Maître du monde ?


par  C. ECKERT
Publication : novembre 2001
Mise en ligne : 3 septembre 2008

Lors des péripéties électorales qui ont précédé la désignation de G.W. Bush à la présidence des Etats-Unis, Caroline Eckert se souvient qu’un texte, qui circulait alors sur internet, l’avait frappée.

Elle l’a retrouvé et le commente à la lumière de l’actualité :

Dans un article publié dans la presse du Zimbabwe et qui circulait sur internet il y a moins d’un an, Jonathan Moyo, docteur en sciences sociales, Ministre de l’information du gouvernement Mugabe, estimait que tous les enfants du monde devraient étudier le déroulement des élections aux États-Unis, car elles sont manifestement la preuve que la fraude n’est pas un phénomène réservé aux pays en voie de développement.

 Vainqueur autoproclamé

Pour étayer ce point de vue, il exposait, non sans humour, l’argumentation suivante :

• Imaginez que nous lisions un article dans notre journal préféré parlant d’une élection dans un pays du Tiers monde où le candidat qui s’est autoproclamé vainqueur était le fils d’un ancien président, lui-même ancien chef de la police secrète du pays (CIA).

• Imaginez que ce vainqueur autoproclamé n’ait en fait pas obtenu la majorité des votes de la population, mais qu’il soit quand même l’heureux gagnant des élections selon une règle héritée de l’époque du colonialisme prévoyant le collège électoral qui doit désigner le président.

• Imaginez que la “victoire” du vainqueur autoproclamé ait été acquise à la suite du dépouillement contesté des bulletins de vote dans un district dirigé par son propre frère !

• Imaginez que dans un district, justement celui où les électeurs étaient en faveur de l’adversaire du candidat autoproclamé, les bulletins de vote aient été imprimés de telle manière que des milliers d’électeurs n’aient en fait pas voté pour leur candidat favori.

• Imaginez que les représentants de la caste la plus méprisée du pays, qui crai-gnaient ouvertement pour leur vie et leur gagne-pain, se soient présentés en masse pour voter avec une unanimité presque totale contre le vainqueur autoproclamé.

• Imaginez que des centaines de membres de cette caste méprisée aient été bloqués sur le chemin des bureaux de vote par la police de l’État qui avait reçu ses ordres directement du frère du vainqueur autoproclamé.

• Imaginez que six millions d’électeurs se soient rendus aux urnes dans la province contestée et que le vainqueur autoproclamé n’ait “gagné” qu’avec 327 voix d’avance, chiffre sans doute inférieur à la marge d’erreur des machines qui effectuent le décompte des voix.

• Imaginez que le vainqueur autoproclamé et son parti politique se soient formellement opposés à un contrôle et à un nouveau décompte manuel des voix dans la province contestée ou dans le district où la situation est la plus disputée.

• Imaginez que le vainqueur autoproclamé, lui-même gouverneur d’une province, ait les plus mauvaises références en matière de droits de l’Homme de toutes les provinces et de tout le pays, et qu’il détienne en fait le triste record du plus grand nombre d’exécutions.

• Imaginez que l’une des plus importantes promesses électorales du vainqueur autoproclamé ait été qu’il nommerait à vie à la Haute Cour de justice du pays des personnes qui, comme lui, ne respectent en rien les droits de l’Homme.

Personne parmi nous ne prendrait la peine de croire qu’une telle élection est représentative d’autre chose que de la volonté du candidat autoproclamé de prendre le pouvoir à tout prix.

Et je peux tout à fait imaginer que nous tournerions tous la page du journal avec un sentiment de dégoût et en nous disant que nous avions à nouveau été les témoins d’une péripétie plus que navrante, orchestrée par des individus anti-démocrates dans une région un peu bizarre de notre planète...

 Puis maitre autoproclamé du monde entier

S’il avait rédigé son texte aujourd’hui, l’auteur aurait probablement ajouté quelque chose du genre :

Imaginez que dix mois plus tard, pro-fitant d’un tragique événement, le vainqueur autoproclamé s’intronise lui-même maître du monde en exigeant que tout un chacun n’ait pas d’autre choix que le soutenir ou être dans le camp des terroristes.

Les habitants de cette région un peu bizarre de notre planète ne restent pourtant pas tous sans réaction, comme on a pu le lire dans le supplément du Monde du 27 septembre : selon Arno J. Mayer, professeur à l’université de Princeton, « il n’existe pas l’ombre d’un équilibre militaire des forces : même sans alliés, l’Amérique, gendarme autoproclamé du monde, a la capacité militaire de “faire la loi” [...] Car les États-Unis sont bien un empire, et pas une superpuissance ; empire dont la maîtrise et la portée hégémonique dépassent celles de l’empire romain [...] Il n’est pas étonnant que cette omnipotence, sans précédent ni concurrence, nourrisse une arrogance hors du commun [...] Les temps vont être une fois encore très sombres pour les êtres pensants ». Pour Paul Kennedy, professeur à l’université Yale, « le président Bush et les médias américains ont [...] parlé de chasse aux coupables, comme si les terroristes étaient des braqueurs de banque du Far-West qui s’étaient enfuis au galop dans les collines du Montana, avec le shérif à leurs trousses ». James Rubin, ancien premier conseiller de Madeleine Albright et porte-parole du département d’État sous la présidence Clinton, estime que « la politique étrangère américaine, que certains gouvernement-clés d’Europe ne partagent pas entièrement, est considérée comme étant à l’origine de ces attentats ». Les Européens ne sont pas les seuls à porter ce jugement puisque Suzan Sontag, essayiste, considère que « les voix autorisées à sui-vre les événements semblent s’être associées dans une campagne destinée à infantiliser le public. Qui a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’une “lâche” agression contre la “civilisation” [...] mais d’une agression contre les Etats-Unis, la superpuissance mondiale autoproclamée, une agression qui est la conséquence de certaines actions et de certains intérêts américains ? [...] L’unanimité de la rhétorique moralisatrice [...] est indigne d’une démocratie adulte ».

Ces habitants nous rassurent quant à l’existence d’êtres pensants dans cette région.


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