Nouvelle offensive
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Publication : juin 2012
Mise en ligne : 5 juillet 2012
Le 4 juin a eu lieu dans le Nord une marche en souvenir des 100.000 mineurs qui firent grève en mai et juin 1941, refusant l’augmentation du temps de travail exigée par les compagnies minières qui collaboraient avec le régime de Vichy. Hommage fut ainsi rendu « aux peuples qui font l’Histoire ». Et particulièrement aux femmes de ces mineurs : elles furent d’abord 300 à défiler sans tambour ni trompettes, ni drapeaux ni banderoles. Mais leur détermination à soutenir les revendications des mineurs et à demander simplement de quoi se nourrir était telle qu’elles furent bientôt 2.000 à oser défiler, solidairement serrées les unes contre les autres, devant les automitrailleuses des troupes du Troisième Reich, commandées par l’extrême droite allemande.
Ce dimanche de Pentecôte, le 26 mai dernier, sur le plateau des Glières, un ancien résistant, Charles Palant, qui fut déporté à Auschwitz, lançait un appel poignant : « Sachons réagir vite quand l’Homme est menacé. Soyons fiers d’être des hommes ! ».
En ces deux lieux de mémoire, des cris d’alerte ont été lancés : Aujourd’hui, l’Homme est menacé, les peuples “qui font l’Histoire” vont-ils savoir réagir vite ?
C’est bien la question que posait Bernard Blavette dans notre précédent numéro, et les diverses réactions qu’elle soulève prouvent à quel point elle est cruciale. D’abord parce que la menace n’est pas limitée à notre pays, elle est mondialisée. Ensuite parce que la menace vitale pèse au moins autant sur les générations futures que sur l’actuelle. Parce que l’ennemi est aujourd’hui bien plus puissant que l’envahisseur nazi. Parce qu’il est plus difficile à saisir : selon l’aspect sur lequel ils veulent attirer l’attention, certains le désignent par la financiarisation du capitalisme, d’autres ciblent son origine, l’idéologie libérale ou néolibérale, d’autres encore dénoncent l’effet que l’actualité met en relief : la dictature des marchés, la crise et ses multiples facettes. On peut le désigner simplement comme l’aboutissement logique, et catastrophique, du capitalisme.
Mais le plus grave danger de cet envahisseur moderne est certainement le conditionnement par lequel ses troupes ont réussi à paralyser les esprits. Il est donc essentiel de comprendre quels procédés ont été employés, au cours de l’Histoire, pour parvenir à cette neutralisation, à la démission des “responsables” élus, à l’attitude actuelle de la plupart des gouvernants. Les armes pour nous défendre nous viennent donc des philosophes et des psychologues, qui nous aident à comprendre comment médias, politiciens, et même économistes, nous manipulent, nous font peur pour finalement nous persuader qu’il ne peut pas y avoir d’alternative.
L’économie verte
Nous avons déjà évoqué ici les deux traités (MES et TSCG) qui vont nous être imposés par les gouvernements de l’Union Européenne. Nous avons compris comment ils s’appuient sur les Dettes souveraines (dont la légitimité n’est pas remise en question, y compris par notre Président “normal”) pour imposer austérité et “règle d’or”, au mépris de toute réelle démocratie. La façon dont le Président de la Commission européenne vient de dicter à la France ce qu’elle devait faire, quelles mesures elle devait prendre sur le travail, le budget, les retraites, les services publics, etc., est éloquente.
Mais ce n’est pas tout pour cette année. La dernière offensive en date est désignée par un nom séduisant, « l‘économie verte », une vraie trouvaille ! Et elle ne concerne pas seulement quelques pays dits endettés.
Il s’agit de saisir l’occasion de la Conférence internationale qui va se tenir à Rio de Janeiro, du 20 au 23 juin prochains, pour faire passer l’une des plus grandes offensives mondiales du capitalisme : la commercialisation de la nature.
Les engagements pris en 1992 au Sommet de la Terre de Rio n’ont pas été tenus, qu’il s’agisse de ceux destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à stopper la déforestation ou la perte de biodiversité. Le bilan en est si désastreux que les observations conduisent maintenant à des prévisions pires qu’il y a 20 ans à propos du réchauffement climatique et des autres désastres prévisibles. La responsabilité humaine dans cette évolution est reconnue par les scientifiques, pour qui nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, qu’ils qualifient par le terme anthropocène, ce qui signifie que l’espèce humaine est désormais la force majeure qui met la planète en danger.
Cette information devrait entraîner, de la part des “décideurs”, une révision complète de notre organisation économique, afin de protéger la nature au lieu de la laisser exploiter dans le seul souci de faire des profits. Il faut prendre des précautions, produire en économisant les ressources non renouvelables, empêcher les abus, les gâchis, les productions de luxe, d’armements, de polluants divers, et enfin limiter la production à ce qui est nécessaire pour assurer la survie de l’espèce humaine en répartissant de façon plus équitable les richesses ainsi produites. Mais pour cela, il faut évidemment que les investissements soient décidés en tenant compte de ces impératifs ! Rien n’ira dans ce sens tant que les investissements n’obéiront qu’au seul souci de permettre un placement rentable ! C’est donc l’obligation universelle de croissance et de rentabilité financière imposée par le capitalisme qu’il s’agit de supprimer.
