Sur les idées reçues à propos des Roms

Tribune libre
par  C. DUC-JUVENETON
Publication : janvier 2013
Mise en ligne : 1er avril 2013

Nous avons reçu d’un fidèle lecteur le reproche suivant : « L’article du N°2012 signé A. Fourest me gêne. Il y a des fois où on se demande si on est encore en France. Je sais, on peut toujours invoquer la misère du monde causée par les règles économiques que nous critiquons. La question est : jusqu’où aller dans l’accueil ? En ce qui concerne les “gens du voyage” pour faire court, je peux vous dire que leur comportement pose d’importants problèmes et qui se multiplient. Par exemple on en voit souvent ici qui, voyant telle personne perplexe devant une borne délivrant des titres de transport, se propose de l’aider et manœuvre ensuite pour ne pas rendre la monnaie... Il y a 2 mois, 70 caravanes ont squatté un parc voisin ; nous avons été aussitôt cambriolés : fracture de porte, bijou enlevé auquel ma femme tenait parce que qu’il lui venant de ses parents... Quand enfin ils ont été expulsés, la commune a dû puiser sur nos impôts pour nettoyer le capharnaüm, les déchets de toutes sortes y compris humains, qui avaient dégradé le site. Ceux qui les soutiennent sont-ils prêts à accueillir une ou quelques-unes de ces caravanes dans leur jardin ? Au moins on ne pourrait pas les soupçonner de se donner bonne conscience en rejetant le problème sur la collectivité. Encore une fois je connais déjà la réponse... Les analyses de La Grande Relève sont judicieuses sur le plan économique. Elle devrait être plus circonspecte sur le plan socioculturel. Ferez-vous part de cette opinion ? G.G., Grenoble. »

Non seulement nous faisons part de cette opinion, mais Christiane Duc-Juvéneton a tenu à y répondre par une réflexion la plus documentée possible sur le sujet :

Je vais me servir d’un ensemble de contributions présentées au Colloque organisé le 6 octobre 2012 à Aix-en-Provence par le Collectif Aixois pour la Dignité des Roms, des Immigrés et des Sans papiers.

Ce colloque était composé de deux tables rondes, la première intitulée Europe, Méditerranée : Pour un monde de dialogue et d’échanges respectueux des droits et de la dignité de tous, la seconde : Vers la fin de la stigmatisation, pour des solutions humaines et durables. Il était tenu non seulement par des universitaires ayant fait des recherches à ce sujet, mais aussi par des gens de terrain, qui connaissent très bien les Roms.

 La responsabilité des politiques dans la question des Roms :

La sénatrice Aline Archimbaud dénonce une classe politique démagogue, électoraliste, populiste et dangereuse, qui désigne des cibles et joue avec le feu en s’arrangeant pour que les pauvres se battent contre les pauvres. En effet, explique-t-elle, des mesures, dites transitoires, s’adressent aux Roumains et aux Bulgares, citoyens considérés comme “de seconde zone”. Et non seulement ces mesures ne leur donnent accès, après délivrance d’un permis de travail, qu’à un nombre restreint d’emplois (150 métiers dits “en tension”), mais encore exigent que l’employeur, pour pouvoir les embaucher, paye une taxe à l’Office français de l’immigration ! On reproche donc aux Roms de ne pas travailler tout en faisant tout pour qu’ils ne le puissent pas ! Or la levée de ces mesures dépend d’une simple décision du gouvernement, comme l’ont fait l’Italie et l’Irlande.

La décision n’appartient qu’à la France renchérit la députée Marie-Christine Vergiat. Ce sont les États membres qui décident, l’Europe n’a rien demandé. Mais on se retranche derrière l’Europe parce qu’on n’a pas le courage de ses choix... Quand les Droits de l’Homme sont évoqués, on ne veut surtout pas qu’on vienne nous dire ce qu’il faut faire ! Il n’empêche que le Parlement Européen a justement condamné la France au sujet des Roms. Mais ça ne suit pas. L’Europe n’est pas aussi efficace pour les Droits de l’Homme que pour l’économie !!! Il ne faut pas que la CE s’efface devant les gouvernements. La vigilance publique pèse énormément sur les politiques. Il faut donc que les politiques soient soutenus par des associations, des mairies, des citoyens, des collectifs locaux, et que ceux-ci prêtent leur concours à l’analyse de terrain.

Après avoir souligné les capacités de résilience et de solidarité dont font preuve les Roms, et évoqué la médaille de meilleure apprentie de France décernée à Cristina Dimitru [1], M-C Vergiat nous a stupéfaits en nous révélant qu’il y a des fonds européens pour les Roms et que la France ne les utilise pas. Il y a 400 millions pour la France, dont un million seulement a été consommé ! Alors, conclut-elle, elle est où toute cette misère du monde pour laquelle il nous faut payer ? Elle est où, cette lourde charge sur les impôts ?

Notre lecteur évoquait cette charge, on ne peut donc que l’encourager à suivre les conseils de M-C. Vergiat : faire pression sur les élus et le gouvernement. Pourquoi nous font-ils payer cette dépense puisqu’ils peuvent disposer des fonds européens pour cela ?

 Perspective historique : les États-Nations et les Roms

L’historien Ilsen About Iris [2] expose que la France est traditionnellement une terre d’accueil, mais que la question des Roms, telle qu’elle se pose aujourd’hui, est récente (années 90). C’est l’intégration européenne qui l’a fait apparaître : lorsque la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ont explosé, il fallait une requalification de ces populations pour qu’elles soient reconnues comme minorités. Ce problème, lié à l’histoire des Tziganes et à celle des communautés européennes, resurgit aujourd’hui. Comme ils sont dans l’espace Schengen, on les utilise pour signifier l’échec de l’Europe.

