Adieu, la valeur humaine ajoutée !
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Publication : février 2011
Mise en ligne : 16 mars 2011
La dégradation de l’enseignement français, géré comme une entreprise de pointe, se poursuit. C’est l’inhumanité qui y est introduite : de même que le gouvernement songe à remplacer les consultations médicales par une recherche sur internet, les écoles seront dotées d’ordinateurs, mais le personnel de service en sera réorienté … vers le pôle emploi. Témoignage récolté sur la Toile :
Un p’tit bonheur sur une page,
Une douceur... pour l’Éducation Nationale.
Je le confie à la toile,
La grande toile du progrès,
Afin qu’il tisse les voiles...
De la solidarité,
Et qu’il rayonne aux ondes...
De l’humanité.
Je suis Professeur des Écoles
Dans un petit village de l’Eure,
Trois cents âmes y demeurent,
Et vingt-six élèves à l’école...
Une classe, dite “unique”,
Mais cinq cours, dits multiples...
Dans cette école une chance,
Un p’tit morceau de bonheur,
Qui s’écrit avec ces trois lettres :
Employée de la Vie Scolaire... .
Pour l’Éducation Nationale,
Un p’tit bonheur, c’est pas banal,
Un léger baume sur le coeur
De cette Grande Dame
Un peu... bancale !
Notre bonheur, c’est Géraldine,
En silence elle participe
À la guérison d’la Grande Dame...
Elle est... une Valeur Ajoutée,
HUMAINE rentabilité,
Et c’est du bonheur... assuré !
Dès le matin, elle s’active,
C’est sur le net qu’elle s’incline
Les courriers, les notes de service,
Toutes les infos de l’inspectrice,
Et celles de l’Académie...
Mes mots notés au brouillon,
Les compte-rendus de réunion,
Tapés, imprimés, photocopiés,
Enveloppés, adressés, timbrés,
Prêts à être distribués...
Encadrés, les dessins des CP,
Affichés, sinon, à quoi bon dessiner ?
Un CM vient montrer son texte sur le musée,
Elle l’aide à le recopier, à taper sur le clavier…
Afin de ne pas gêner le travail commencé,
Un autre enfant vient finir avec elle l’exercice,
Elle explique et décortique, redonne de l’énergie...
Rangée la bibliothèque,
Notés les livres prêtés,
Elle prépare la maquette,
La Une du journal scolaire...
Ah ! Notre petit journal
“Magique”, ils l’ont appelé
Quel travail de fourmi,
J’y passerais... des nuits.
Sonne la récréation, un temps pour souffler,
Elle me rejoint, souriante, à la main nos 2 cafés,
Quelques chaudes gorgées, entre deux conflits à régler,
Des solutions à trouver, des mots à reformuler,
Une écorchure à soigner, une blessure à consoler...
Et puis... c’est reparti !
Sur les chemins de la connaissance,
Vaincre ainsi sans cesse l’ignorance,
Avec labeur, effort, sérieux,
S’ouvrir l’esprit, être curieux.
Ne pas oublier l’insouciance,
De tous ces êtres en enfance,
La bonne blague !... On la mettra dans le journal,
Les bons gags, et les rires, c’est vital !
Dans les pots
Les peintures sont bien préparées,
Quatre enfants sur un chevalet,
Deux à l’ordi pour recopier,
Les autres en dessin sur papier,
...Sans elle, jamais...
Ce ne serait si bien géré.
Un soir, coup de fil...
C’est Géraldine,
À sa voix, je perçois,
Une blessure qui abîme...
Ecoute, me dit-elle... c’est à pleurer !
Du “Pôle Emploi” j’ai reçu un imprimé,
Dans quelques semaines, c’est marqué,
Votre contrat est terminé...
Ils me demandent ce que j’ai fait,
Pour trouver un futur emploi…
Sa voix se fêle... « J’ai un emploi !
Ils me demandent ce que j’ai fait,
Pour me former, pour m’insérer »
Sa voix se gèle… puis accélère : « Je.... suis formée,
Depuis trois ans, j’me sens utile, insérée et c’est varié,
Pas bien payé, mais... j’veux rester ! »
Sa voix s’étrangle... c’est à pleurer...
« Ils me demandent mes compétences
C’que j’ai acquis, que vais-je répondre ?
Il y a l’espace... d’UNE LIGNE
UNE LIGNE, mais tu te rends compte ! »
J’ai honte, honte… il aurait fallu UNE PAGE
Au moins UNE PAGE pour répondre,
J’ai honte, honte... pour notre Grande Dame
Pour ceux qui l’ont créée, l’ont fait évoluer,
Qui a tant appris aux enfants,
Qui a tant encore à leur apprendre..
Et Géraldine ???
On n’ lui dira même pas MERCI
Bien sûr, pas de parachute doré,
Et même pas d’indemnité
Ils lui précisent… Oh !… comme ils disent
D’étudier ses droits... pour le R.M.I.
Elle a raison... c’est à pleurer...
Alors qu’on demande chaque jour,
À nos élèves de dire “Bonjour !”
De dire “Au revoir !” et.... “Merci !”
De s’ respecter, d’être poli
Comme vous dites, Monsieur Sarkozy...
Que vais-je dire, à la p’tite fille,
Qui l’aut’re jour, près de moi, s’est assise,
Et, tout fièrement, m’a dit :
« Tu sais, Maîtresse, moi, quand j’serai grande,
J’irai au collège, comme mon grand frère,
J’irai au lycée, j’passerai mon bac,
Et je ferai... comme Géraldine ! »
Je sursaute... Mon coeur se serre…C’est à pleurer.
C.Picavet
Professeur des écoles à l’école des Livres Magiques Saint-Grégoire du Vièvre (Eure)
P..S : Ironie… À la rentrée, c’est presque sûr, notre petite école rurale sera dotée d’une Valeur Matérielle Ajoutée, des fonds ont été débloqués, 8 ordinateurs et un tableau interactif : une “classe numérique”.
Nous serons à la pointe du progrès ! Et pour cela, je serai formée ! Mais, qui m’aidera à installer, et à gérer, sans Valeur Humaine Ajoutée ?
Quel patron, quelle entreprise, après trois ans de formation, jetterait son salarié pour prendre un autre, recommencer ?
Quel jardinier, quel paysan, brûlerait sa récolte mûre, après avoir semé, soigné ?