Le mur

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : février 1986
Mise en ligne : 17 juin 2009

Quelle évolution ! Malgré ce que nous écrivent encore certains correspondants qui se lamentent de l’incompréhension qu’ils rencontrent en exposant nos thèses autour d’eux, il est indéniable que nos idées ont énormément progressé ces dernières années. Outre le fait qu’on parle un peu partout (voir par exemple, « Libération » du 18 novembre 1985) de revenu minimum garanti (ce qui, il y a vingt ans, paraissait une impensable utopie), que de chemin parcouru depuis le temps où Jacques Duboin n’était pas pris au sérieux lorsqu’il annonçait que « Ce qu’on appelle la crise (1)  » n’était autre que la mutation de notre société vers l’ère post-industrielle ! Cette conscience de l’énormité de la transformation en cours se manifeste par le fait que les médias ne se ferment enfin plus systématiquement aux réflexions de gens formés à l’école Duboiniste : c’est un jour un quotidien qui accepte un article, et J. Rozner ou J. Robin parlent de « grande relève » dans « le Monde »  ; c’est G.H. Brissé qui avance dans « La Croix » l’idée d’une monnaie de consommation non thésaurisable  ; ce sont les éditions Plon qui acceptent que dans un livre sur les transformations technologiques en cours, notre ami A. Ducrocq annonce que « les économies devront abandonner l’actuelle formule de la redistribution au profit de la distribution » et que «  nous nous acheminons vers une économie distributive ».
Bref, nos idées se répandent enfin et les lecteurs qui se lamentent seraient beaucoup plus optimistes s’ils étaient plus attentifs à la multiplication de diverses manifestations allant dans le sens de nos thèses, c’est un jour un film télévisé qui en témoigne, le lendemain une émission de radio... C’est que la pression des faits que nous annonçons depuis longtemps dans nos colonnes est irrésistible. Elle est à la veille d’être bien plus forte si les recommandations du rapport de D. Taddéi (député du Vaucluse), sur l’aménagement du temps de travail sont mises en application. Ce rapport (2) préconise en effet la diminution, dans le secteur industriel, du temps de travail des salariés en faisant tourner beaucoup plus les machines avec des équipes plus nombreuses qui se relaieraient : par exemple, deux équipes travaillant trente heures feraient marcher une machine 60 heures, au lieu d’une quarantaine d’heures actuellement.
La création par le gouvernement socialiste du CESTA (Centre d’Etudes des Systèmes et Techniques Avancées) sous l’impulsion d’un homme aussi dynamique que J. Robin est un facteur très positif dont on peut espérer beaucoup pour la diffusion de nos idées, si un changement politique ne vient pas arrêter son élan...
A l’étranger aussi de semblables mouvements d’idées se manifestent et « les dossiers de la Grande Relève » ont entrepris d’en témoigner.
Par contre, la grande majorité de la population reste indifférente  : elle sent bien que « les choses ne sont plus comme avant », mais de là à admettre qu’il va falloir changer fondamentalement nos habitudes économiques et monétaires, non ! Il y a un blocage, un mur.
Quel mur ? le mur des habitudes, des conditionnements, des idées reçues. Il ne s’agit pas, comme le pensent certains distributistes, d’un « mur du silence » élevé par les puissances d’argent contre la diffusion de nos thèses. Il s’agit plutôt d’un blocage de l’imagination, blocage dont on a établi la réalité scientifique depuis peu et qui commence seulement maintenant à faire l’objet de recherches sérieuses. Il suffit pour le comprendre de lire les ouvrages de H. Laborit : dans « L’homme imaginant  », essai de biologie politique, il dit clairement que «  le facteur essentiel d’une évolution de l’humanité technicisée ne paraît pas résider seulement dans une transformation socio-économique, mais dans l’extension d’une culture basée sur une accumulation de connaissances, sur la restructuration mentale du plus grand nombre d’hommes. C’est qu’en effet l’homme est fortement et, le plus souvent inconsciemment, conditionné par son environnement, son éducation, sa biologie. Selon Laborit, le seul moyen de s’en tirer c’est d’acquérir la connaissance : « ou l’humanité aura comme finalité essentielle de fuir l’ignorance et l’unidisciplinarité idéologique et technique, ou elle demeurera dans le chaos, la souffrance et le meurtre. L’ignorance et le conditionnement sont les vrais ennemis de l’homme, tant du prolétaire que du bourgeois. L’ignorance ne vient pas seulement de la difficulté que certains hommes rencontrent à s’instruire. Elle vient aussi du fait que l’homme ne cherche le plus souvent à connaître que ce qui satisfait ses désirs. Il cherche dans la connaissance la reconnaissance de ses pulsions primitives ou secondaires et interdites, une justification de ses jugements de valeur ». Un peu plus loin Laborit précise  : « l’homme en tant que structure vivante est lié à des mécanismes biologiques indispensables à sa survie... Ils font de l’homme un animal et si cet animal est de plus un être pensant, ces mécanismes ont une part importante à jouer dans le mécanisme de cette pensée. Enfin, les rapports interhumains, les rapports sociaux quels qu’ils soient, se réalisent sur leur base inconsciente et toujours présente ». Est-il vain alors de chercher à changer les comportements humains ? Bien heureusement non ! Et Laborit nous précise : « il paraît nécessaire, pour fournir une signification à la vie individuelle, et pour que cette vie participe à la survie de l’espèce, de lui permettre de contrôler les facteurs qui la commandent et de lui fournir une description d’ensemble du système complexe dans lequel elle intervient, N’est-ce pas cela que l’on pourrait définir comme « participation » ? Participation non point aux bénéfices... mais à la compréhension générale des ensembles socio- économiques de l’époque  ».
Pour nous, le message de Laborit est très clair : il faut continuer sans cesse à démonter les rouages de l’économie de profit, montrer dans quelle impasse elle nous amène et l’opposer à ce que pourrait être une société basée sur l’économie distributive. Nous sommes tous concernés et les lecteurs de la Grande Relève en premier lieu.

(1) Titre d’un livre publié par J. Duboin en 1934.
(2) Voir « Le Monde » du 26 septembre 1985.


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