Lettre à M. Tindemans, Premier ministre de Belgique
par
Publication : décembre 1978
Mise en ligne : 9 septembre 2008
POUR le penseur, il est bien triste de voir un pays
s’enfoncer dans l’irresponsabilité et dans le désastre.
Il est pénible de constater le laisser-aller dans tous les domaines
et, à tous les niveaux. Il est bien triste de savoir que tout
pourrait être fait pour procurer aux hommes une vie saine, mais
que rien de valable ne sera fait.
Nous vivons dans la confusion générale de la production-répartition-consommation.
Notre système économique est complètement déréglé,
vieillot et inadapté à notre époque de la technique
poussée à outrance. Nous vivons dans un système
qui empêche le développement de la saine pensée.
Notre civilisation avilie ne peut plus résoudre les problèmes
essentiels que sont les pollutions, les encombrements et les lenteurs
administratives.
Nous vivons dans le gaspillage le plus éhonté : gaspillage
de matières premières, gaspillage de denrées alimentaires,
gaspillage d’énergie humaine afin de continuer à fabriquer
des objets futiles, médiocres et inutiles servant à grossir
les profits.
Notre sang est chargé de tous les poisons répandus dans
les aliments et dans l’environnement. Notre cerveau enregistre plus
d’informations accessoires qu’essentielles. Nous respirons à
longueur de journées les gaz toxiques que nous gratifient toutes
les usines qui s’acharnent à fabriquer des objets inutiles. Et
nous serons bientôt obligés de respirer les déchets
gazeux radioactifs des centrales nucléaires.
S’il fallait poursuivre l’énumération des erreurs et des
nuisances causées par le mental humain, on n’en finirait pas
!
Je sais Monsieur Tindemans, qu’à la tête du gouvernement,
vous faites de sérieux efforts. Je sais aussi que votre bonne
volonté est sincère. Mais je ne vois pas comment vous
pourrez venir à bout de l’inflation et du chômage, pour
ne parler que de ces deux problèmes. Je ne vois pas comment vous
pourrez changer les structures existantes qui sont les résultats
des sécrétions de notre système économique
qui maintient l’homme dans l’irresponsabilité, dans la pauvreté
ou dans l’esclavage doré. Est-il possible que les hommes puissent
se complaire dans pareille absurdité, pareille désorganisation
?
Notre système économique devrait faire place à
une économie de raison basée sur une économie non
spéculative, non thésaurisable.
La monnaie devrait devenir un instrument d’équilibre entre la
production et la consommation et non une vulgaire marchandise avec laquelle
s’amusent les faiseurs d’inflation.
La solution se trouve donc dans le changement de notre système
monétaire lequel à présent complique à plaisir
la vie des hommes.
Dès lors, il ne s’agit plus de construire sans discernement des
voitures et des objets inutiles. Il s’agit tout simplement de construire
des hommes et d’ériger une économie de raison, Les hommes
pourront-ils enlever les oeillères qu’ils conservent depuis si
longtemps, et pourront-ils faire preuve de pensée réfléchie
? Je le crains.
Dans l’état actuel des choses, ma longue réflexion et
les tests que j’ai faits me démontrent qu’ils ne le pourront
pas. Le 1er septembre 1972, je vous avais écrit pour vous féliciter
des mesures courageuses que vous aviez prises concernant la protection
des oiseaux.
Comme je voudrais, Monsieur Tindemans, que vous puissiez prendre des
mesures valables pour guider le pays vers une économie de raison
et vers la pensée réfléchie.
Entre temps, je vous prie de croire à mes pensées les
meilleures.