Manipulations
par
Publication : octobre 1980
Mise en ligne : 25 mars 2008
LA Cour Suprême des Etats-Unis vient de prendre une décision
qui peut être importante pour l’avenir des êtres vivants
dont nous faisons partie. A la demande d’un chercheur, elle a décidé
qu’une bactérie mise au point dans les laboratoires de la société
General Electric constituait un produit nouveau et pouvait donc faire
l’objet d’un brevet d’invention.
Cette décision, que la Cour n’a prise d’ailleurs qu’à
une voix de majorité (il y a neuf votants) va stimuler les recherches
déjà entreprises dans ce sens et en justifier d’autres.
Les manipulations génétiques, dont les possibilités
sont immenses, vont donc connaître un développement sans
doute important et, par le biais de la commercialisation, entrer dans
le secteur du profit.
Et pourtant, il s’élèvera peu de voix, même parmi
ceux que ces manipulations inquiètent, pour condamner les travaux
de la General Electric. En effet, « sa » bactérie
est capable, nous dit-on, de dévorer gloutonnement le pétrole
et on voit le parti qu’on pourrait en tirer pour venir à bout
des marées noires, à condition qu’ensuite on ne se retrouve
pas avec des quantités de bactéries dont en ne saurait
que faire, une pollution ayant été remplacée par
une autre.
Ceci dit, quelques problèmes généraux subsistent.
D’abord, l’apparition de bactéries nouvelles ne marque, en un
sens, qu’une étape dans un processus déjà ancien.
En effet, il y a bien longtemps que l’homme s’efforce d’agir sur la
nature et sur l’évolution au moyen de greffes pour les arbres
ou d’insémination artificielle pour les bestiaux. Le principe
d’une telle action étant acquis (qui n’aime les belles roses
ou les beaux fruits ?) le problème est de savoir quand et où
s’arrêter.
En tout cas, dès qu’on touche à l’homme, la plus grande
prudence s’impose. Il y a quelques semaines, un Américain a fait
parler de lui en proposant de créer une race d’individus exceptionnels
qui auraient pour « pères » d’authentiques génies.
On imagine aussi les conséquences de « progrès »
scientifiques qui permettraient de faire fabriquer par des bactéries
complaisantes une hormone règlant, par exemple, le développement
du corps humain. Ou bien, on appliquerait à l’homme des travaux
déjà appliqués sur les crapauds et on obtiendrait
des répliques exactes d’individus spécialement choisis.
Tout cela ne se réaliserait pas sans quelques ratés et
que ferait-on des « brouillons » ?
La science a permis à l’humanité de faire des progrès
immenses et ainsi prendre son sort en main, triompher, au moins en partie,
des obstacles que la nature met sur sa route et se faire une vie plus
libre et plus facile. Tout cela est bon. Mais il ne faut pas que les
hommes s’écartent indéfiniment de la réalité
et des modèles naturels. Nous arrivons à un stade du progrès
scientifique où nous devons rester très vigilants et nous
assurer par tous les moyens que, des laboratoires, ne vont pas sortir,
peut-être accidentellement, des créatures nouvelles encore
plus dangereuses que celles que nous connaissons et dont le contrôle
nous échapperait.
On sait déjà produire des tomates de forme cubique qui
se rangent mieux et en plus grand nombre dans les cartons d’expédition.
On a des fraises géantes, même si elles n’ont guère
de goût. Les animaux de boucherie fournissent, si on le veut,
davantage de kilos de viande ; mais quelle viande et à quel prix.
Désormais les entreprises travaillent activement, comme nous
l’avons dit, sur la production de bactéries susceptibles de nous
rendre des services inappréciables. Soit, mais il faudra bien
savoir s’arrêter ou, tout au moins, mettre des garde-fous suffisamment
efficaces Pour que cette évolution reste à notre service.