Nature humaine et agressivité

Réflexions
par  F. CHATEL
Mise en ligne : 31 mars 2011

Pourquoi est-il si difficile de remettre en question le système actuel, alors que ses méfaits sont de plus en plus évidents et ses conséquences, menaçantes ? Pour François Chatel c’est à cause d’une fausse croyance sur la nature humaine, si bien ancrée dans l’imaginaire collectif qu’elle paraît indéracinable, malgré les résultats scientifiques récents. Il l’expose dans un texte qui, trop long pour être présenté ici dans sa totalité, avec 58 références et 60 notes biographiques est accessible sur notre site http://economiedistributive.free.fr (Ouvrir l’article...). En voici, résumé, l’essentiel :

Aujourd’hui se lève un vent de contestation du système capitaliste et des effets de son évolution logique en néo-libéralisme. Mais un vent ne suffit généralement pas pour abattre une construction gênante et envahissante. L’anéantir nécessite d’en mettre à jour toutes les fondations pour les démanteler une à une avec le minimum de dégâts collatéraux comme l’écrivait si justement Bernard Blavette dans la GR 1116 : « on ne peut combattre efficacement que ce que l’on conçoit parfaitement ».

Lors de la mise en place de ce système, au 18ème siècle, ses partisans, intéressés, l’ont justifié en élaborant des théories qui furent élevées en dogme général, alors qu’elles s’appuyaient sur la situation économique et sur l’état des connaissances de cette époque. À la base était l’affirmation qu’il y a dans la nature humaine une incurable disposition à l’agression. Et cette croyance nourrit depuis un fatalisme qui empêche toute remise en question, pourtant indispensable à un nouvel élan de progrès social.

L’héritage au sujet de cette nature humaine est lourd. De Thucydide à Freud, des siècles de pensées ont doté l’homme de penchants pour la domination et la violence, de pulsions innées et même d’instinct de mort. L’idée du péché originel, interprétée comme une conséquence de la constitution de la nature humaine, devint l’héritage commun de toutes les générations de chrétiens en Occident. Elle influença profondément la psychologie et la pensée politique puisqu’elle permit de justifier tous les gouvernements. La soi-disant bestialité humaine servit de prétexte à l’instauration de tous les pouvoirs. On la retrouve consacrée dans la fameuse tirade : “Homo homini lupus” [1]. Loin de souhaiter la violence pour elle-même, Nietzsche constate qu’elle est naturelle et qu’il nous appartient de la cultiver dans un sens ou dans un autre. B.Franklin déclara à la Convention Fédérale américaine : « deux passions exercent une puissante influence dans les affaires humaines : l’ambition et l’avarice, l’amour du pouvoir et l’amour de l’argent ». Ce qui rejoint la conception d’H.White pour qui les États-Unis sont bâtis sur la philosophie de Hobbes et la religion de Calvin, c’est-à-dire que l’état de nature de l’humanité, c’est la guerre, et que l’esprit humain et le bien ne font pas bon ménage [2].

Cette idée a traversé des siècles. Elle s’est maintenue pour justifier et protéger le pouvoir répressif des puissances militaires et religieuses. Récupérée ensuite par les bourgeois banquiers et marchands, elle a permis de justifier la compétition et même la violence comme des conduites naturelles, saines et viriles. « Elle rationalise à bon compte l’idéologie libérale capitaliste qui prône le droit du plus fort, quand elle ne renforce pas le culte de la puissance chez des individus de mentalité fasciste » [3].

On la retrouve même pendant longtemps à la base des traités d’éducation qui prônent de dompter ou de canaliser cette perversité innée. Pour Freud, « rien n’est plus contraire à la nature humaine » que « l’idéal imposé d’aimer son prochain » et l’agressivité est une tendance innée de l’homme qui vise la destruction, l’humiliation des autres dans des comportements aussi bien violents et flagrants que plus discrets ; vers la fin de sa vie, il radicalise son interprétation de la violence : au lieu de raisonner à partir de la théorie du refoulement, il imagine l’affrontement de deux pulsions fondamentales, la pulsion de vie Eros, et la pulsion de mort, Thanatos.