Or c’est une démarche complètement opposée qui se prépare. Et de façon très sournoise. Sournoise parce que l’emploi du terme utilisé, économie verte, est séduisant : il fait croire que l’objectif est écologique. On se dit qu’il s’agit de développer dans l’habitat, dans les transports, partout, toutes sortes de nouvelles technologies et en pensant à tous les nouveaux emplois que cela va générer, on est prêt à s’enthousiasmer pour cette politique. C’est oublier que ces emplois seront créés de toute façon, quelle que soit l’organisation économique future, pour la bonne raison que c’est une nécessité imposée par l’épuisement des ressources naturelles, résultat de leur exploitation sans retenue.
La démarche est trompeuse aussi parce qu’il s’agit de masquer sous cet écran écologique le fait que, depuis maintenant plus de trente ans, l’idéologie libérale l’emporte sur la raison.
Le rapport Halte à la croissance ! (voir ci-dessus le “fil des jours”) et la Conférence de Stockholm en 1972, puis le rapport Bruntland en 1987, avaient lancé l’alerte sur la nécessité de veiller à ce que, désormais, le développement soit “durable”. Ce qui signifiait que, par suite d’une prise de conscience scientifique des réalités écologiques, et pour des raisons morales, de justice sociale, on ne devait plus laisser la sphère économique libre d’exploiter sans restriction ni contrôle les ressources de la nature et en compromettre les équilibres. C’est dans cet esprit que des conventions internationales (sur le climat et les gaz à effet de serre, sur la biodiversité et la désertification) ont été établies au Sommet de Rio en 1992.
Si elles n’ont pas été suivies, c’est que s’y est systématiquement opposée la volonté exprimée alors par Georges Bush, qui entendait maintenir “the american way of life”, le mode de vie des États-Unis, quelles qu’en soient les conséquences pour le reste de l’humanité. Selon cette idéologie libérale, et malgré toutes les preuves du contraire, la croissance est la solution absolue pour résoudre tous les problèmes posés, dont ceux de l’environnement, il faut donc confier la gestion des ressources de la nature aux marchés, et cela sans restriction, sans réflexion, et même sans jugement critique.
L’escalade se poursuit avec la convocation par l’Assemblée générale des Nations unies d’une Conférence Internationale sur le Développement Durable, à Rio, du 20 au 22 juin prochains, L’emploi de l’adjectif durable dans l’intitulé tend à faire croire qu’il est question d’aller dans le sens du compromis, évoqué plus haut, entre d’une part l’économique et d’autre part le social et l’environnement. L’illusion est entretenue dans la présentation du programme de cette conférence : « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie des ressources ». Mais ce qui se cache sous cette affiche alléchante, rédigée dans le style bien connu des belles promesses politiciennes, se révèle quand on étudie le document préparatoire, le “projet zéro” de cette conférence “Rio+20”, un texte court, intitulé « le futur que nous voulons », inspiré par le rapport 2011 du PNUE [1]. Un groupe de travail s’est chargé de l’étudier et a publié son analyse [2]. Selon cette étude, l’objectif poursuivi est, en fait, la promotion d’un “capitalisme vert”, qui associe les mesures d’austérité du “consensus de Washington” (imposées maintenant à l’Europe [3]) avec une innovation destinée à trouver de nouvelles sources de profit au capitalisme.
Cette perverse invention consiste à traiter la nature comme un capital financier : il faut fixer un prix à chacun des services que la nature offre gratuitement. Considérant désormais les plantes, les animaux et les écosystèmes comme des “prestataires de services”, il faudrait donc identifier ces services, puis leur assigner une valeur MONÉTAIRE, “évaluer leur statut” et calculer les limites de leur offre et de leur temps de conservation. L’objectif est de DÉVELOPPER DES MARCHÉS pour chacun de ces services et de les commercialiser. On tait, évidemment, le fiasco de la commercialisation des crédits carbone.
Toutes ces élucubrations reposent sur des affirmations telles que : toutes les crises, alimentaire, climatique, énergétique, sont dues à “l’absence d’allocation en capital“ ; ou bien “n’a de valeur que ce qui a un prix, un propriétaire et rapporte des profits“ ! Le projet s’étend ensuite, mais passons, sur des “ajustements structurels” qui seraient nécessaires et sur les coûts additionnels qui en résulteraient, etc.
La riposte
Cette attaque est si savamment préparée, et présentée, qu’on se demande parfois si les décideurs qui vont la soutenir comprennent ce qu’ils font !
La résistance populaire est d’autant plus nécessaire. De nombreuses associations, dont Attac, se mobilisent. Elles ripostent en organisant en parallèle à la conférence officielle, un « Sommet des peuples », à Rio, du 15 au 23 juin. Il y sera rappelé que les biens naturels, tels que l’eau, les sols, ou l’air, ne sont ni des marchandises ni des actifs financiers. Ce sont des biens communs que la nature offre à toute l’humanité, ils sont à partager entre tous, non à s’approprier par quelques uns à des fins commerciales.
Le 20 juin sera une journée d’action mondiale pour dénoncer les crimes économiques, sociaux et écologiques des grandes entreprises capitalistes. Donc l’occasion, pour tous ceux qui ne pourront pas aller au Brésil, de se mobiliser en France afin d’alerter sur les enjeux de “Rio + 20” et de montrer comment un autre futur est possible.
[1] PNUE= Programme des nations unies pour l’environnement.
[2] Voir : http://nogreeneconomy.org/
[3] Lire “Europe, ta démocratie fout le camp !” dans GR 1123.