L’intoxe bancaire se poursuit
par
Publication : janvier 1989
Mise en ligne : 19 mai 2009
Le Tableau pessismiste des perspectives de crise financière
majeure publié dans The Economist du 7 juillet 1988 (voir « La
Grande Relève » de septembre dernier) a dû susciter
pas mal d’interrogations angoissées parmi les lecteurs non-banquiers
de cet hebdomadaire ; il a dû sembler important aux éditeurs
de brouiller un peu le signal d’alarme si clair de l’article de Fred
BERGSTEN, « Apprivoiser le Monstre ». C ’est chose faite avec
le dernier éditorial sur les traitements financiers de Georges
Bush, Martin FELDSTEIN ; il est titré : « FELDSTEIN à
propos du DOLLAR, laissons le Marché définir les taux
de change »
On y retrouve évidemment, cuisiné à la sauce bancaire,
le menu pour gogo international, avec l’arrogance tranquille du financier
devenu expert, et des allusions seulement très indirectes aux
vérités décrites par BERGSTEN en juillet dernier ;
il importe en effet de calmer les curiosités sur le mécanisme
réel de la fabrication des taux et du déficit du budget
Américain.
FELDSTEIN commence par un exposé objectif des faits, un raccourci
de son diagnostic et du traitement qu’il propose :
« Par rapport au Yen, le Dollar a beaucoup varié ces derniers
quinze ans : -33% entre 1973 et 1978 ; +60% début 1985 et depuis,
une nouvelle chute de 50%. Les conséquences douloureuses à
l’extérieur des U.S.A. ont provoqué des pressions sur
les gouvernants pour le remplacement de la flotaison des taux bancaires
par un encadrement qui positionnerait le Dollar par rapport aux monnaies
de base »...
« Les choix d’un traitement économique de la crise ne se
ramènent pas à proscrire des mauvaises conduites pour
en adopter de bonnes ; mais bien plutôt à décider
1° si la valeur d’échange du Dollar doit être un but
en soi, et 2° si on doit sacrifier les autres buts à cette
position internationale du Dollar.
Ma réponse est claire : 1° la valeur du Dollar n’est pas en
soi un but, 2° les politiques économiques américaines
doivent répondre à d’autres impératifs. En résumé,
la valeur du Dollar devrait être laissée au verdict du
marché. »
Cette analyse est parfaitement correcte dans sa brutale concision. Oui,
une bonne monnaie doit être l’expression fidèle du rendement
des échanges ( intégrée sur l’espace du marché).
Elle doit rester un gadget le plus simple et commode possible pour faciliter
et représenter cet échange, donc optimiser l’activité
économique : en même temps lubrifiant et ticket de contrôle
de l’échange. L’ignorance et la passivité des utilisateurs
laissent aux banques le monopole indû de la production de cet
outil, et la manipulation abusive du pouvoir que leur confère
ce monopole. Comme tous les bénéficiaires de ce monopole,
Martin FELDSTEIN se garde de parler de la question de ce diktat bancaire ;
il le masque en démontrant que la situation actuelle justifie
le laisser-faire et en démontrant les vertus magiques des lois
du marché. Mais ce libéralisme est-il respecté
dans les relations de dépendance des monnaies européennes
vis à vis du Dollar ? Par le biais du Deutschemark nos petites
monnaies sont restées captives du système bancaire mondial.
Là, le bât a commencé à blesser sérieusement
depuis 1986, et le Président Reagan a failli subir le blâme
général pour son soutien inconditionnel du monopole des
banques, qui n’a pu être maintenu que grâce à l’approfondissement
du déficit budgétaire américain ; comment FELDSTEIN
présente t-il le problème ?
Ce fatal déficit budgétaire
« En 1983-1984, ceux qui auraient voulu qu’on inverse la tendance
de la hausse persistante du Dollar suggéraient correctement que
cette baisse couperait le déficit budgétaire. Mais avec
un président qui niait cette relation c’était impraticable.
Toute la responsabilité aurait incombé à la banque
de Réserve Fédérale, et la manoeuvre aurait supposé
un contrôle vraiment libéral de la monnaie ; l’inflation
aurait en fait augmenté, au lieu de céder ; nous avons
eu de la chance, ces demandes d’un Dollar stable n’ont pas été
écoutées »...