Généraliser, en affirmant que toutes les conduites humaines sont sur ce modèle, c’est dire que la violence dans l’homme ne peut pas être éradiquée. Que tout ce que nous pouvons faire, c’est tenter de la maîtriser de l’extérieur, la détourner ou la réprimer. Hobbes ne concevait de paix civile que sous la surveillance d’une police, et Freud ne conçoit de paix relative qu’en mettant la police dans l’esprit de chacun sous la forme d’un surmoi capable de culpabiliser et discipliner le moi.

Et c’est ainsi que si, après avoir énuméré tous les travers et délits du système actuel, entre amis, en famille ou à d’autres occasions, il vous est arrivé de présenter les principes de l’économie distributive, la réplique la plus fréquente qui vous a été faite, après vous avoir qualifié d’utopiste, est fatalement : « ça ne peut pas marcher parce que la mentalité humaine est trop perverse. Même si le capitalisme comporte des lacunes, il a prouvé qu’il était le meilleur compromis possible compte tenu des travers de l’homme » !

Toute alternative proposée se heurte à cet argument d’une nature humaine pervertie dont seul le capitalisme serait apte à gérer et réguler les principales activités, les échanges marchands, grâce à une force mystique, la “main invisible”, capable d’utiliser à bon escient les intérêts égoïstes. Considérées comme naturelles, ces perversités furent ainsi libérées de toute entrave pour le soi-disant plus grand bien de la société et de son économie. Les vices privés devinrent les garants des vertus publiques, selon Mandeville, écrivain néerlandais du 18ème siècle qu’admirait, évidemment le père du néolibéralisme, F. Hayek.

Pourtant, cette régulation soi-disant bienfaisante, vénérée et protégée par ses gourous, s’avère défectueuse, responsable d’inégalités insoutenables et de troubles sociaux. Et Adam Smith lui-même l’avait souligné : il n’y fait aucune référence, même en parlant de la “main invisible”. Comme le fait remarquer Schumpeter dans L’histoire de l’analyse économique, Smith n’a jamais parlé de régulation de l’économie en général, mais de création de richesse, qu’il mentionne d’ailleurs en soulignant qu’elle a de nombreux effets pervers, qu’elle crée des inégalités susceptibles d’entraîner un désordre social, et que la division du travail tend à abrutir la masse ouvrière. Et N. Chomsky note bien que « nous sommes censés vénérer Adam Smith mais non le lire car il postulait déjà que la sympathie était la valeur humaine centrale, et qu’il fallait donc organiser la société de façon à satisfaire cet élan naturel des êtres humains, le soutien mutuel (voir l’entraide). En fait, son argument crucial en faveur des marchés conduirait à l’égalité parfaite. La célèbre expression de Smith sur la “main invisible“, que tout le monde utilise totalement de travers, n’apparaît qu’une fois dans “La Richesse des nations” et dans le contexte d’un raisonnement contre ce que nous appelons aujourd’hui le néolibéralisme » [4] !

Alors, l’homme est-il enclin, d’une façon irrépressible, à l’agressivité, sous toutes ses formes, pour garantir ses intérêts personnels ? — Ce qui est vrai, c’est qu’en tant qu’être vivant, il a des besoins à assouvir en priorité, pour maintenir sa structure. Ensuite, notamment pour obtenir une gratification sociale, il utilise l’agressivité pour influencer le milieu en sa faveur ; mais, comme le dit J.-M. Muller, cette agressivité est louable puisqu’elle permet l’audace, le courage de s’opposer à un obstacle,”d’aller de l’avant”, de “marcher vers” ce qu’indique bien l’étymologie du mot. Muller ajoute même : « La non-violence suppose avant tout qu’on soit capable d’agressivité » [5]. L’agressivité serait donc une garantie pour vivre et pour communiquer avec l’Autre…

