Tapie Alibi, les Français coupables
par
Publication : février 1986
Mise en ligne : 17 juin 2009
Les Japonais, les Américains, les Allemands
réussissent, mais... pas les Français ! Sauf... quelques
hommes qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent et qui sont
les gestionnaires modèles de notre économie. Bernard TAPIE
est de ceux-là. Pas un mois ou les médias ne nous le servent
comme plat du jour. C’est à qui donnera la recette miracle, illustrée
d’exemples concrets pris dans la quotidienneté du groupe TAPIE.
Ce n’est pas le système économique qui est en cause, mais
ce sont bien les hommes. La preuve... quand le dirigeant est valable,
les entreprises tournent !! C’est ainsi que l’on développe le
sentiment de culpabilité nationale.
Mais lira-t-on jamais, ailleurs que dans la Grande Relève, une
information qui tienne compte de la globalité des éléments
? L’article ressemblerait à celà : « Tel marché
actuellement contrôlé par une dizaine d’entreprises s’est
considérablement réduit compte tenu de la baisse de la
demande et de l’augmentation de la productivité. Trois entreprises
devront fermer leurs portes pour que, sur ce marché, l’offre
et la demande se rééquilibrent et permettent aux entreprises
restantes de générer des marges bénéficiaires
en progression. NATURELLEMENT, celle qui possèdent les caractéristiques
de faiblesse économique ou technologique vont disparaître
pour laisser place aux sept entreprises capables d’assurer les besoins
du marché dans des conditions normales de rentabilité
».
L’interprétation actuelle est invariablement la même :
Trois entreprises ont fermé leurs portes, suite à la mauvaise
gestion de leurs dirigeants.
C’est là qu’intervient notre homme miracle : Bernard TAPIE. S’il
lui vient à l’idée de racheter une des trois entreprises,
il la remontera faisant en sorte qu’une AUTRE entreprise ferme ses portes,
car dans tous les cas, trois entreprises disparaîtront. Et si
jamais cette entreprise se met à reprendre des parts de marché
grandissantes, tant au niveau national qu’international, les médias
se prosterneront, crieront au miracle. Et à qui de donner des
tuyaux sur ce qu’est la bonne gestion
- diminution du pouvoir d’achat
- remise à zéro des avantages acquis
-travail par équipes tournantes
- servage de l’encadrement et de la maîtrise.
- étouffement des syndicats (devenus si compréhensifs)
- licenciement des moins productifs
- écoeurement des plus âgés
- accroissement du mai être des salariés en insistant sur
la précarité de leur emploi
- et ce serait encore mieux si l’on pouvait obtenir la « Flexibilité
» de l’inspection du travail.
Je pose ici la question. Le problème est-il de se trouver dans
l’entreprise qui ne coulera pas grâce à son patron de choc,
ignorant ainsi le sort de mes collègues licenciés, ignorant
ainsi le sort des salariés des trois autres entreprises ? Ou
bien doit-on répartir l’emploi sur toute la population active
et faire en sorte que chacun puisse accéder au maximum de la
production du pays ?
Et voici WONDER qui tombe. 519 suppressions d’emplois au programme pour
restructurer le secteur « piles grand public » par la jonction
de WONDER et SAFT-MAZDA. Personne n’échappe aux conséquences
de la révolution technologique. Mais comme l’avait si justement
dit TAPIE sur les antennes de télévision : « Le
jour ou une de mes entreprises tombera, les médias ne me rateront
pas ».
Comme on a déplacé le problème sur les hommes et
non sur le système de répartition ainsi que le niveau
de production nationale, il est certain que LUI seul sera responsable
de la faillite de SON entreprise.
Informations tronquées, visions réduites, manipulation
de la doctrine économique. Sentant qu’une fissure s’ouvre à
nos pieds, les dirigeants éclairés nous font regarder
le soleil afin de mieux nous aveugler.
Même aveuglés, nos sensations restent. Finie la culpabilité
des hommes, c’est le système qu’il faut changer !
***
PAS D’ALIBI, CHÔMEUR COUPABLE !
Pour la morale publique, les chômeurs sont des
gens qui tombent dans la facilité et ne se fatiguent pas pour
trouver du travail. Et chacun y va de son exemple pour confirmer ses
affirmations (sans parler des immigrés). C’est à nouveau
le processus de culpabilisation, individuelle cette fois-ci, qui est
en place. Il n’est pas étonnant que de nombreux chômeurs
se suicident, comme ces deux jeunes gens de 25 et 20 ans, habitant dans
le Gard, qui étaient au chômage depuis un an. Début
décembre, ils ont mis fin à leurs jours, pour rompre avec
cette société qui, de toute façon, les rejetait.
Là encore, dans ce marasme, ce sont les plus forts du moment
qui s’en sortiront le mieux. Les plus débrouillards, les plus
diplômés, les plus costauds moralement. Il parait que c’est
une loi naturelle !
Si l’on en croit les prévisions les plus optimistes, il y aura
en France cinq millions de chômeurs en l’an 2000. Cela veut dire
que deux millions de nos moralisateurs se retrouveront dans la situation
de ceux qu’ils décrient aujourd’hui, sans comprendre ce qui leur
arrive.
Alors ? A qui la faute ? Individus ou système ?