Trotsky et l’abondance
Publication : octobre 1980
Mise en ligne : 25 mars 2008
• TROTSKY, par Ernest Mandel (publié à Londres, New Left Books en 1979, traduit chez Maspéro « Petite Collection », n° 237, en 1980).
« Trotsky a souvent été accusé d’avoir une
conception naïve de l’abondance des biens matériels - conception,
soit dit en, passant, qu’on l’accuse d’avoir partagée avec Marx
et Engels. La référence à l’impossibilité
d’atteindre l’abondance, comme argument définitif contre le socialisme
et le communisme - déjà bien connu au XIXe siècle
-, a récemment été soutenue par les disciples de
l’« école de la croissance zéro » et par les
écologistes néo-malthusiens qui expliquent que, avec une
population mondiale potentielle de 10-12 milliards, l’abondance des
biens matériels serait soit une catastrophe pour l’environnement,
soit une impossibilité physique.
Trotsky a répondu à l’avance à de telles objections
en expliquant que le concept d’« abondance » ne se réfère
pas seulement mécaniquement au niveau de l’économie, mais
est plus un concept sociopsychologique, déterminé évidemment
pas les préconditions matérielles. Une fois que l’habitude
de distribuer les produits et les services fondamentaux en fonction
des besoins est assimilée par tous les membres de la société,
un point de saturation sera rapidement atteint et la consommation effective
pourra même diminuer (ou pour le moins se stabiliser). Il prend
le simple exemple des habitudes des bourgeois et des petits- bourgeois
cossus dans les restaurants, hôtels et pensions confortables où
le sucre est mis gratuitement sur la table. Cela n’amène pas
du tout à une augmentation aiguë de la consommation du sucre
- au contraire.
On peut également dire, en étendant l’argument de Trotsky,
que les habitudes de consommation des couches à revenu supérieur
dans les sociétés bourgeoises avancées ont confirmé
la prédiction marxiste selon laquelle, quand un tel point de
saturation est atteint, la consommation tend à diminuer, non
seulement en fonction de la « loi d’Engels », mais avant
tout parce que les priorités sont radicalement renversées.
La préservation de la santé et les loisirs remplacent
de façon croissante l’accumulation absurde de biens matériels.
On peut même arguer, pour paradoxal que cela puisse paraître,
que c’est la société bourgeoise et l’économie de
marché, avec leur publicité frénétique pour
étendre le marché pour des produits de plus en plus inutiles,
qui à la fois rendent les gens continuellement frustrés
et accroissent la consommation au-dessus du niveau correspondant à
ait système de distribution socialiste basé sur des produits
et des services gratuits. »
(Transmis par A. DUMAS)