À la poubelle la démocratie !
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Publication : mai 2005
Mise en ligne : 3 novembre 2006
Avant de se prononcer, et en plus de faire des suppositions sur ce qu’innoverait le traité constitutionnel soumis au référendum du 29 mai, il est bon aussi de savoir ce qu’il supprime des principes de l’actuelle Constitution, voulue par le général De Gaulle et en vigueur depuis le 4 octobre 1958. D’où l’intérêt de la démarche effectuée par la Confédération des écologistes indépendants, de demander à des spécialistes de Droit constitutionnel de comparer les deux textes. Merci à M. Z. de nous avoir signalé ce travail de juristes pour le soumettre aux réflexions de nos lecteurs :
Voici la liste incomplète (limitée à l’essentiel) des principes et des garanties contenus dans la Constitution de 1958 qui sont incompatibles avec le traité constitutionnel :
• Dans son préambule, ces références : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), confirmée par le préambule de la Constitution de 1946 » ;
• dans son article 2, le fondement de la démocratie : « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ;
• dans son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ;
• l’article 3 de la DDHC qui précisait : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » ;
• le principe de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 selon lequel « Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. c’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif » , que la DDHC séparait dans son article 16 en ces termes : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution » ;
• l’article 5 de la constitution de 1958 qui prévoyait :« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État… il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire » ;
• et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie de la Constitution française, et qui dispose que « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
En clair, avec la Constitution projetée, le peuple souverain, c’est fini.
Il faut bien comprendre ce que signifie la disparition du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Quand le mot peuple, pas plus que le mot nation, n’apparaît plus, pas même une seule fois, dans sa constitution, la France cesse d’être une République démocratique (mots venus du latin et signifiant chose publique gouvernée par le peuple).
Et l’Union européenne ne prétend pas être une démocratie. Elle dit n’être rien de plus qu’“une personnalité juridique”, c’est-à-dire une institution bureaucratique, imaginée non par les peuples ou leurs élus, mais par des technocrates désignés arbitrairement et sur des critères non définis.
L’autorité est exercée sur le peuple par des corps qui n’émanent plus que très minoritairement de la nation (les députés élus par le peuple français ne sont que 10 à 11 % des députés européens) et des individus n’émanant pas de lui.
Le suffrage universel n’est plus la source du pouvoir puisque le pouvoir exécutif (la Commission et le Conseil) n’est plus exercé par des élus.
L’initiative des lois étant l’apanage de la Commission et non du Parlement, les pouvoirs exécutif et législatif ne sont plus séparés.
Le Président de la République n’est plus gardien de la Constitution et n’a plus à se porter garant de l’indépendance nationale, celle-ci étant d’ailleurs sérieusement réduite. Même la sécurité du territoire n’est plus sous sa seule autorité.
Et tout le reste dérive de la primauté donnée à la compétitivité sur toute autre considération. Par exemple pour la transformation des services publics, elle est prévue dans le sens exactement opposé à leur nationalisation qui avait été voulue par l’actuelle constitution pour les rendre accessibles à tous, partout et au même prix.
LE JEU DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Après avoir également relevé un grand nombre de contradictions dans le texte proposé, les juristes constatent que le Président de la République a signé, le 20 octobre 2004, au nom de la République Française, un traité incompatible avec la Constitution … dont il avait précisément pour fonction de se montrer garant. Certains articles de ce traité, en effet, démantèlent ou mettent fin au principe de souveraineté nationale, au suffrage universel comme seule source de pouvoir, à la continuité de l’État, à l’intégrité du territoire et à la forme républicaine du gouvernement.
Leur analyse se porte alors sur le rôle du Conseil Constitutionnel (CC). Réuni le 19 novembre 2004, le CC a décidé que « l’autorisation de ratifier le traité établissant une constitution pour l’Europe ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution. » Il a donc énuméré des aticles à supprimer ou à réviser. Mais… pas tous ceux qui étaient incompatibles. S’il avait exigé la suppression de ceux, pourtant fondamentaux, qu’il a omis, « il n’y aurait pas eu d’objection d’ordre juridique au sujet de cette révision, disent les juristes compétents, mais le peuple aurait pu clairement mesurer les enjeux du référendum, les menaces sur la souveraineté nationale, l’indépendance politique, la politique étrangère, la politique d’émigration, la politique économique et sociale, le risque d’être entraîné dans une guerre impliquant l’OTAN, etc. et devant l’ampleur des protestations à prévoir, le référendum était perdu d’avance. » Il y a donc violation du droit constitutionnel français, concluent-ils clairement.
De plus, le peuple français aura été trompé sur le caractère constitutionnel [1] parce que le CC a déclaré dans sa considération N°9 que le traité établissant une constitution pour l’Europe « conserve le caractère d’un traité international souscrit par les États signataires » et, bien que ses auteurs le présentent comme une constitution, « cette dénomination est sans incidence sur l’existence de la Constitution française ». Ce qu’il contredit ensuite en écrivant dans sa considération N°11 que « le constituant a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ». De cette salade du CC, nos juristes concluent se trouver en présence d’un objet constitutionnel non identifié, d’un OCNI en quelque sorte…, dont les partisans du oui soutiendront, pour le faire approuver, qu’il n’est qu’un traité, après quoi, s’il est approuvé, ils affirmeront, mais cette fois avec justesse, que le texte adopté implique bien la primauté de la Constitution européenne sur la Constitution française.
