Un congrès réconfortant
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Publication : octobre 2002
Mise en ligne : 31 décembre 2006
Malgré les vacances, l’actualité n’a pas chômé. Citons de manière non exhaustive et dans le désordre : les premières mesures du gouvernement Raffarin et la cacophonie les accompagnant, les nouvelles faillites frauduleuses et retentissantes de transnationales célèbres, encore l’occupation et la guerre en Palestine, le sommet de Johannesburg, les catastrophes climatiques dans le sud de la France et un peu partout dans le monde, les préparatifs de guerre contre l’Irak parce que ce pays posséde de très grandes réserves de pétrole qui intéressent G.W.Bush, la reprise économique qui se fait toujours attendre, les Bourses qui baissent … Difficile de faire un choix, dans cette conjoncture pour le moins mouvante. Et l’économie distributive dans tout cela ? Eh bien, justement, je vais vous en parler.
Du 12 au 14 septembre s’est tenu à Genève, au Bureau international du travail, le 9ème congrès international du Réseau européen pour l’allocation universelle, connu aussi sous le nom de BIEN [1]. Certains d’entre vous se rappellent que cette association a été constituée à Louvain la Neuve en 1986 à l’initiative de Philippe Van Parijs, Professeur d’éthique économique et sociale à l’Université catholique de Louvain. M-L Duboin y avait alors présenté un papier intitulé “Guaranteed income as an inheritance” [2] dans lequel elle rappelait les théses de l’économie distributive qu’elle opposait aux propositions redistributives faites par tous les autres participants, propositions qu’elle qualifiait de mesures conservatrices, qui ne pouvaient que faire perdurer le système socio-économique en vigueur. Elle en indiquait les conséquences dans un raccourci percutant : « Be fed and shut up ! » (Mange et tais-toi !) et soulignait l’importance d’un service social permettant à chacun d’être un véritable citoyen. Au fil des congrès, tous les deux ans, nous avons continué à débattre de la nécessité d’assurer à tous, individuellement et inconditionnellement, un revenu qui ne soit pas un revenu minimum, presque une aumône comme le proposent encore certains. Nous en avons suivi des séances où l’on nous infligeait savants calculs et courbes tarabiscotées pour expliquer qu’on arriverait à financer ce revenu minimum en ne touchant surtout pas au système !
Mais lentement, les choses évoluent. D’abord, BIEN se mondialise rapidement : des représentants de pays d’Afrique, d’Asie, des Amériques y participent en nombre grandissant. Ensuite, on discute un peu sur l’inconditionnalité initiale [3] et le revenu n’est plus maintenant minimum mais suffisant pour couvrir les principaux besoins vitaux, y compris les besoins culturels et de formation. Enfin, mais très timidement, on évoque la possibilité d’un financement du revenu garanti par des monnaies pa-rallèles. En bref, la redistribution semble faire place à la distribution !
Le congrès de Genève dont le thème général était “La sécurité du revenu : un droit” a rassemblé plus de 250 personnes dont environ 130 intervenants dans les 20 sessions programmées. Citons parmi eux, le Premier ministre du Mozambique, un Sénateur de l’État de Sao Paulo (Brésil), de nombreux délégués sud-africains… La presse locale, l’Agence France Presse, Associated Press Newswires et même le Financial Times en ont donné des compte-rendus détaillés.
Ce qui me paraît le plus symbolique, c’est que ce congrès se soit tenu dans l’enceinte du Bureau international du travail [4], dont une des missions est “d’accroître les possibilités pour les femmes et les hommes d’obtenir un emploi décent”. Son directeur général, Juan Somavia, a, dans son discours d’accueil, remarquablement résumé les problèmes que pose l’insécurité économique et sociale à l’échelle mondiale. Pour lui la sécurité du revenu est un droit et donc les travaux du BIEN l’intéressent tout particulièrement car dit-il, « nous vivons une époque de profonde insécurité économique et sociale qui affecte les peuples de toutes origines, dans toutes les parties du monde, un monde de profits pour un petit nombre et d’incertitudes multiples pour tous. C’est dangereux pour nous tous et on ne peut pas permettre que cela continue ainsi ». Il poursuivit en affirmant que les pays démocratiques du Nord et du Sud devraient s’attaquer aux causes de l’insécurité économique et sociale, mais que leurs dirigeants parlent beaucoup et agissent peu. Si certains pays sont ligotés par des contraintes extérieures qui les empêchent d’agir, d’autres « sont tellement amoureux du marché qu’ils ne peuvent même pas imaginer de solutions en dehors des limites étroites de la pensée économique néolibérale ». M. Somavia rentrait de Johannesburg qui, nous a-t-il dit, a été une conférence difficile mais qui a posé la bonne question : « comment le monde doit-il intégrer les politiques sociales, économiques et environnementales pour instaurer un développement durable ? » Pour lui, je cite, « la réponse à cette question place les solutions distributrices au cœur des programmes nationaux et internationaux. […] Et, à ce propos, ce que vous faites dans BIEN pour faire progresser une nouvelle idée de l’universalisme et de la solidarité à travers le droit à un revenu de base, constitue une contribution directe aux travaux que nous menons au BIT pour élargir le concept de protection sociale ». Après nous avoir appelés à être intellectuellement créatifs, innovants et à montrer que sortir des sentiers battus est le meilleur moyen de parvenir à un monde plus stable et plus sûr pour tous, M. Somavia a conclu son courageux discours par cette prévision optimiste : « Le moment approche où vos idées deviendront le bon sens ».
[1] Basic Income European Network.
[2] = le revenu garanti considéré comme un héritage. Cet article et tous ceux qui ont été présentés aux divers congrès du BIEN peuvent être consultés sur le site de la GR, http://perso.wanadoo.fr/grande.releve/
[3] J.P. Mon, Pour une conditionnalité transitoire, BIEN, Genève, 2002.
[4] L’organisation internationale du travail a été créée en 1919 par le traité de Versailles, en même temps que la Société des nations. Elle est devenue en 1946 la première institution spécialisée de l’ONU.