Freud a été contredit, à propos de l’instinct de mort, sa théorie est remise en question. On pense que l’agressivité est une pulsion de conservation, une pulsion de vie, et non un instinct, car « rien, ni dans la chimie, ni dans la physique, ni même dans la biologie, sur laquelle pourtant Freud s’appuyait fermement, ne permettait d’en confirmer l’existence » [6]. Comme le remarque André Green : « la difficulté, en ce qui concerne la pulsion de mort, vient de ce que nous ne pouvons pas lui attribuer avec la même précision une fonction correspondante à celle de la sexualité par rapport aux pulsions de vie ». Même s’il est fréquent de rencontrer, en clinique psychanalytique, des formes pathologiques de destructivité, aucun argument clinique ne peut en lui-même constituer une preuve de l’existence de la pulsion de mort et le problème reste, pour l’essentiel, théorique… Dans L’agressivité humaine, J.Van Rillaer constate que : « ce ne sont pas les choses qui nous troublent mais l’opinion que nous nous faisons d’elles… Le fond de l’affaire réside toujours dans le désir, propre à chacun, de pouvoir affirmer sa valeur à autrui et de pouvoir se la confirmer à ses propres yeux… L’agressivité est motivée par une attaque du moi, un sentiment d’aliénation ou d’impuissance. Une autre motivation, proche de celles-ci, est la non-reconnaissance du moi » [7].

Pour les psychologues, la délinquance s’expliquerait donc par une structure antisociale. Il en résulte une lourde responsabilité du milieu social et de l’éducation au cours de la formation de la personnalité.

Et du côté de l’éthologie, peut-on trouver l’explication d’une “nature humaine perverse” ?— Là aussi, les contradicteurs sont nombreux, parce qu’il n’y a pas de faits qui plaident de façon décisive en faveur d’une agressivité “spontanée” chez l’animal… J.P.Scott estime qu’« il n’y a pas de mécanisme physiologique connu produisant une stimulation spontanée, interne, au combat. L’agression ne se produit qu’en réaction à des stimulations externes » [8]. Pour Konrad Lorenz, dont les recherches ont marqué ce domaine, l’agressivité animale est l’instinct de combat qui intervient pour maintenir les rivaux de la même espèce à une certaine distance, un point c’est tout… Mais un culturaliste modéré, Alexander Alland, accuse Lorenz de ne pas suffisamment tenir compte de “la dimension humaine”, dans laquelle la culture joue un rôle non négligeable, et J.P. Scott, un “radical-scientist”, critique la thèse de Lorenz, et tout particulièrement son “homme tueur”, parce qu’elle fait du biologique le fondement du comportement humain.

J.Van Rillaer peut donc conclure : « les données actuelles de la psychologie animale ne permettent pas d’affirmer l’existence d’un instinct agressif autonome ni même une “pulsion” à l’agression. Par contre, on a pu mettre en évidence différents types de réactions combatives se déclenchant dans des situations déterminées (douleur, menace, rivalité, etc.)… l’automatisme endogène menant à l’agression, aucun argument sérieux ne permet d’affirmer son existence chez l’animal et a fortiori chez l’homme » [7].

Comment trancher ? La notion de “nature humaine” est aujourd’hui indissociable du domaine de la biologie, de la génétique et de l’étude des instincts. Tournons-nous donc dans cette direction.

