Les retraites et l’histoire
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Mise en ligne : 29 avril 2010
Donnons la parole à un lecteur qui fait le point sur le financement des retraites, question épineuse, qui revient d’actualité, et qu’en son temps, juin 1999, la GR 989 avait analysé à fond :
Une fois de plus, il est question de réformer les retraites, et l’unique solution que l’on veut nous imposer est la prolongation du travail au-delà de soixante ans. C’est curieux de constater combien l’idéologie et son matraquage paralysent nos capacités de réflexion ! Et même de raisonnement, car il est normal que le temps consacré au travail dans une vie, aille en diminuant : comment peut-on exiger plus d’années de travail à des salariés usés par une vie de plus en plus stressante, sous prétexte que la durée de vie se prolonge ? La vie est plus longue, oui, mais pas pour tout le monde !
Revenons à l’histoire de la retraite par répartition. Elle a été mise en place après la Deuxième Guerre Mondiale, à une époque où la réflexion du Conseil de la Résistance était orientée par une politique de contrat social. L’industrie était alors en plein développement, le chômage n’existait pas, il y avait environ 10 actifs pour un retraité, les contributions des actifs suffisaient donc à financer les retraites. Avec entre 2 et 3 actifs pour 1 retraité, cet équilibre est aujourd’hui rompu. Ce serait donc l’occasion de développer le champ d’action des spéculateurs en imposant la retraite par capitalisation, mais cela ne passe pas encore. On en reparlera sûrement, faisons confiance aux forces du capital. Alors, en attendant, on nous affirme qu’il faut retarder le départ en retraite.
Rappelons-nous qu’après l’époque du plein emploi, on a commencé, un peu à la fois, à remplacer des ouvriers par des machines. Pas uniquement parce que les machines étaient plus performantes, mais parce que leur production était moins onéreuse que les salaires des ouvriers. Les progrès des technologies ont favorisé ce remplacement. Mais il est complètement faux de dire que l’apport des technologies est responsable de ce mouvement inéluctable. La preuve, c’est qu’aujourd’hui, alors qu’ils disposent de toutes les technologies possibles, les capitalistes confient des productions entières à une main d’œuvre sous payée : chaque jour, arrivent dans nos ports des tonnes et des tonnes de produits fabriqués manuellement dans des conditions inhumaines, voire même par des enfants, mais à ces ouvriers, pas question de payer une retraite.
C’est ce à quoi nous arriverons, à force de retarder toujours un peu plus l’âge du départ en retraite, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de retraite que par capitalisation, mais pour ceux qui pourront.
Alors que faire ? Quelles propositions ? Redéfinir un nouveau contrat social ! En prenant en compte les situations de plus en plus diverses, celle des jeunes qui entrent de plus en plus tard dans la vie professionnelle, ceux qui font des travaux pénibles ou des travaux précaires. Il faut refonder un régime de solidarité, ce que signifiait bien cette idée de la retraite par répartition : les actifs travaillent pour tous, y compris pour les inactifs, qu’ils soient encore trop jeunes, malades, ou retraités.
À l’époque du plein emploi, le financement du régime de retraite était constitué d’une part des cotisations ouvrières et d’autre part des cotisations patronales, et cette part patronale était une sorte de retenue sur les revenus. C’est cette retenue sur les revenus qui s’est esquivée peu à peu. Il n’y a d’abord jamais eu de retenue sur les bénéfices procurés par les machines, ce que nous aurions dû exiger. Aujourd’hui, d’une autre façon, c’est ce mouvement qui se répète. Le niveau d’industrialisation est le même qu’il y a dix ans, il n’a pas progressé. Après avoir remplacé les ouvriers par des machines, on remplace les industries par la spéculation, ce qui rapporte encore plus.
Prolonger le temps avant de pouvoir prendre sa retraite n’entraîne pas seulement des problèmes de santé et de mal être pour les intéressés. Les conséquences en sont lourdes pour le vivre ensemble dans une société où les injustices et la violence progressent. On présente les retraités comme une bande de profiteurs, de paresseux et d’inutiles, alors que beaucoup d’entre eux sont engagés dans la vie associative et font vivre bénévolement de nombreuses actions humanitaires et culturelles. Ils ont très souvent des activités d’entraide et de socialisation que l’État ne prend pas en charge.
Mais retarder l’âge de la retraite ce n’est pas seulement casser une action de socialisation, dans cette société “libérale” où le vivre ensemble est déjà bien en régression. C’est aussi un mauvais coup porté sur le plan économique, par la destruction d’initiatives qui ont une place importante dans le PIB.
La seule solution juste pour financer les retraites n’est donc pas de prolonger la durée du temps de travail, c’est d’abord d’imposer les actionnaires qui profitent du travail mais ne participent pas au financement de la retraite des travailleurs, alors que, par les hauts niveaux de rendement qu’ils exigent, ils sont responsables de fermeture d’entreprises et de chômage. C’est ensuite taxer les hauts revenus, et particulièrement les revenus provenant de la financiarisation de l’économie. Un impôt sur chaque transaction financière serait le point de départ de la mise en place d’une société moins inégalitaire, mais comment se focaliser sur ce seul moyen alors que se développent toujours des paradis fiscaux, des spéculations qui n’apportent rien à la société mais contribuent à la détruire ? Si l’on veut développer une société faite pour les humains, il va falloir se battre. Seule l’union des forces de progrès pourra faire gagner un tel combat pour l’Homme.