« L’industrie de la faim »
par
Publication : septembre 1982
Mise en ligne : 26 janvier 2009
Dans cet ouvrage de plus de 500 pages les auteurs, F.M. Lappé
et J. Collins qui dirigent l’institut pour l’Alimentation et la Politique
du Développement de San Francisco, dénoncent, non seulement
le rôle maintenant connu des multinationales dans l’aggravation
des conditions de vie dans les pays en voie de développement
mais aussi les arguments avancés par de nombreux responsables
occidentaux pour justifier le maintien du statu- quo. Car n’en déplaise
aux « pisse- vinaigre » de tous bords, aux malthusiens attardés
ou aux écolos dépassés, toutes les études
sérieuses montrent que la Terre peut, dès à présent
et sans difficultés, nourrir une population trois ou quatre fois
plus nombreuse que celle que nous connaîtrons au début
du 21e siècle. Ce qui empêche la plus grande partie de
la population du globe de manger à sa faim, ce n’est pas le manque
de nourriture mais le manque de « revenus » que le système
économique dans lequel nous vivons ne veut pas leur distribuer.
Lappé et Collins dénoncent les campagnes alarmistes, voire
terroristes, menées par les compagnies multinationales de l’agro-alimentaire
et les zélateurs du « développement à l’occidentale
».
Quelques exemples : C.W. Cook, président honoraire de Général
Foods déclare : « S’il nous faut nous battre dans un monde
de plus en plus peuplé ou affamé, c’est une utopie que
de vouloir nourrir de façon adéquate des millions d’Américains
à faibles revenus. »
L’ex-président Nixon renchérissait : « Ce qui est
effrayant, c’est que les pauvres se multiplient deux fois plus vite
que les riches ».
Mais les auteurs du livre nous montrent aussi que ce qui dérange
le plus ce n’est pas tant le manque de nourriture dont souffre la majorité
de nos semblables mais plutôt la disparition de nos « valeurs
» et la structure de notre société, menacée
par les affamés du monde entier en quête de nourriture.
Autre raisonnement insidieux développé surtout aux Etats-Unis
les Américains ont un rôle particulier-à jouer pour
conjurer l’apocalypse... la sécurité alimentaire mondiale
repose uniquement sur la production et les stocks céréaliers
américains...
En réaction, immanquablement le consommateur américain
est persuadé que les exportations de produits alimentaires vers
les pays pauvres sont responsables de l’augmentation des prix des denrées
alimentaires. D’où l’idée qui se répand que «
les Etats-Unis n’ont aucune obligation de nourrir le monde entier »
et que « les responsabilités des dirigeants américains
sont envers le peuple américain ».
Lappé et Collins nous expliquent que « si l’on ne comprend
pas comment est créé le phénomène de la
faim on reste impuissant devant ce sentiment très diffus et pourtant
très fort de culpabilité - culpabilité d’être
Américain, culpabilité d’être un occidental »...
« Ainsi les affamés deviennent une pénible menace
et en même temps une lourde responsabilité. C’est vraiment
un déchirement. Pour résoudre ce dilemme une solution
séduisante a vu le jour : celle du « bateau de sauvetage
». C’est une idée très simple, popularisée
par un homme de science, Garett Hardin, selon laquelle nous voguons
tous dans un même bateau où la nourriture est limitée.
N’est-il pas normal dans ces conditions que la nourriture aille à
ceux qui ont le plus de chances de survie et est-il juste, d’autre part,
de faire monter d’autres passagers à bord ? « Qu’arrive-t-il,
demande le Dr Hardin, si vous faites monter trop de monde dans un bateau
de sauvetage ? Le bateau coule et tout le monde est noyé. Justice
égale catastrophe ». Le remède qu’on nous propose
est simple : finis les sentiments... en cette époque de pénurie,
la compassion est un luxe que nous ne pouvons plus nous offrir... Nous
devons apprendre une nouvelle éthique : l’éthique de la
raison ; il faut que quelques-uns meurent pour que survive la race humaine
».
Après avoir démonté et révélé
la nocivité de tels raisonnements, Lappé et Collins nous
disent ce qu’ils pensent que nous, simples individus, pouvons faire.
Et tout d’abord nous devons nous souvenir « qu’on doit juger de
l’équité et de réussite d’un système socioéconomique
à cela : que les hommes mangent à leur faim. Tout au long
de notre histoire, la sécurité des peuples a toujours
reposé sur leur capacité à subvenir à leurs
besoins alimentaires de base. Chaque pays doit mobiliser toutes ses
ressources pour satisfaire d’abord les besoins nationaux. Le commerce,
ensuite, ne doit lui permettre que d’élargir ses possibilités
de choix au lieu de priver certains de leurs biens légitimes
».
Pour les auteurs la tâche est claire : « il s’agit de construire
un mouvement qui dévoile la réalité de ce système.
Ce sont, soutenues par les gouvernements, les compagnies et les classes
privilégiées qui détruisent lentement la sécurité
alimentaire d’une très grande partie du monde. Les forces qui,
dans les pays sous-développés, privent les gens de toute
participation au processus de production, donc de consommation, sont
les mêmes qui ont fait du secteur alimentaire dans notre pays
un des secteurs de l’économie les plus étroitement contrôlés.
Un nombre de plus en plus restreint d’entrepreneurs agricoles et de
compagnies agro-alimentaires contrôlent une partie de plus en
plus grande de notre production alimentaire. Actuellement, on transforme
inutilement de plus en plus de produits (traités de surcroît
avec des produits chimiques dangereux), qui deviennent ainsi de moins
en moins nutritifs et de plus en plus chers. Ainsi, en luttant contre
l’emprise de ces forces sur le secteur alimentaire dans notre propre
pays, nous luttons directement contre celles qui contribuent à
la faim dans d’autres pays... » « Le premier pas, lorsqu’on
considère l’urgence de manger, c’est de démystifier le
problème de la faim. C’est peut-être là que nous
pouvons être le plus utile... » « Nous nous sommes
rendu compte que la solution au problème de la faim n’est pas
un mystère caché dans le plasma germinatif de quelque
semence attendant sa découverte prochaine par quelque jeune et
brillant savant ! On ne trouvera pas non plus la solution dans les études
économétriques des planificateurs. Non ! La seule chose
qui empêche de trouver une solution à ce problème,
c’est le sentiment d’impuissance que l’on ressent : on nous fait croire
que cette question est trop grave pour que nous puissions la maîtriser
et que, par conséquent, il nous faut nous en remettre à
d’autres. Pourtant la solution est entre nos mains ».
Voilà, j’ai extrait quelques-unes des nombreuses idées
qui parsèment ce livre, qu’il faut lire et qui nous conforte
dans notre opinion que la solution à la faim dans le monde passe
par un changement complet de système économique.
(1) Editions « L’Etincelle », Montréal, Paris.