Au fil des jours
par
Publication : septembre 1982
Mise en ligne : 26 janvier 2009
ON a raison d’incriminer les multinationales et les hauts financiers
américains indisposés par nos nationalisations, celle
des banques tout particulièrement, dans l’aire de leurs activités
européennes. Toute dévaluation fait suite à une
tension durable exercée sur le marché des changes par
des mouvements de capitaux attirés par des taux d’intérêt
avantageux. Les autorités monétaires américaines
pratiquent sans risque des taux d’intérêt élevés.
L’abondance des dollars en circulation à travers les réseaux
bancaires couvrant les cinq continents, garantit la rémunération
des dépôts quelle qu’en soit l’importance. En cas de besoin,
la création de nouvelles quantités de monnaie ne pose
pas de problème aux autorités américaines protégées
d’une inflation intérieure par l’étendue de leurs débouchés
et marchés extérieurs vers lesquels s’évacue le
trop plein de leurs dollars.
Un pouvoir occulte à vocation mondiale tient ainsi les Etats
en tutelle, sanctionnant les incartades, utilisant l’arme financière
pour mettre à la raison les trouble-fête, les médias
à sa dévotion pour saper la confiance, des bataillons
de « taupes pour semer la chienlit. A ce pouvoir diffus, hydre
aux cent têtes disséminées au sein d’une multitudes
de clubs, commissions, fondations, organismes internationaux et européens,
on doit ce mauvais coup porté au franc à un moment choisi
tout exprès pour déstabiliser un Pouvoir socialo- communiste,
honni des tenants du Pouvoir économique écartés
par les nationalisations, combattu par les multinationales. Ainsi quelques
milliers de personnages et la meute de leurs séides poursuivent
de leur vindicte un gouvernement trouble-fête socialisant à
tout va, contrôlant, régentant prix et profits. Sonnant
l’hallali, ils se préparent à la curée.
Désarmer cette opposition multiforme agissant dans l’ombre dans
l’anonymat ? Il existe un moyen le recours à une monnaie de consommation
gagée par les fruits du travail, distribuée à chacun
en guise de revenu ; monnaie libérée des ingérences
extérieures, une monnaie cessant de circuler, de se transférer,
conçue pour écouler aux ayants-droit tout ce qu’il est
matériellement et techniquement possible de produire, objectif
inaccessible au système monétaire actuel dans les pays
surindustrialisés incapables de s’accommoder de leur abondance.
S’atteler à cette tâche est un impératif pour un
gouvernement disposant d’une majorité. Attendre davantage serait
suicidaire, et pour les hommes au Pouvoir, et pour la multitude victime
d’un système monétaire qui paralyse l’effort, stérilise
l’exploitation des vraies richesses, victime de la « règle
du jeu » qui la condamne à l’austérité face
à l’abondance et aux gaspillages.
*
Du socialisme on n’a guère vu à ce jour la couleur, si
ce n’est la gérance d’un social-capitalisme soucieux de relancer
investissements et profits, de promouvoir l’emploi pour l’emploi, de
défendre la monnaie bancaire instrument du pouvoir capitaliste,
mais qui n’a pas été en mesure de tenir les prix. Confrontés
avec l’hostilité des classes moyennes, hauts financiers et fonctionnaires,
grandes et moyennes entreprises, avec la hargne des agriculteurs et
des professions libérales, bref tous ceux qui vivent du profit,
commandent l’emploi et les prix, nos socialistes ont doucement plongé
vers l’enfer monétaire, léchés par ses premières
flammes.
Ayant croqué la pomme, les masses ouvrières et syndicales
ne peuvent que renâcler aux mesures de blocage qui les prennent
pour cible et que la dévaluation a rendues inévitables.
Une révolution économique devait s’accomplir. Les socialistes
sont restés sourds aux appels et l’ont écartée
d’emblée. Le processus chilien est amorcé. Les ingrédients
sont en place. Nous paierons très cher l’intermède socialiste,
soupape à la pression sociale d’une époque, dérivatif
provisoire à maintes préoccupations.
Doit-on perdre un dernier espoir ? Il faudrait que les socialistes,
cessant de tergiverser, de s’illusionner, qu’ils se résignent
à une « révision déchirante » de leurs
dogmes, de leurs intentions, qu’ils se décident à sauter
le pas, à franchir le « rubicon monétaire »,
à faire du franc une monnaie de consommation, bientôt imités
par les autres pays en proie aux mêmes symptômes de décomposition
et de décadence.
L’après-socialisme, si nous le voulons, ouvrira l’ère
d’un socialisme libéral-communautaire, distributif de l’abondance.
(Extraits du Bloc-Notes de Henri MULLER).