Pour E.Wilson, fondateur de la sociobiologie, la “nature humaine” est faite de contraintes biologiques, codées génétiquement, qui amènent les humains à prendre les mêmes décisions dans un large éventail de contextes, le moteur du comportement social est l’égoïsme biologique qui permet la conservation de ses propres gènes et/ou de leurs copies, ce qui conduit les individus à s’affronter socialement pour l’acquisition de la dominance - car la dominance sociale, directement liée à l’agressivité, peut se traduire par un grand succès reproductif. Cette thèse converge avec les travaux de R. Dawkins, connu pour sa théorie de l’évolution centrée sur le gène, décrite dans “Le gène égoïste” (1976), où il explique que « toute vie évolue en fonction des chances de survie des entités répliquées ». De la sorte, la dictature du gène implique celle de la nature ou de l’inné sur nos comportements… Mais « c’est un non-sens scientifique », s’exclame Catherine Vidal, neurologue et directrice de recherche à l’Institut Pasteur, qui réfute tout consensus dans la communauté scientifique sur l’existence de gènes de la criminalité ou de l’agressivité. Selon elle, il existe effectivement des études qui montrent des corrélations entre certains gènes et des comportements, mais elles ne prouvent pas de véritable relation de cause à effet, et « de toute façon, ces études sont réalisées sur des grands échantillons, sur des bases statistiques. Elles ne peuvent en aucun cas prédire un comportement violent chez un individu particulier ». Cette explication des comportements par la génétique frôle même le ridicule quand on parle de gènes de l’infidélité ou d’autres tendances présumées qui ne sont qu’influences du milieu éducatif et social. Pierre Barthélémy s’insurge : « la dictature du gène a finalement gagné bien des esprits, comme une version moderne de la phrénologie qui, au XIXème siècle, expliquait les “caractères” par le relief du crâne (la fameuse “bosse des maths”…) ! ». Pour André Pichot, historien des sciences de la vie, Dawkins considère les individus comme de simples supports d’un patrimoine génétique dont ils doivent assurer la perpétuation et l’accroissement… comme des traders dans le capitalisme actuel ! Et, en plus, cette hégémonie implacable du patrimoine génétique est une porte ouverte à l’eugénisme qui a tant sévi avant et pendant la seconde guerre mondiale. Jacques Testard, le biologiste qui réalisa le premier bébé éprouvette, met en garde contre l’avènement une sorte d’eugénisme positif, non plus affirmé comme la recherche de la pureté de l’espèce, mais masqué derrière la maximisation du bonheur : grâce au diagnostic préimplantatoire lors de la procréation in-vitro, un tri sélectif très précoce des embryons garantirait une procréation “parfaite”. Or « il s’agirait non pas d’obtenir l’individu parfait, qui n’existe pas, mais plutôt l’individu idéal, à un moment de l’histoire, type individuel dont l’idéalité est établie sur des critères peu objectifs, mais qui sont communément acceptés et partagés à ce moment précis de l’histoire » [9]. Les adeptes du totalitarisme génétique seront déçus : le ”gène de l’agressivité”, celui qu’il suffirait de déconnecter pour vivre dans une société paisible, n’existe pas. Selon le psychologue canadien R. Tremblay « les facteurs génétiques gouvernent les comportements agressifs dans les premières années de la vie, mais très vite l’influence de l’environnement prend le dessus » [10].

L’engouement pour le gène s’est développé après une découverte scientifique récupérée, interprétée, détournée de sa vérité initiale par les phantasmes et les besoins d’une époque, et transformée en idéologie. Il s’agit des thèses de Darwin et de son fameux ouvrage L’origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle, dont quatre petits mots, “survie du plus apte”, vont causer cent cinquante ans de polémique. C’est à partir de ces mots et des lois de Mendel que va s’élaborer une version politisée du “darwinisme social”, qui va dégénérer en interprétation de la vie comme une lutte sans merci qui permettrait “légitimement” au plus fort de l’emporter sur le plus faible. Cette idéologie recueillera un succès croissant et permettra de justifier les inégalités sociales, les guerres de conquête avec la disparition des ”races inférieures”, jusqu’à l’eugénisme et l’amélioration de la “race” en raison de la confiance en la puissance de la science. La critique du darwinisme social trouve son apogée avec la thèse de l’entraide développée en 1902 par le géographe P.Kropotkine. Dans L’Entraide : un facteur de l’évolution, il répond spécifiquement aux théories de T. H. Huxley publiées dans La Lutte pour l’existence dans la société humaine en 1888. Sans nier la théorie de l’évolution de Darwin, Kropotkine y précise que les espèces les mieux adaptées ne sont pas nécessairement les plus agressives, elles peuvent être les plus sociales et les plus solidaires, la compétition ne serait donc pas le levier d’évolution le plus “efficace”. Pour le primatologue néerlando-américain F. de Waal, qui étudie le sentiment d’empathie chez les animaux, le darwinisme social « est une interprétation abusive : oui, la compétition est importante dans la nature mais, on l’a vu, il n’y a pas que cela… Nous sommes aussi programmés pour être empathiques, pour être en résonance avec les émotions des autres [11] ». « Dans la nature, la compétition n’est pas le seul moyen de survivre. La coopération a largement sa place [12] ». L.Thomas va plus loin : « Le besoin de se rendre utile pourrait bien se révéler le trait le plus déterminant de l’aptitude à la survie, plus important que l’agression, plus efficace, à long terme, que l’instinct d’appropriation ». Darwin dit bien, mais il ne sera pas entendu, que le point ultime de l’évolution, c’est la capacité et le désir qu’ont acquis les hommes à désobéir à la nature : “Nous humains, sommes naturellement habités par la compassion. Nous devons donc obéir à ce penchant naturel au risque, sinon, de porter préjudice à la plus noble partie de notre nature”. Pour justifier une politique basée sur la loi du plus fort, nos décideurs s’appuient donc sur de faux principes de biologie.