Et ils pourront alors, en toute légalité, supprimer de celle-ci les articles incompatibles. Joli tour de trompe - c…, de… comment dire ? — disons de “trompe-citoyen” !
QUELS RECOURS POSSIBLES ?
Pour finir, nos juristes constitutionnels se demandent quels procès pour violation du Droit constitutionnel sont possibles, au pénal cette fois.
Ils constatent alors que les “verrous protecteurs” mis en place par les auteurs de la Constitution de 1958 sont en train de sauter les uns après les autres.
Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par les deux Assemblées statuant par un vote identique et à la majorité, ces deux Assemblées étant de la même famille politique que le Président, ce premier verrou ne servira pas. Idem pour le second verrou, la Haute Cour de justice, puisqu’elle est nommée en nombre égal par les deux Assemblées. Idem pour le troisième verrou, les membres du gouvernement, puisqu’ils sont pénalement responsables devant cette même Cour de Justice. Néanmoins toute personne se sentant lésée pourrait porter plainte auprès d’une commission des requêtes. Celle-ci pourrait soit ordonner le classement de la procédure, soit la transmettre pour saisine de la Cour de justice de la République, qui pourrait encore bloquer la procédure. Le quatrième verrou, le Parlement, est également appeler à sauter, car il ne prendra aucune mesure en cas de violation de la Constitution tant que les majorités des deux Assemblées seront de la famille politique du Président de la République. Il y a bien l’article 4 de la Constitution de 1958, qui veut que « les partis et groupements politiques … doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie », il permet une poursuite judiciaire de la part de toute personne morale ou privée estimant qu’il y a violation de la Constitution. En ce cas, il dépendra des procureurs de la République de ne pas céder aux pressions qui ne manqueraient pas de s’exercer sur eux pour les inciter à se déclarer incompétents.
Reste le Conseil Constitutionnel. Ses membres étant « chargés de veiller à la régularité du référendum et d’en proclamer les résultats » ne peuvent pas valider un référendum qui implique une violation de la Constitution.
Et le Conseil Constitutionnel a exigé, par lettre du 22 novembre 2004 (rendue publique le 8 décembre) la « neutralité » du gouvernement, en l’invitant à « faire en sorte » que la campagne « ne devienne pas une campagne de promotion en faveur de l’une des réponses au référendum » et il a fait savoir qu’il vérifierait le moment venu « le respect des exigences de vérité et de loyauté de la consultation, ainsi que l’obligation de neutralité de l’information diffusée par les pouvoirs publics et de pluralisme des courants de pensée et d’opinion. » Le Président de la République et le gouvernement ont, de façon flagrante, ignoré ces avertissements. La presse a signalé, mais très discrètement, que les premières plaintes ont déjà été déposées, tant auprès du Président du CC, qu’à celui de la Cour des comptes et qu’auprès de procureurs de la République… |
L’étude des juristes, ici rapportée, conclut que si les décisons du CC sont sans recours, par contre, en cas de violation de la Constitution, même “en bande organisée”, aucune disposition législative ne dispense ses membres de poursuite, soit au civil, soit au pénal, en tant qu’auteur ou en tant que complice, et pareille violation ne serait pas prescrite en cas de victoire du oui.
En publiant cette étude, la Confédération des écologistes indépendants se dit consciente que « le risque que toutes les autorités légales aient perdu la légitimité morale, nous met devant un autre risque, celui de graves troubles intérieurs ». Estimant « que la constitution européenne vide de leur légitimité, de leur substance, de leurs compétences et de leur pouvoir juridique toutes les constitutions des États membres et par là-même, met fin à toutes les souverainetés nationales » elle concluait, le 4 mars 2005 : « Considérant pour sa part que les conséquences de cette perte de souveraineté vont se traduire par d’immenses désastres économiques, sociaux, culturels, linguistiques et autres, pour le peuple français, la CEI participera à toute action ayant pour objet le retrait volontaire de l’Union. »
Le “souverainisme” que manifeste ici la Confédération des écologistes indépendants nous a posé problème : s’agirait-il d’un mouvement d’extrême-droite ? Non, nous avons été tout à fait rassurés en consultant leur site sur internet. Il ne faut pas confondre le chauvinisme des nationalistes, pour qui la France est une nation d’élites qui, méprisante, ne souffre aucun mélange, avec ce souverainisme qui exprime la volonté que toute la population, même mixte, d’un territoire, quel qu’il soit, puisse jouir d’un maximum d’autonomie et ait donc la liberté de déterminer ses propres lois, refusant que celles-ci soient définies au-dessus d’elle ou de l’extérieur. En un mot c’est la démocratie qui est défendue ici et non pas les frontières.
[1] Voir, déjà, GR 1049 p. 2.