Échos sur le débat économique en URSS
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Publication : juin 1990
Mise en ligne : 17 mars 2009
Si les pays de l’Est se jettent à corps perdu
dans le libéralisme, (encore que certains, comme la RDA, commencent
à se poser quelques questions) l’Union Soviétique s’interroge,
elle, sur son avenir économique, comme en témoignent de
nombreux titres de la revue "Actualités soviétiques"
"Reconversion"," Le rouble convertible : mythe ou réalité ?"(N°
932 du 20.4.90), "Réforme", "Apprendre le marché"(N°
936 du 25.4.90), "Les problèmes économiques et les
moyens de les résoudre", "Les voies difficiles de la
privatisation" (N° 938 du 4.5.90), etc ...On voit à
la lecture de ces articles que si tout le monde s’accorde à reconnaitre
que l’économie, dite socialiste, telle qu’elle était pratiquée
en URSS jusqu’à présent, a été un échec,
le "passage à la régulation de l’économie
parle marché" ne va pas sans poser de sérieux problèmes.aux
économistes et dirigeants soviétiques. C’est ainsi que
S. Chataline, grand économiste et membre du conseil présidentiel,
met en garde "contre des opérations neurochirurgicales avec
une hache" lors du passage au marché. Il faut, ditil, "tenir
compte entre autres choses, du fait que la population n’y est pas préparée
...Si nous voulons mettre en place une économie saine et non
une fosse commune, il faut agir avec précaution et de manière
avisée, la première tâche étant de garantir
que les catégories de la population faiblement et moyennement
rémunérées ne soient pas affectées parle
passage à une économie de marché." La réforme
ne peut être réalisée que sur la base de l’entente
nationale, de la confiance envers le gouvernement. Pour cela, le gouvernement
doit prouver par des actes qu’il contrôle la situation, qu’il
sait ce qu’il faut faire et qu’il n’ignore pas les conséquences
éventuelles de ses mesures. Le marché est un excellent
mécanisme mais il ne résout pas tous les problèmes."
Le marché c’est donc la grande affaire de l’URSS. On en parle
beaucoup et on écrit beaucoup à son sujet.
Les Japonais qui ont la réputation d’être
de fins connaisseurs du marché estiment que les transformations
politiques, le processus impétueux de démocratisation,
la nouvelle approche de la politique extérieure ont devancé
la réforme économique " Le chemin soviétique
vers le marché s’avère plus long et plus difficile qu’on
ne le croyait au stade initial de la pérestroika." Pour
L. Abalkine, vice-président du Conseil des Ministres de l’URSS,
il n’est pas question de suivre le même chemin que les autres
pays de l’Est. `L’analyse approfondie des processus qui s’opèrent
en Pologne et dans les autres pays de l’Est montre qu’il est impossible
de calquer notre modèle sur ce qui a été fait ailleurs.
Les pays sont différents, chacun a son histoire politique et
économique, ses traditions, ses problèmes économiques
et politiques. Donc les spécialistes et hommes dEtat soviétiques
utilisent tout ce qui est intéressant et utile dans les autres
pays après l’avoir passé au filtre des problèmes
concrêts de l’URSS avant de décider des voies à
prendre pour instaurer le marché .... Etant donné la complexité
du chemin que l’économie soviétique a pris depuis la pérestroika,
le chemin de l’économie de marché ,c’est celui de la "Terra
Incognita" ; ce sont des sentiers inconnus sur lesquels de nombreux
imprévus nous guettent. Le marché, c’est la liberté
du vendeur et du client, sinon le marché n’existe pas. Or, le
dogme officiel réfutait cette liberté, ce qui a conditionné
fortement les soviétiques. On peut aussi se demander ce que deviendront
les relations avec les autres pays de l’Est habitués depuis des
générations à des livraisons soviétiques
strictement centralisées. Abalkine répond : "Le problème
du commerce extérieur est étroitement lié à
la solution des problèmes économiques intérieurs.
Nous insistons sur lélargissement de l’indépendance des
entreprises soviétiques, tant d’état que les coopératives,
et sur l’extension de leur liberté, y compris pour l’établissement
de leurs plans et l’écoulement de leur production." Les
responsables gouvernementaux sont conscients que cette conception du
gouvernement soviétique implique le passage aux prix mondiaux
et aux réglements en monnaies convertibles. C’est un sujet qui
échauffe les passions des économistes soviétiques.
Si tout le monde est unanime pour reconnaitre la nécessité
de cette convertibilité, on s’interroge pour savoir s’il faut
l’introduire dès aujourd’hui ou attendre le moment propice et
comment l’introduire. La grande question est : l’Union Soviétique
est-elle capable d’assurer la paritéor du rouble ou sa parité-marchandise
adéquate ? Nous noterons pour notre part qu’assurer la parité-or
nous semble tout à fait démodé, puisque chacun
sait que cette parité n’existe plus pour aucune monnaie !
En ce qui concerne la parité-marchandise, les économistes
soviétiques reconnaissent qu’elle est actuellement impossible
car le pays manque de marchandises pour satisfaire la demande élémentaire
des consommateurs. Le déficit est estimé à environ
165 milliards de roubles, ce qui constitue près de la moitié
du chiffre d’affaires annuel du commerce du pays. De plus il existe
une demande différée de 340 milliards de roubles déposés
à la Caisse d’Epargne destinés à des achats de
longue durée : voitures, appartements en copropriété,
meubles,... Dans ces conditions il n’est pas sérieux d’intervenir
avec le rouble sur les marchés internationaux : sans la convertibilité
intérieure, la convertibilité extérieure n’est
pas possible non plus. Un des conseillers économiques du Président,
N. Pétrakov, fait remarquer : "Nous ne réussirons
pas à restructurer notre économie sans la rendre ouverte
sur le marché mondial. La tentative de l’assainir sans participer
activement à la division internationale du travail est une voie
absurde. Nous avons besoin de technologies occidentales, de capital occidental.
Mais nous ne les aurons jamais si nous ne pouvons pas les rembourser
avec un rouble fort".
Il parait que l’idée de la convertibilité urgente du rouble soviétique s’est aussi emparée des experts étran gers à tel point que le Fonds FERS et l’Institut Eselen des Etats Unis ont lancé, en collaboration avec l’institut d’Economie de l’académie des Scien-ces de l’URSS, un concours international pour le meilleur projet de transformation du rouble en monnaie librement convertible Le gagnant se verra attribuer un prix de 25 000...dollars !