Et où en est la criminologie, l’étude de la propension à réaliser des conduites et des actes considérés comme des agressions ? Les théories les plus récentes insistent sur l’influence du milieu social comme prépondérante dans les causes entraînant les actes criminels. Son chef de file, A. Lacassagne, a mis l’accent sur l’influence quasi-exclusive du milieu social dans l’étiologie criminelle… L’agressivité est décriée chez les “jeunes des banlieues” et dans toute inscription dans un mouvement de contestation de l’ordre établi… mais elle est, par contre, fortement valorisée par la même idéologie libérale en ce qui concerne les jeunes cadres, blancs, poussés à se battre pour être les meilleurs sur le marché [13] !

Concluons avec M. Sahlins : « Le point crucial est le suivant : pendant trois millions d’années, l’évolution biologique des hommes a obéi à une sélection culturelle. Nous avons été, corps et âme, façonnés pour vivre une existence culturelle… Nés ni bons ni méchants, les hommes se façonnent dans l’activité sociale telle qu’elle se déploie dans des circonstances historiques déterminées…la civilisation occidentale est construite sur une vision pervertie et erronée de la nature humaine. Pardon, je suis désolé, mais tout cela est une erreur. Ce qui est vrai en revanche, c’est que cette fausse idée de la nature humaine met notre vie en danger [14] ». Aussi loin que nous cherchions autour de nous, nous ne trouverons jamais “d’homme naturel”, mais des formes de cultures dans lesquelles des hommes apprennent le modèle d’humanité qui est le leur. C’est la leçon que délivre l’ethnologie contemporaine, notamment l’anthropologie structurale développée par Claude Levi-Strauss.

L’action des individus est donc, au terme de la théorisation de Bourdieu, fondamentalement le produit des structures objectives du monde dans lequel ils vivent, et qui façonnent en eux un ensemble de dispositions qui vont structurer leurs façons de penser, de percevoir et d’agir.

Et pour appuyer l’ensemble de ces études et témoignages, citons Henri Laborit, grand chercheur dans ce domaine : « Nous sommes …obligés, par l’étude expérimentale du comportement agressif, de nous élever contre l’interprétation largement diffusée au cours de ces dernières années, de l’implacabilité génétique de l’agressivité chez l’homme… Comme il serait peu probable que ce soient les dominés qui tentent d’eux-mêmes d’assurer la stabilité d’un système hiérarchique, il faut bien que les dominants installent très tôt dans le système nerveux de l’ensemble des individus du groupe, un type d’automatismes socioculturels, de jugements de valeurs favorables au maintien de leur dominance, donc de l’organisation hiérarchique du groupe… C’est ainsi que l’on fera appel à la nature pour montrer l’implacabilité de l’agressivité chez l’homme puisqu’elle existe chez l’animal, ce qui déculpabilise les hiérarchies, les dominances, l’agressivité des dominants en réponse à celle des dominés … Il faut motiver l’homme de demain pour qu’il comprenne que ce n’est qu’en s’occupant des autres, ou plus exactement des rapports des hommes entre eux, de tous les hommes quels qu’ils soient, qu’il pourra trouver la sécurité, la gratification, le plaisir. … Nous entrons dans une ère où toutes les “valeurs” anciennes établies pour favoriser la dominance hiérarchique doivent s’effondrer » [15].

Poser l’importance du contexte environnemental, c’est concevoir qu’on ne naît ni bon, ni mauvais, que chaque individu est ancré dans une histoire en devenir et qu’il peut donc changer si on lui en donne les moyens. C’est partir du principe que les êtres humains sont avant tout le reflet de la société dans laquelle ils vivent et qu’on peut à tout moment débattre collectivement de ce type de société et la faire évoluer en fonction de ce qui pourra être épanouissant pour chacun-e.

