La leçon du vivant
par
Publication : juin 1990
Mise en ligne : 17 mars 2009
Dans les années qui suivirent la seconde guerre
mondiale, Jacques Duboin affirmait que la reconstruction serait rapide,
et que "ce qu’on appelle la crise" (1) c’est-à-dire
"la grande relève" , reviendrait vite car les nouvelles
technologies, bouleversant les modes de production, avaient un effet
révolutionnaire. Personne, à cette époque, ne s’en
doutait. et il serait passé pour un utopiste et un visionnaire,
s’il n’avait eu à ses côtés des scientifiques capables
d’apporter leurs connaissances à l’appui de sa thèse.
Parmi eux, un jeune ingénieur impressionnait, non seulement par
son talent d’orateur, mais aussi par sa compétence, il était
spécialiste en cybernétique, c’était Albert Ducrocq.
Depuis cette époque, la carrière du "père
du renard électronique" est impressionnante. Mais son activité
ne l’a pas empêché, et c’est extraordinaire, de publier
plus de trente ouvrages sur l’évolution foudroyante de la science,
en particulier sur l’exploration de l’espace, tous riches de ses réflexions
sur la portée de ces découvertes quant à l’avenir
de l’espèce humaine.
Du dernier en date, "L’objet vivant le champ des émergences"
(2), je n’arrive pas à savoir ce que j’ ai le plus apprécié,
du sujet, qui est passionnant, de la somme de travail et de l’érudition
de son auteur, ou du style dont la clarté n’a d’égale
que la précision
Le sujet ? Rien moins que la vie et l’extraordinaire leçon que
la biologie apporte à toutes les autres sciences : une leçon
pour tous les chercheurs qui découvrent la complexité
et, avec elle, les limites du raisonnement cartésien. La pensée
scientifique est amenée aujourd’hui à se mettre à
l’école du vivant, car l’homme en s’étudiant luimême
s’est lancé "dans la plus exaltante des aventures"
qui "l’instruira beaucoup plus que toute exploration lointaine".
"C’est franchir une grande étape dans la connaissance du
phénomène humain que de comprendre les énergies
dont il est issu".
Ce livre n’est pas un simple ouvrage de vulgarisation. C’est beaucoup
plus. La fabuleuse aventure de la vie est expliquée dans sa logique
stupéfiante, dont Albert Ducrocq démonte la complexité.
Depuis sa source, car, explique-t-il, la substance de l’objet vivant,
c’est le milieu lui-même. Un système autonome sera simple,
donc sa génération spontanée concevable, si son
milieu est simple, celuici sera ainsi le creuset de systèmes
vivants qui subsisteront si à chaque étape de la complexification
du milieu, ils répondent en se complexifiant eux-mêmes.
Les océans du précambrien offraient un tel milieu rudimentaire,
alors que la formation spontanée d’un objet biologique est impensable
sur les riches continents actuels ...On comprend alors comment la gravitation
est à l’origine de la formation d’une étoile, où
l’hélium se transforme ensuite en hydrogène, puis en carbone,
puis en néon, en oxygène, en fer, etc. La Terre est une
étoile très particulière : elle est assez petite
pour avoir un sol, et elle est assez grosse pour qu’une enveloppe gazeuse
puisse la protéger. Elle remplit donc les conditions pour être
le théâtre privilégié où le libre
jeu des forces électriques donne naissance à des microstructures
hautement élaborées. Celles-ci deviendront des molécules,
minérales ou organiques (c’est-à-dire contenant du carbone),
qui, stables ou instables sont toutes nées de rencontres fortuites,
car en une seconde une molécule en rencontre des milliards d’autres.
Des réactions chimiques se produisent, mais ne subsistent que
certains composés qui se complexifient.
On pénètre alors dans un monde que les ordinateurs modernes
savent simuler. Ceci a permis récemment de montrer la propension
d’un réseau de molécules à engendrer des molécules
toujours plus complexes, les molécules "biologiques"
agissant sur le milieu en renforçant leur autonomie par la seule
logique des systèmes si clairement analysée
par Albert Ducrocq. Mais tout système, si complexe soit-il, ne
peut survivre que pendant une durée limitée. II faut qu’il
se reproduise. En fait, l’autonomie transitive n’est pas assurée
à un matériel (un objet vivant) mais à un sémantiel
(mémoire d’une organisation acquise). Alors entrent en jeu les
molécules d’ADN... Et la complexification continue, permettant
au passage l’émergence du cerveau, cette merveille qui nous permet,
entre autres prouesses, de reconnaitre un être humain parmi des
milliers d’êtres semblables,.ce qu’il est si difficile d’enseigner
à un ordinateur.
Mais je ne vais pas ici résumer ce livre. D’abord parce que ce
n’est pas possible. Et puis parce que je veux laisser à nos lecteurs
la joie d’y découvrir eux-mêmes.ces réponses à
des questions éternelles : Qu’estce que la vie ? ou plutôt
: Qu’est-ce qui caractérise un être vivant ? La science
moderne répond sous la plume d’Albert Ducrocq : "L’autonomie
qui lui permet d’être et la liberté par laquelle il peut
progresser".
Belle leçon à méditer, en particulier par les économistes
qui devraient appliquer à la société les recettes
de la vie.
Ce livre fera-t-il comprendre que l’avenir doit être dans la recherche
d’un équilibre, et non de passer, comme sont en train de le faire
les pays de l’est, d’une tendance extrême à son opposée
: ni le communisme, tel que la dictature stalinienne l’a caricaturé,
ni le libéralisme dans lequel la liberté se mesure au
contenu du porte-monnaie. Albert Ducrocq, il me l’affirme en m’envoyant
son livre, n’oublie pas l’économie distributive. Celle-ci constitue
justement la troisième voie, la voie intermédiaire. Elle
permet de trouver l’équilibre nécessaire parce qu’elle
apporte les moyens d’une gestion raisonnée entre le "toujours
plus" auquel la société de consommation a habitué
les riches et les nécessités de l’écologie si nous
voulons que l’épopée de la vie ait une suite pour nos
descendants.
Marie-Louise DUBOIN
(1) Titre d’un livre de J Duboin, publié en
1934
(2) Publié chez Stock, octobre 1989