vous faire signe à la prochaine occasion. De votre côté, si vous passez par Troyes, prévenez nous : nous n’avons pas changé de téléphone. Nous aurons grand plaisir de vous revoir.

Amicalement vôtre.

G.H.


[1“Capitalisme Socialisme Ecologie Désorientations Orientations ” Editions Galilée. Octobre 1991.

[2GR n°872 de Novembre 1988.

[3Professeur à l’Université Humboldt de Berlin-Est.


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