Et maintenant ?
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Publication : juin 2012
Mise en ligne : 30 juin 2012
Ne boudons pas l’apaisement qui résulte de la victoire de François Hollande au second tour de l’élection présidentielle. Une victoire acquise aussi grâce aux idées portées vigoureusement par le Front de gauche. Non pas un apaisement au terme de l’agitation médiatique qui accompagne une échéance électorale à laquelle notre système politique attribue une importance démesurée. Mais plutôt le soulagement de voir arriver au sommet de l’État un homme moins arrogant, qui ne fonde pas sa stratégie sur la peur et sur le vieil adage « diviser pour régner », un homme qui ne construit pas son ascension politique sur la haine du peuple, sur une volonté affichée de prendre fait et cause pour l’oligarchie, pour les riches. Un homme qui ne cherche pas à concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. C’est déjà beaucoup.
Solidarité, démocratie...
En effet, comme l’a souligné le nouvel élu dès son premier discours à Tulle, au soir de l’évènement : « Trop de fractures, de blessures, de ruptures, de coupures ont séparé nos concitoyens, c’en est fini. Le premier devoir du Président, c’est de rassembler et d’associer chaque citoyen à l’action commune pour relever les défis qui nous attendent (...) ». Car, assurément, la haine, la division sont contraires aux valeurs républicaines. Patrick Le Hyaric, directeur du journal l’Humanité et député européen, ajoute [1] : « La page est enfin tournée d’un quinquennat de la régression sociale et démocratique qui a tant fait souffrir notre peuple, tant défiguré et affaibli notre pays, tant stigmatisé, tant divisé, tant opposé les uns aux autres en piétinant les plus belles valeurs de notre république. (...) Le nouveau pouvoir aura besoin du rassemblement et de l’intervention du plus grand nombre ». Et l’on pourrait multiplier les citations dans cette tonalité chez tous ceux qui étouffaient sous la Présidence de Nicolas Sarkozy.
Mais, direz-vous, tous les Présidents fraîchement élus ont toujours clamé leur volonté d’être le Président de tous les Français, en refermant la parenthèse électorale. Pourtant, quel crédit pouvait-on accorder il y a cinq ans à de tels propos quand, à peine élu, Nicolas Sarkozy n’eut de cesse d’instrumentaliser l’État au profit d’une minorité, ignorant l’intérêt général ? Alors, à nous, dès maintenant, de rappeler constamment cet engagement de François Hollande, dans notre lutte pour faire avancer la démocratie au-delà du processus électoral : « Associer chaque citoyen à l’action commune » ! Quelle action commune est-elle ainsi sollicitée ? Celle indispensable dans tous les rouages de la société et il y a donc bien des changements à promouvoir pour que cet objectif soit autre chose qu’une coquille vide. C’est au peuple de les revendiquer en prenant toute sa place et d’abord dans le contrôle de ses élus. Celui qui vient de l’être et ceux à venir à l’issue des prochaines législatives.
... et lutte des classes
Au cours d’un premier épisode, la gauche, toutes forces confondues, vient donc de battre la droite, dans ce mouvement de balancier plus ou moins bien réglé mais qui reste un mouvement de façade, ne remettant pas en cause les fondements du système capitaliste. C’est bien pour cela que le système accorde une importance médiatique considérable à ce jeu électoral, présenté comme un grand moment de démocratie, tant qu’aucune force politique ne parvient à en perturber réellement le mouvement. La dynamique du Front de gauche a donné quelques frissons, d’où l’insistance à braquer les projecteurs sur le Front national, dernier chien de garde du capitalisme.
Qu’attendre alors de cette alternance du personnel politique, à supposer qu’il soit confirmé au cours des législatives, si l’on veut bien observer qu’une majorité de Français reste néanmoins acquise aux idées libérales ? Si l’on veut bien se rappeler que le parti socialiste ne remet pas en cause les grands principes de l’économie de marché. Espérer seulement une pincée de justice sociale, une correction à la marge de la répartition des richesses, avec l’hypothèse que de simples mécanismes de régulation, sans réel rapport de forces, suffiront à contenir durablement les excès du capitalisme ? En fait, une autre forme de fuite en avant ?
Changer vraiment ! Quelles politiques économiques de gauche ?Depuis des décennies, en France, quel que soit le gouvernement en place, la même logique a prévalu : baisse du coût du travail, précarisation du salariat, défiscalisation des plus riches et des grandes entreprises, ouverture à la concurrence, libre-échange et dérèglementation financière. Menées simultanément dans l’ensemble des pays de l’OCDE, ces politiques ont abouti à la crise actuelle, qui voit partout en Europe une austérité drastique imposée aux peuples. Elles sont présentées comme inéluctables (...). Cette note montre qu’il n’en est rien. La gauche au pouvoir peut tout à fait rompre avec sa démarche d’accompagnement du capitalisme productiviste néolibéral et ne pas se contenter de l’amender à la marge. Au-delà des mesures d’urgence qu’il faut prendre immédiatement pour amorcer la sortie de crise, ce livre propose une vision dynamique d’ensemble et montre qu’il est possible d’amorcer une autre logique économique, sociale et écologique... à condition d’avoir la volonté politique de s’attaquer à l’oligarchie cupide qui nous gouverne et de s’appuyer résolument sur la mobilisation sociale et citoyenne. Tel est l’enjeu du quinquennat qui s’ouvre. Les notes et documents de la Fondation Copernic, (140 pages), éd. Syllepse, mai 2012. |
Et jusqu’où peut donc aller l’action commune qu’appelle de ses vœux François Hollande, si le dogme du libre échange, de la concurrence libre et non faussée à l’échelle mondiale n’est pas renversé ? Le mécanisme Keynésien peut améliorer momentanément l’ordinaire des plus démunis, mais ce ne sera que le temps d’un répit, jusqu’au moment où le balancier s’inclinera à nouveau dans l’autre sens, vers la droite. Proposer au peuple d’adoucir seulement son aliénation ? Ce n’est pas le sens du combat politique engagé par le Front de gauche, qui désigne clairement l’ennemi de classe, l’oligarchie, principalement financière, et son arme offensive, l’organisation capitaliste de la société. L’action commune, c’est donc résolument dans la lutte des classes qu’elle se situe.
Jean-Emmanuel Ducoin, qui apostropha Nicoléon cinq années durant dans son bloc-notes de l’Humanité des débats, traduit bien l’atmosphère d’attente qui prévaut aujourd’hui [2] : « Les nouveaux chapitres sont toujours fascinants, en tant qu’ils portent nécessairement cette part d’inconnue qui permet à l’espoir de vivre. Vous aussi, vous avez eu chaud au cœur sans pourtant sombrer dans l’illusion lyrique observée en mai 1981 ! Tant mieux. La lucidité ne nuira en rien, cette fois, au travail qu’il reste à accomplir pour la gauche de transformation ». Un travail pour lequel les suggestions ne manquent pas, preuve que des forces de changement ne demandent qu’à se mettre à l’ouvrage, comme on pourra le voir par exemple dans un petit livre de la Fondation Copernic, Changer vraiment, publié ces jours-ci (voir ci-contre).
[1] Patrick le Hyaric, Ils ont dit, l’Humanité du 7/5/ 2012
[2] Jean-Emmanuel Ducoi, Lucidités, l’Humanité des débats, 11- 13/5/2012.9.