André GORZ chez les chômeurs


par  J. EDIPREY
Publication : février 1987
Mise en ligne : 22 juillet 2009

Pour une journée d’études, le 13 décembre, Maurice Pagat, fondateur du mouvement des Chômeurs et des Précaires, avait demandé à André Gorz de venir animer le débat à la Maison des Chômeurs de SaintOuen. Trois thèmes étaient à l’ordre du jour proposé par Maurice Pagat : 1. Constater les effets des nouvelles technologies sur l’emploi.
2. Chercher comment on pourrait maîtriser la réduction du temps de travail.
3. Débattre de l’institution du revenu social garanti.

Dès le début, André Gorz a invité la cinquantaine de participants : responsables des maisons de chômeurs, syndicalistes, militants divers (parmi lesquels des partisans de l’Économie Distributive), à « changer d’utopie », plus précisément à ne plus croire que l’économie porte en soi des vertus pouvant nous dispenser de trouver une solution de société. Tout au long de la journée, on sentira ce trait dominant de la pensée de Gorz. Il citera de nombreux faits économiques et parfois des statistiques, mais toujours pour nous aider à penser une nouvelle éthique de la société. En premier lieu, n’espérons plus que le travailleur, à l’heure où la production se démultiplie sous l’effet de technologies, puisse encore trouver l’accomplissement de sa personnalité dans le travail. Que les responsables syndicaux comprennent qu’il y a effondrement de la valeur traditionnelle du « travail », que vouloir humaniser le travail ne peut plus constituer leur grand combat.
C’est ailleurs, et grâce à une conquête du temps libre que les hommes pourront réellement s’accomplir et donner le meilleur d’euxmêmes dans des activités non rémunérées de nature artistique, culturelle, militante, relationnelle, etc... Aux incrédules, Gorz rappelle que le travail. au sens traditionnel du terme, est en train d’être balayé par la technique : selon une estimation faite aux États-Unis, 5% seulement des possibilités techniques qui seront réunies à la fin du siècle. sont actuellement exploitées. Si nous ne réagissons pas, nous allons à la catastrophe. Nous avons commencé à glisser sur une pente dangereuse. A terme, on ne trouvera plus guère que 25% de travailleurs bénéficiant d’un statut et 25  %d’autres dans une situation précaire occupant des postes périphériques. Il restera 50% de chômeurs et de gars à la recherche des petits boulots et de travaux occasionnels. Les syndicats seraient bien avisés de s’occuper de cette majorité de demain et non plus seulement des gens qui ont une situation de travailleurs.
Maurice Pagat a apporté quelques témoignages assez bouleversants. Selon lui, la situation des chômeurs se dégrade partout, sauf peut-être au Danemark, même si une centaine de maisons de chômeurs fonctionnent en Grande-Bretagne, si un début d’organisation apparaît en Espagne et si des actions se développent ici et là. Il y a des suicides de chômeurs que les médias veulent ignorer. L’égoïsme du monde actuel est effrayant.
Et le revenu social, qu’en est-il dans ce débat ? Gorz amène ses interlocuteurs à en concevoir la nécessité dès l’instant que la technique réduit sans cesse la masse des salaires. Dans les usines robotisées, nous dit-il, le coût salarial n’est plus compris qu’entre 5 et 10%. Autant dire que si l’on ne veut pas que la misère s’étende sur les populations et que les rouages économiques tombent en panne, il faut bien accorder à ces populations la contrepartie du pouvoir d’achat que les entreprises modernisées cessent de distribuer. Cette logique élémentaire a conduit les Pays-Bas à garantir à ses concitoyens démunis des ressources mensuelles d’environ 2900F. Une misère, certes ! Mais c’est déjà moins scandaleux que la situation de « fin de droits » des chômeurs français. Le principe du minimum social garanti qui est actuellement examiné avec intérêt par les deux grands partis politiques allemands, amènera-t-il des résultats un peu plus marquants ?
Et le Parti Socialiste en France se décidera-t-il à traiter le même thème avec un minimum d’audace ? Pour l’instant, c’est encore l’expectative, mais une évolution, si tardive soit-elle, paraît inéluctable, l’appellation du « minimum social  » pouvant être délaissée au bénéfice d’autres formules comme « l’impôt négatif », ou bien encore « !e deuxième chèque », c’est une sorte de caisse de compensation : on applique une taxe à la vente sur les produits dont les coûts baissent grâce aux techniques de pointe : téléviseurs, montres, etc... Ces ressources permettent au Trésor, sans créer de nouveaux moyens monétaires, de distribuer le « deuxième chèque » pour compenser les insuffisances du premier chèque versé par les entreprises aux travailleurs.
Que peuvent penser de tout cela les partisans d’une économie distributive telle que Jacques Duboin l’a définie ? Que tout cela les laisse sur leur soif, que c’est un scandale de faire du revenu social une simple aumône à l’intention des exclus du système marchand, alors qu’il devrait, sous forme d’une monnaie non thésaurisable, nous ouvrir la voie d’une société libre et opulente tendant vers l’égalité économique.
Ou bien, tout au contraire, qu’enfin le mouvement est en train de se déclencher ; que, même si les injections de pouvoir d’achat et les « nouvelles donnes » —si insuffisantes soient-elles- risquent de faire hoqueter une économie marchande assez malade, tout vaut mieux que la sclérose des idées et des comportements dont nous avons jusqu’à présent souffert ?
Débat à suivre... En attendant, André Gorz fidèle à lui-même, s’en tient à sa pédagogie. Il évite la discussion sur la nécessité d’une monnaie non thésaurisable dans l’économie de demain, alors que, pour l’instant, les auditeurs ont déjà tendance à se demander s’ils n’ont pas devant eux un rêveur (« Pensez donc : oser dire que le travail humain est en train de disparaître ! »). Cependant, il met clairement tout le monde en garde : la perspective du minimum garanti qui se profile en Allemagne ou ailleurs, ce n’est pas cela qui va régler notre problème de société...


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