Toujours on nous bouche la seule perspective viable, celle d’un système
libéré du monopole bancaire : l’économie soumise
aux garrots de la dette et forcément inflationnaire et cela d’autant
plus qu’elle évolue rapidement. C’est vrai, l’ultra-libéralisation
« dé-règlementaire » du marché couplée
avec une honnête stabilité des taux d’intérêt
auraient aggravé les déséquilibres financiers aux
USA. et chez leurs partenaires industrialisés, et eût entraîné
une crise encore plus atroce des peuples appauvris par le système.
Pour finir sans trop d’encombres son mandat, R. REAGAN a encore de justesse
étouffé le scandale :
« Une banque de Réserve Fédérale qui refuserait
la pression à la hausse des prix domestiques pourrait juguler
l’inflation. Mais les raisons de ralentir le déclin du Dollar
sont justifiées par ailleurs : elles permettraient de gagner le
temps nécessaire aux nouveaux investissements. Malheureusement
les économistes ignorent trop les mécanismes ( non-linéaires)
du système pour pouvoir programmer utilement les vitesses de
déclin optimales. Et si le programme de déclin graduel
était annoncé, la manoeuvre serait automatiquement inapplicable
car elle serait contrée par les opérateurs financiers :
les investisseurs internationaux ne pourraient être persuadés
de conserver leurs bons en Dollars à des taux d’intérêts
constants que si on leur masquait l’intention de baisser la valeur réelle
du Dollar ; un traitement qui exige qu’on en déguise l’objectif
ne peut tenir longtemps. »
Conclusion archi-classique, et que signeraient aujourd’hui les élèves
BARRE et BEREGOVOY : le conseiller FELDSTEIN condamne toute intervention
sur les taux de change du Dollar « qui impliquerait un abandon
des priorités domestiques à l’intérieur »
Bravo encore une fois pour ce réalisme anti-mondialiste. Dans
le même temps qu’il souffle à l’Europe en plein rêve
SCHUMANADENAUERien un colossal BANK ZENTRUM qui poursuivrait en toute
quiétude le libéral-capitalisme à l’échelle
des 20 nations européennes, FELDSTEIN, ce nouveau bon américain,
espère soustraire son pays à la monstruosité mondiale ;
il ne se préoccupe pas encore de la conséquence inévitable
de tels systèmes, qui se reproduit avec une amplitude toujours
croissante depuis l’avènement de la Banque d’Angleterre et l’impérialisme
international : les grands déséquilibres du système
ont toujours mené à des guerres de plus en plus atroces ;
non, ami Martin FELDSTEIN, nous ne voulons pas d’un vingt et unième
siècle de guerre Amérique contre Europe !
Devançons la grosse ficelle pseudo-économique que nos
marchands d’Europe du capital bancaire veulent nous imposer pour un
troisième millénaire à la Georges ORWELL !
La condition pour dénoncer ce marché de dupes de la banquisation
Européenne, c’est une totale remise en cause de l’iniquité
du système de crédit bancaire actuel. Posons et re-posons
partout la question primordiale du rôle du crédit bancaire
dans l’économie, et lançons une campagne d’étude
des modalités pratiques du système du B.I.E.N. Aimons
notre belle Europe comme la source de cette libération, et épargnons
lui l’immense galère qu’on essaie de nous vendre pour 1993, pour
laquelle Georges ORWELL ne se serait trompé que de neuf ans.
Le contrôle soi-disant « libéral » de la monnaie
concédé actuellement aux banques c’est le contrôle
par leur monopole, qui n’a rien de libéral comme La Grande Relève
ne cesse de le clamer. Lorsqu’il cède un peu trop à la
facilité de sa jeunesse dorée comme en 1985-87, ce système
laisse entrevoir sa totale inadéquation, comme l’a montré
l’épisode boursier d’octobre 1987, dissous à la hâte
dans un scandale crapuleux. Plus il est crapuleux, plus il est facile
de masquer l’iniquité fondamentale du contrôle bancaire.
Un système vraiment libéral rendrait immédiatement
inacceptables les déficits et les gaspillages (militaires) du
modèle américain, et interdirait l’illusion d’une croissance
indéfiniment nécessaire des profits économiques
pour que le monde puisse continuer à être et prospère.
La civilisation est, il est vrai, menacée par la violence économique
présente ; la réforme du crédit est le seul remède
rationnel.