À propos des récentes expulsions à Marseille, on a vu déraper les discours politiques dans le sens de la violence. À chaque période, il y a des politiques qui décident de viser ces populations, et ça ne concerne pas que la droite.

Ilsen About Iris rappelle que les Tziganes sont réputés pour leur présence séculaire dans tous les pays d’Europe, présence qui n’a pas toujours été problématique. Il y avait une fluidité, qui disparaît avec les États-Nations. Nous vivons un tournant à ce propos : que faut-il faire des États-Nations ? Il estime qu’il y a des raisons d’être pessimistes, mais que les initiatives locales sont une des clefs pour en sortir.

 Héritage et méfaits de dix ans de sarkozysme 

Chercheur au CNRS, Marc Bordigoni rappelle que depuis l’alternance, en 2002, le ministre de l’Intérieur s’occupe plus des Roms que le secrétaire au logement. C’est justement Sarkozy (lois sur saisies de caravanes), et il continuera à s’en occuper comme Président de la République, faisant alors l’amalgame de tous les gens du voyage. Cet amalgame est dramatique, il mélange les problèmes : il associe délinquance et violence, ne s’attaque pas à une particularité ethnique, mais à une pratique commune à tous : occuper des terrains illicites. Il dit : Le droit de circuler est un droit constitutionnel en France. Il n’est pas question d’interdire les gens du voyage. (On y avait donc pensé ?) Et dès lors, toute la législation va désormais tourner autour de « toute occupation de terrain est illicite ». Quelle que soit la situation de ces familles, il est illégitime qu’elles soient là.

Il donne un exemple qui répond à une question de notre lecteur : à Annecy, un homme avait donné son accord pour que des Roms s’installent chez lui. Le maire, Bernard Accoyer, a déclaré l’endroit insalubre, ce qui n’était pas le cas, et les Roms ont été expulsés sous prétexte de troubles à l’ordre public. Comme d’habitude !

L’immigration de Roms n’a pas augmenté, mais on assiste à un afflux économique de gens qui viennent chercher subsistance. Or les Roms sont très débrouillards, ils se glissent dans les interstices de l’économie. Ceux qu’on voit sont ceux qui sont dans la plus grande difficulté, qui savent le moins s’en sortir. Mais il y a, parmi eux, des travailleurs clandestins ordinaires, invisibles. Et comme on les met tous dans le même sac, ils essaient de se soutenir. Il y a une construction systématique de l’insécurité liée à ces populations. Edwy Pleynel souligne qu’ils prennent une grande place dans les médias, alors qu’ils ne sont pas très nombreux : c’est l’arbre qui cache la forêt.

La question du droit au travail est très importante… En Espagne, 100.000 Roms viennent cueillir les olives, au détriment des Maghrébins. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins de contrôles quand on emploie des gens de nationalité européenne ! L’Espagne régule ainsi les activités abandonnées par les populations locales. Cette main d’œuvre est en majorité paysanne, elle est saisonnière, et beaucoup d’agriculteurs travaillent avec les mêmes familles Roms depuis des décennies.

 Assumons nos responsabilités

Ainsi que l’a rappelé la députée M-C Vergiat, la vigilance publique pèse énormément sur les politiques. Or les fantasmes et les préjugés à l‘égard des Roms sont très anciens en Europe, la violence envers eux aussi, le racisme profond à leur encontre n’a pas disparu.

Alors, pour conclure, je pose la question : nous qui voulons nous émanciper du pouvoir des politiques et des riches qui décident à notre place, pourquoi nous laissons-nous encore séduire par leurs sirènes ? Elles nous poussent à nous diviser, à nous lever les uns contre les autres, à nous mépriser mutuellement ! Il est temps de libérer nos opinions de celle des dirigeants. D’inscrire les Droits de l’Homme et le droit à la dignité pour tous au seul endroit où l’on ne pourra pas nous les prendre : dans nos cœurs et nos convictions !

Dans la société que souhaite La Grande Relève, chacun se sent responsable et solidaire de tous les autres. On ne peut donc pas construire cette société en acceptant, comme nous y invitent certains politiques pour se donner bonne conscience, d’attribuer la cause de nos maux aux étrangers.


[1Pour la deuxième année consécutive, le concours des meilleurs apprentis de France a distingué une jeune femme d’origine rom. Cristina Dimitru, 18 ans, a reçu au Sénat la médaille d’or dans la catégorie "pressing”. Très émue, elle a raconté, avec fierté, son parcours : un rêve qui se réalise après des années de galère. Arrivée de Roumanie en 2005 avec sa famille, Cristina a vécu longtemps dans une caravane, sans eau, ni électricité, et sans papiers car les demandes de régularisation de sa famille, pourtant insérée (ses deux parents travaillent comme saisonniers dans des entreprises de maraîchage) ayant toutes été rejetées. Pour s’en sortir, elle a tout misé sur l’école : « C’était très dur au début, j’ai travaillé deux fois plus que les autres ». Mais, désormais, Cristina a confiance en l’avenir : « Je vais pouvoir passer mon permis et continuer mes études ». Elle prépare un CAP vente. « Je veux donner une belle image des Roumains ». Mais les parents et le petit frère de Cristina sont, eux, toujours sans papiers… Voir http://www.rmc.fr

[2École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris, Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMS), Université Aix-Marseille.