Les golden boys ne sont pas inquiets

Actualité : l’élection présidentielle
Mise en ligne : 9 mars 2007

Par contre, les professionnels de la finance, eux, sont évidemment bien placés pour savoir qu’ils naviguent au sein du vrai pouvoir et que leur position ne sera pas remise en cause, quelle que soit l’issue des scrutins. Leurs témoignages, recueillis par Yves Eudes et rapportés dans Le Monde du 24 février, permettent de le constater : ils confirment qu’il n’y a aucun “vrai changement” possible sans une remise en cause du pouvoir financier, ce qu’aucun des candidats éligibles n’envisage.

Ce journaliste a d’abord rencontré deux “gérants de porte-feuilles” qui travaillent, avec une centaine d’autres employés, pour une société parisienne, dans un des quartiers les plus chics de Paris. Le premier, interviewé dans un bar luxueux, explique que même s’il travaille souvent onze heures par jour (mais la RTT lui permet de “décompresser”), il est très heureux de pouvoir faire souvent la fête le soir avec des collègues, célibataires comme lui, car il ne cache pas qu’ils gagnent fort bien leur vie, que leur salaire annuel est facilement doublé grâce aux primes de fin d’année, et que quelques “bonus” peuvent approcher le million d’euros. C’est pour lui la preuve que la planète finance tourne rond et que les sociétés financières profitent pleinement de l’expansion de l’économie mondiale.

Ses collègues et lui-même n’attendent rien de la politique : « Ségo ou Sarko, ça ne va pas changer ma vie ». Ils ne s’y intéressent professionnellement que dans la mesure où, par exemple, une décision de l’OMC pourrait affecter les portefeuilles des entreprises dont ils ont la gestion. Alors l’élection présidentielle les amuse plutôt. Il est frappé par la ressemblance entre les programmes des grands partis : ils veulent tous « un État fort, mais aucune remise en cause de l’économie de marché » !

Le second interviewé, son collègue, va plus loin : « l’opium du peuple, aujourd’hui, c’est la politique… quand je vois les gens en situation difficile placer tous leurs espoirs dans la politique, ça m’attriste : ils font fausse route ». Et il ajoute de façon on ne peut plus claire : « Le principal levier dont disposaient les gouvernements, c’était la politique monétaire, mais depuis l’euro et la Banque centrale européenne, cet outil leur a été retiré » et il conclut peu élégamment mais très catégoriquement : « les politiciens se foutent de la gueule du monde. Quand on connaît bien les dossiers économiques, on s’aperçoit que leur démagogie est trop énorme ».

Voici donc un témoignage vivant, qui a le mérite de la franchise, et qui devrait donc faire réfléchir les électeurs au-delà des déclarations médiatisées des candidats…

Une autre collègue avoue que si le temps le permet elle ira passer le week end à la mer, sinon, elle votera “par élimination” pour Sarkozy, ce qui ne l’empêche pas de dénoncer pourtant l’incohérence de la “pensée économique de l’UMP”, en ces termes : « Ils se réjouissent quand une entreprise française s’implante à l’international, mais ils crient au scandale dès qu’un “fleuron de notre industrie” est acheté par “un méchant étranger”. Pourquoi mettre ces entreprises sur le marché si on veut que personne ne puisse les acheter ? »

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Le président-fondateur de leur société de gestion de porte-feuilles accueille ses visiteurs dans un vaste bureau décoré avec goût. Pour lui, le clivage gauche-droite est dépassé, il observe dans les deux camps le même combat des anciens et des modernes : « Les anciens croient encore que l’économie est à leur service », alors que les modernes ont compris que la démarche intelligente consiste pour eux à se mettre au service de l’entreprise.

Cette analyse d’un responsable financier est au moins aussi édifiante que celle de ses employés : le changement, la rupture avec le passé qu’annoncent les candidats qui se présentent comme étant de la “nouvelle génération” de leurs partis, c’est, en fait, le renoncement au pouvoir, c’est leur propre soumission, leur rôle désormais sera d’aider les entreprises à faire des profits pour les actionnaires. Mais pour pouvoir jouer ce rôle qui les enthousiasme, il faut d’abord qu’ils soient élus, et pour cela il faut qu’ils trouvent de belles formules pour affirmer au bon peuple qu’il y aura des retombées pour lui, plus tard et si la croissance est suffisante…

Notre président de société financière est donc confiant. Il ne s’inquiète pas qu’il y ait eu un semblant de débat sur les salaires excessifs de certains patrons ou sur les parachutes en or, parce qu’il est certain que ce débat n’ira pas loin. Ce qui lui paraît bien plus important, c’est de supprimer la taxe professionnelle, de baisser les impôts des entreprises. Mais « exaspéré par les traitements que lui infligent les fonctionnaires », il estime que pour responsabiliser les gens, il faut que tous les foyers sans exception, même les plus pauvres, paient un impôt sur leur revenu afin qu’ils se sentent concernés par le financement de l’État.

Il n’a sans doute pas la moindre idée du montant du revenu des foyers qu’il qualifie de “modestes”, et il reconnaît qu’aimant sa vie, son appartement et sa maison en Normandie, il ne se sent pas concerné par l’agitation électorale.