Un sous-marin du Medef
Mise en ligne : 9 mars 2007
Un de nos fidèles lecteurs nous a fait parvenir l’appel (accompagné d’un bulletin de soutien [1]) qu’il a reçu du président-fondateur d’un mouvement politique (?) baptisé IFRAP 2007. Jouant sur le mode populiste, cet appel est intitulé « Campagne électorale : Les partis politiques nous trompent ». C’est l’archétype même du discours abondamment répandu dans la presse et les milieux de droite et qui reprend les arguments du Medef :
Présentation et résumé de la thèse de l’ IFRAP 2007
À côté de sa photo, le président de l’Ifrap, Bernard Zimmern, se présente : Polytechnicien, Énarque, Inventeur des compresseurs à vis unique (!?) :
« J’ai déposé dans ma vie plus de 500 brevets qui ont créé plusieurs milliers d’emplois. Mais pour créer des emplois, il faut investir. En moyenne 30.000 euros par emplois. En France, nous investissons 1,5 milliard par an, à peine de quoi en créer 50.000. Les Anglais, eux, investissent 10 milliards et ont créé 300.000 emplois de plus par an, 6 millions en 20 ans. Des dizaines de milliers de nos jeunes sont partis en Grande-Bretagne, car, là-bas, il y a plein de travail ».
L’échec prévisible des partis
« Que ce soit la droite ou la gauche qui gagne les élections, ils ne pourront jamais réaliser leurs programmes, ils nous leurrent. Car le cheval France (sic) ne peut plus avancer : avec seulement 17 millions de personnes au travail dans le secteur privé alors que les Anglais en ont plus de 24, ces 17 millions doivent faire vivre les 43 millions dont 6 millions de RMIstes, de précaires, tous dans l’exclusion ou à la limite de l’exclusion. Le cheval est en train de s’écrouler : l’économie française ne passe pas par un trou d’air comme veulent nous faire croire les médias. La chute massive de l’investissement dans nos entreprises depuis dix ans, dont nous avons la preuve statistique, montre que nous sommes au bord de l’effondrement ».
L’appel aux candidats à la Présidence
« Tous les partis politiques devraient avoir au fronton (sic) de leurs programmes : il nous faut créer 7 millions d’emplois supplémentaires. C’est la condition pour stopper la précarité, arrêter le déficit du budget, réduire la dette. Sans ces 7 millions d’emplois, nous ne pourrons jamais financer convenablement la recherche, nos retraites, combler le gouffre du budget ou de la sécurité sociale qui ne vit plus que d’expédients. […]
Les deux questions qu’il faut poser à ceux qui se présentent à l’élection présidentielle sont :
• Comment ferez-vous pour que les Français mettent 10 milliards d’euros par an dans les créations d’entreprises ?
• Comment lancerez-vous assez d’entrepreneurs dans l’aventure de la création d’entreprise si vous ne donnez pas au Parlement les moyens de réduire la dépense publique et donc les prélèvements ?
Sans cela, nous ne créerons jamais les 7 millions d’emplois sans lesquels le reste de vos programmes sont des nuages de fumée, des rêves.
Les réponses à ces questions existent . D’autres pays les appliquent et n’ont pas de chômage ; ils ont créé des millions d’emplois, voire des dizaines de millions d’emplois. »
Mais comment créer 7 millions d’emplois ?
« Tout simplement en créant massivement des entreprises [2] à forte croissance qu’on appelle des “gazelles”, capables d’embaucher dès leur naissance 10, 20, 30 salariés, pas 1 ou 2 comme le micro-crédit, et qui grimpent ensuite en moins de cinq ans à 100, 200, 500 salariés. Des entreprises capables d’exporter et de se battre contre les chinoises ou les américaines. Nous en avons moitié moins que les Anglais et les nôtres ne grossissent pas. Après 7 ans, elles ont créé chacune 4 fois moins d’emplois que les anglaises ».
Pourquoi ?
« Parce que nous n’avons pas en France le seul moyen de financer la création de nos gazelles : les “Business Angels” (BA). Les nations à croissance forte sont celles qui ont développé massivement ces BA : les Anglais en ont 50.000, les Américains 500.000. Nous 4.000. Il nous faut passer à 40.000 BA ».
Pour y parvenir, c’est très simple :
« il nous faut une seule mesure fiscale forte qui permette à ceux qui investissent dans la création d’entreprise de déduire la moitié de leurs investissement de leurs impôts à payer et, dès que possible, supprimer l’ISF qui paralyse notre économie »
Et, enfin, le couplet classique :
« Nos entreprises sont écrasées d’impôts pour nourrir un secteur public comprenant des centaines d’institutions qui ne servent à rien [3] mais que personne ne contrôle car c’est la République des copains. Il faut que cela cesse et que nos parlementaires qui votent le budget de ces sangsues se dotent d’un organisme de contrôle qui leur soit rattaché et qui soit constitué d’experts venus du privé, pas d’autres copains fonctionnaires. […] Il faut bouleverser notre contrôle fiscal. Faire respecter la loi fiscale par les individus et les entreprises est indispensable. Mais ce n’est plus ce que fait le contrôle fiscal en France : il fait du chiffre, il rackette, il tue des milliers d’entreprises et détruit chaque année des dizaines de millers d’emplois. Tout simplement parce que le contrôleur est obligé par sa hiérarchie de faire des quotas et qu’en face du contrôlé, elle (?) est toute puissante. Il faut que cela cesse… »
***
Et s’il allait voir de plus près… ?
