Une démocratie sans information ni débat
Publication : janvier 1989
Mise en ligne : 19 mai 2009
Le 8 mars 1987, à peine trois mois après
avoir atteint son régime de pleine puissance, la centrale nucléaire
européenne de démonstration SUPERPHENIX était le
siège d’une grave avarie : une fuite de sodium de la cuve du « barillet »,
l’élément central du système de chargement et déchargement
du combustible, un complexe de quinze mètres de hauteur et de
dix mètres de diamètre situé dans le bâtiment
réacteur. Cette fuite révélait par elle-même
deux choses inquiétantes : une qualification insuffisante du
matériau employé et de sa mise en oeuvre ; l’inefficacité
de la procédure de contrôle qualité. Pire, moins
d’un an après la catastrophe de Tchernobyl, il ne fallut pas
moins de trois semaines aux responsables de la centrale pour se rendre
à l’évidence cesser d’incriminer une défaillance
inexpliquée du détecteur et informer les Services de Sûreté
que le signal de fuite correspondait à la réalité !...
Des examens ont mis en évidence une fissuration généralisée
de cette cuve. Certaines des causes de cette fissuration généralisée,
dont l’étude est encore en cours, ne pourront être établies
avant plusieurs mois.
Ainsi, malgré l’ampleur des moyens consentis (26 milliards de
Francs actuels), la centrale SUPERPHENIX semble dépasser les
limites de la maîtrise technologique de ses constructeurs et la
complexité de sa conduite la vigilance de ses exploitants. En
tout état de cause la sûreté de l’installation n’apparaît
plus garantie.
Deux options se présentaient alors (hormis l’abandon du projet
qui, en la circonstance, signifierait celui de la filière surgénératrice
au plutonium) reconstruire un nouveau barillet ou changer de concept
pour les transferts de combustible. Jugée trop coûteuse,
trop longue, voire quasiment impossible à réaliser selon
les termes mêmes de l’exploitant, la première a été
rejetée. Une demande de redémarrage de l’installation
sans barillet a donc été déposée une première
fois en septembre 1987 (rejetée) et de nouveau en septembre 1988.
Des bruits courent que la dernière demande pourrait sous peu
recevoir une réponse favorable des autorités. S’il en
était ainsi, pour la première fois au monde une centrale
nucléaire fonctionnerait sans que l’on puisse accéder
à son combustible, tant il est vrai que l’adaptation du système
de chargement-déchargement ne serait achevée qu’au printemps
1991 et que même en cas d’urgence aucun moyen spécial ne
serait disponible avant la fin de l’année prochaine. Une autre
grande première serait d’avoir un chantier à l’oeuvre
dans un bâtiment réacteur sans interruption de l’exploitation.
Les Français sont tenus dans l’ignorance du dossier. Qu’en est-il
de l’état de la cuve principale, celle du réacteur lui-même ?
Quelles sont les incidences de l’abandon du barillet comme stockage
intermédiaire du combustible sur la sûreté ? Seules
des réponses partielles ont été rendues publiques ;
elles sont insuffisantes. Pourquoi ferions-nous une confiance aveugle
au dispositif d’expertise et de décision officiel, pour qui l’affaire
de SUPERPHENIX représente tout bien pesé un échec ?
Nous, citoyens conscients et responsables, exigeons que toutes les informations
nécessaires à un examen complet de la sûreté
de SUPERPHENIX soient sans délai mise à la disposition
d’un groupe international de contre-experts dont nous avons reçu
le concours. Comme ce fut le cas dans le passé à propos
de grands projets nucléaires controversés -extension de
l’usine de retraitement de Windscale en GrandeBretagne, une usine équivalente
à Gorleben en RFA, les projets KBS de stockage de déchets
radio-actifs en Suède-, nous demandons que sur la base des informations
rendues publiques soit financé et rapidement mis sur pied un
débat contradictoire équilibré réunissant
des experts français et étrangers à propos de l’avenir
de la centrale européenne SUPERPHENIX.
Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui s’étaient en 1980 solennellement
engagés à un tel débat. Le cours des choses a apporté
la preuve qu’ils auraient été bien inspirés de
respecter leur promesse dès 1981. Il n’est pas trop tard mais
il est grand temps. A la veille de fêter le bicentenaire de sa
fondation, la République Française se doit, à son
tour, de mettre de la démocratie dans les questions nucléaires.
Contact : L. Trussell, 38 rue Taine, 75012 Paris