Sainte Alliance contre… Droits de l’Homme
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Publication : novembre 2001
Mise en ligne : 3 septembre 2008
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C’était déjà atroce d’avoir vu en direct, il y a un mois, de quelle violence notre monde est capable, mais que dire aujourd’hui des réactions ? S’il est vrai que “nous”, pays dits développés, nous approuvons Bush junior, alors il y a vraiment de quoi désespérer.
Personne n’a le courage de l’arrêter, de lui rappeler qu’un pays n’a pas le droit, parce qu’il en a les moyens, d’assassiner des peuples les uns après les autres. Pas un “décideur” dans nos pays dits civilisés n’ose dire que cette nouvelle guerre folle n’a pas pour but de trouver les responsables des attentats pour les juger et les punir, c’est un prétexte, car on ne vient pas à bout du terrorisme par le terrorisme !
Comment l’ONU peut-elle laisser faire ? Il est vrai qu’il y a des précédents, par exemple, quand l’ambassadrice des états-Unis auprès de cette Organisation a dit à propos de la mort de 500.000 enfants irakiens causée pas les sanctions décidées par son pays que : « ce prix en valait la peine », elle n’a pas été limogée. Et après cela, le Prix Nobel de la Paix est attribué à l’ONU !
Le Secrétaire des états-Unis à la Défense peut donc annoncer avec joie une nouvelle guerre froide « qui consistera en des fronts multiples pendant longtemps et requerra une pression continue par un grand nombre de pays. Nous emploierons tous les moyens… ouverts et secrets ». à quoi un ancien membre du Conseil national de sécurité se permet d’ajouter qu’après la première phase « notre attention se tournera ailleurs, vers l’Irak, l’Iran, la Syrie, le Soudan, la Libye et, pourquoi pas, l’IRA s’il était prouvé qu’elle a formé des guérilleros colombiens ». En voyant comment les états-Unis établissent et montrent leurs “preuves”, on comprend ce que signifie “justice sans limite” : la chasse aux sorcières à l’échelle mondiale. Et le spécialiste de la guerre froide ajoute sans état d’âme : « Un des bénéfices de l’opération contre les Talibans, c’est de faire passer aux autres pays le message qu’ils pourraient subir le même sort… Pour Bush… il a réorganisé son administration autour de ce combat et misé son avenir politique dessus ». Mais ce qu’il ne dit pas, c’est que son pays a aidé naguère à la mise en place des Talibans afin que l’Afghanistan, ainsi dominé, ne s’oppose pas aux intérêts américains d’y faire passer les pipe-lines qu’ils aimeraient y installer pour transporter le pétrole et le gaz de la Caspienne. L’intégrisme des Talibans ne les gênait alors pas plus que celui de l’autre grand pétrolier ami, l’Arabie Saoudite. Et cela vaut bien qu’ils s’allient à tous les pays qui méprisent les Droits de l’Homme.
Notre monde est mis par des fous furieux au service de leurs seuls intérêts.
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À peine avais-je écrit ceci que j’ai été interrompue par l’arrivée du quoti-dien Le Monde, daté du 20 octobre. Cela tombe bien, car si vous ne croyez pas que notre sort est entre les mains de fous, méditez ces deux nouvelles qu’il contient :
Page 4, on apprend que l’armée de l’Air américaine utilise en Afghanistan plusieurs dizaines de drones, vrais symboles de ce dont l’ingéniosité américaine est capable. Un tel engin a un nom évocateur : Predator. Et c’est un prédateur vraiment moderne : un avion sans pilote, qui peut atteindre 12.000 mètres d’altitude, voler jusqu’à 420 km/h et tenir l’air 40 heures d’affilée. Jusqu’ici, il était équipé pour espionner (surveillance optique et écoute électronique) et transmettre instantanément ses observations à Washington, via un satellite. Mais il est maintenant armé de missiles capables de détruire des objectifs blindés à 5 km de distance… Il va faire des merveilles … dans un pays déjà détruit !
La page 28 contient la confirmation que le génie humain est capable de formidables inventions. Nous sou- haitons tous, du moins je l’espère, qu’il soit appliqué dans d’autres domaines que celui de ce Prédateur sans risque (pour celui qui le commande). Eh bien, c’est le cas avec le sujet de cet article signé J-M Normand : il décrit des innovations sensationnelles dans le domaine de la grande consommation. Mais nous sommes dans un système économique tellement idiot que voici quelques exemples de l’utilisation qui y est faite des esprits les plus inventifs. Ils concernent ce qui est désigné par le terme bien français de packaging. D’abord, une nouvelle forme, celle de billes, donnée aux saucisses de Strasboug, pour amuser les enfants et pour séduire les adultes qui seront heureux de les manger avec les doigts à l’apéritif. Leur boîte d’emballage a été si bien étudiée qu’elle peut être utilisée “en version plateau-télé” et réchauffée au four micro-ondes. Le journaliste, qui a enquêté, sait que le créateur se propose de « tirer ce marché vers le haut », ce qui veut dire, il traduit pour nous, « l’étendre à des produits plus chers ». Cette idée géniale n’est pas un acte isolé, c’est une trouvaille qui s’inscrit dans une nouvelle stratégie : conditionner des produits de grande consommation à contre-emploi, c’est-à-dire avec une bouleversante originalité. Nul doute que les clients vont être fascinés en trouvant des gels-douche à la vanille qui leur donnent faim, des savons au cacao en forme de tablettes de chocolat et des sels de bains orange vendus dans un sucrier. Les mamans vont se précipiter pour acheter les nouvelles lessives qui seront vendues sous l’apparence de gros Malabars roses — et elles laisseront sans doute leurs enfants tester leurs propriétés détergentes. Il paraît que la grande révélation des Arts ménagers du XXI ème siècle est la lingette individuelle, résultat des cogitations des « capteurs de tendance ayant pour objectif la revalorisation des tâches ménagères ». Les conditionnements individuels (on dit en “sticks”) « épousent en effet l’évolution sociologique et les nouveaux modes de consommation (s’alimenter en dehors des repas) ». Le journaliste commente cette utilisation de la sociologie, que pour ma part je trouve “à contre-emploi”, en observant que « faire “rigolo” ou “décalé”, c’est redonner de l’intérêt à un produit banalisé, faire en sorte que l’acheteur en ait envie et non plus seulement besoin ». Et un doute lui vient : cette propension à apprécier la futilité, à se faire plaisir en jouant avec les produits de consommation, va-t-elle survivre aux incertitudes nées des attentats ? — « Nous n’avons perçu aucun changement » répond la directrice d’une agence de “design”, qui ajoute : « je ne crois pas à un retour en arrière… au contraire, se recentrer sur soi, se faire plaisir devrait rester une valeur refuge. »
Ceci est encourageant pour Bush, il peut poursuivre son escalade, rien, ni personne, ne l’oblige à réfléchir. Mais jusqu’où ?
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Cette folie menacerait-elle aussi nos lecteurs ? Car nous nous attendions à une foule de réactions de leur part, et, au contraire, leur courrier s’est brusquement tari ce mois-ci, comme s’ils étaient tous tétanisés. Faut-il aussi désespérer d’eux ?