Qu’attend donc M. Zimmern pour s’installer dans l’Eden britannique ? Il pourrait y apprendre, par exemple, qu’en 2005, 350.000 Britanniques ont quitté leur île pour jouir d’une vie meilleure, qu’un diplômé sur six (le plus fort pourcentage parmi les pays occidentaux, selon un rapport de la Banque mondiale) a émigré, que des centaines de jeunes diplômés en médecine s’en vont parce qu’ils ne trouvent pas de poste correspondant à leur formation, bien que le système de santé anglais manque de bras [4], que ce service de santé a supprimé 8.000 emplois administratifs en délocalisant leur tâches en Inde [5], qu’un quart des jeunes britanniques âgés de 18 à 25 ans, essentiellement des diplômés, veulent vivre et travailler à l’étranger, et que parmi eux, depuis 2003, le nombre de ceux qui sont prêts à un départ immédiat a doublé [6].
En fait notre Anglomaniaque n’a nul besoin de se risquer à traverser le Channel pour mettre à jour ses statistiques. Selon Eurostat, organisme de l’Union européenne, la proportion d’emplois créés en France, entre 1995 et 2005, a été largement supérieure à celle du Royaume-Uni et du Danemark : 11,4 % contre 6,2 % chez les Danois et 8,2 % chez les Britanniques [7]. Quant à l’Allemagne, premier exportateur mondial, son taux de création d’emplois est particulièrement bas, à peine 1,6 %, ce qui reflète l’accroissement important de sa productivité qui lui a permis de gagner en compétitivité. Mais il semble qu’en matière de productivité, M. Zimmern en soit encore à l’âge des cavernes !
Voici maintenant la réponse cinglante que lui a faite notre lecteur :
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La réponse de J.F Amary
Monsieur,
Vous avez peut-être inventé les compresseurs à vis unique et déposé plus de 500 brevets, mais assurément pas celui de l’eau chaude. Car il n’est pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour comprendre que l’emploi est un faux problème qui arrange bien les politiciens et les exploiteurs de tous bords. Tous veulent nous faire croire que créer des emplois, fussent-ils non-indispensables, voire nuisibles ou carrément criminels, est LA solution à tous nos problèmes… !
Vous le savez mieux que moi, le secteur tertiaire est en train de l’emporter sur ses deux prédécesseurs et la plupart de ces emplois sont bidon : Agences de marketigne, de consultigne, de packagigne, j’en passe et des pires.
Les secteurs primaire et secondaire ont besoin de moins en moins de bras, grâce au fabuleux bond de la productivité, dû dans un premier temps à la mécanisation, puis dans un second à l’informatique.
Les agriculteurs, particulièrement les productivistes, sont devenus des fonctionnaires ou des rentiers, gavés de subventions.
Les patrons bénéficient d’aides éhontées et sans contrepartie sociale.
La dette de l’État envers la Sécurité sociale atteignait 5,9 milliards d’euros fin 2006, soit près de la moitié du fameux trou. Or cette dette est liée en partie aux exonérations de cotisations consenties par les divers derniers gouvernements, aux patrons.
N’est-il pas scandaleux de s’indigner de ce que des personnes ne survivent que grâce au RMI et aux Assedic ?
Ne sont-ce pas les entreprises qui créent les chômeurs quand elles délocalisent et en robotisent, dans l’espoir de tenir contre la concurrence internationale ? Espoir illusoire puisque les règles du jeu ne sont pas les mêmes.
Avant d’être chômeurs, les travailleurs étaient majoritairement dociles, comme rampent actuellement ceux qui ont encore un emploi.
Personnellement, j’ai encore un emploi et je suis fier de cotiser à la caisse chômage en pensant que ça profite à des gens qui ne participent plus, temporairement ou définitivement, à la mise à sac de la planète, organisée en France par le Medef et la FNSEA, deux associations de malfaiteurs.
Même un énarque peut comprendre que les richesses produites sont en constante augmentation, mais qu’elles sont de plus en plus mal réparties.
Oui, Monsieur l’inventeur-politicien, de moins en moins de travailleurs suffisent à produire de plus en plus de richesses.
C’est à cause de l’accaparement de ces richesses par une minorité que la pauvreté se propage même dans nos pays riches.
Si les patrons investissaient, au lieu de s’octroyer des stock-options et des parachutes dorés à tire larigot, peut-être que leurs entreprises seraient plus performantes face à la concurrence déloyale des pays à esclavage légal ?
Puisque vos 500 brevets ont créé des milliers d’emplois, continuez à en déposer. Vous pourrez vous arrêter à 7 millions d’emplois créés.
Si vous n’avez que le tchatchérisme à nous proposer comme modèle, vous êtes ridicule. La Grande-Bretagne est l’exemple qu’il ne faut surtout pas suivre. On sait le désastre causé par la privatisation des services publics. On sait que les enfants travaillent dans cet ex-grand pays. On sait aussi que la grande pauvreté y sévit aussi dramatiquement que chez nous.
Vous écrivez sans-doute mieux que vos “gazelles”, mais vous courez certainement moins vite... !
Salut Monsieur, et ne comptez pas sur moi pour propager vos délires.
[1] À renvoyer bien sûr, avec sa contribution financière, déductible à 66% de ses impôts sur le revenu.
[2] Il faut, en effet, être Polytechnicien pour avoir trouvé ça.
[3] comme, sans doute, l’École polytechnique et l’ENA, qui assurent une formation rémunérée dont il a lui-même amplement profité ?
[4] Le Monde, 21/02/2006.
[5] Le Monde, 19/04/2006.
[6] Le Monde, 06-07/08/06.
[7] Le Monde, 16/02/2007.