Il est absurde que le capitalisme, né de conditions particulières, puisse imposer ses nuisances dans le monde entier. Il se cache derrière sa réussite technique en la présentant comme la panacée universelle, comme la condition du bonheur sur Terre, alors qu’il ne propose, en réalité, qu’un enfermement dans le consumérisme, la dépendance envers le matériel, sinon l’expression de la violence sous toutes ses formes. En raison des dégradations catastrophiques infligées à l’environnement, il est responsable d’une prolifération croissante de maladies qui atteignent aussi bien le physique que le mental. Le cancer n’a-t-il pas l’aspect aujourd’hui des épidémies de peste d’antan ? La lucidité suffirait à indiquer que ce système politico-économique représente à présent le plus grand fléau contre lequel l’humanité doit lutter. Or, élevé au niveau d’une religion, nourri par la foi en la techno-science, son alliée, il demande l’aveuglement d’un fanatisme sectaire, l’abandon de tout raisonnement au profit de prêtres-experts censés être seuls capables d’assurer un avenir meilleur. L’intégrisme et le désir d’hégémonie qu’il affiche réalisent dans le monde le même effet que le réchauffement brutal du climat sur les espèces végétales et animales, l’impossibilité pour la majeure partie des membres de l’humanité de s’adapter aux exigences du “marché” en s’attirant les bonnes grâces de la “main invisible”, donc de sombrer dans l’exclusion et même l’élimination.

Un changement de la mentalité contemporaine est-il encore possible ? — Comme nous l’avons vu, une modification de la personnalité humaine peut être le fait d’une évolution culturelle. Les troubles mentaux (dépressions, stress, névroses, suicides, déséquilibres familiaux, …) nés du capitalisme, montrent que l’humain ne s’est pas adapté à ce genre de régime, qu’il n’a pas eu le temps de se corrompre définitivement et qu’un changement aurait donc toutes les chances d’être un soulagement, une renaissance salutaire. Le retour à des conceptions initiales, telles celles énoncées par Mauss, au sein d’une conjoncture devenue comparable, c’est-à-dire une situation qui propose l’abondance concertée, respectueuse de l’environnement, et la priorité donnée à l’Être sur l’Avoir, doit permettre au distributisme, en conformité avec les données modernes, de trouver sa place.


[1Cette locution fut inventée par Plaute dans sa comédie Asinaria (la comédie des ânes) puis fut reprise par Erasme dans Adagiorum Collectanea ,par Rabelais dans le Tiers livre, par Montaigne dans les Essais (III, 5), par F. Bacon dans De Dignitate et Novum Organum avant Hobbes dans le De cive (épitre dédicatoire).

[2Marshall Sahlins, La nature humaine éd. de l’Eclat Terra Incognita.

[3Jacques Van Rillaer, L’agressivité humaine, page 137

[4Noam Chomsky, La doctrine des bonnes intentions, 10/18, coll. “Fait et Cause”, page 160.

[5Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, page 28.

[6Th.Bokanovski, Psychanalyse.lu Le concept de pulsion de mort.

[7Jacques Van Rillaer, L’agressivité humaine. p.131.

[8J.P. Scott, The natural history of agression. Science 1965 page 148.

[9Jacquestestart.free.fr/Le nouvel eugénisme : trier l’humanité dans l’œuf, Colloque “les usages du vivant”, univ. Strasbourg, éd. Néothèque.

[10Richard Trembla,. Developmental Origins of Aggression (Guilford Press) 2005.

[11Frans de Waal. L’empathie caractérise tous les mammifères Interview : (Libération, 11 mars 2010).

[12Frans de Waal, L’Age de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire. Traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra. éd.LLL, Les liens qui libèrent.2010.

[13http://panoptique.boum.org. Science et délinquance : génétique de l’agressivité ou agressivité de la génétique. 26 septembre 2008.

[14Marshall Sahlins, La nature humaine, éd. de l’Eclat Terra Incognita.

[15Henri Laborit, La nouvelle grille.


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