Appel aux confrères : Lettre ouverte au Président du Conseil de l’Ordre des Médecins
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Publication : janvier 2004
Mise en ligne : 10 novembre 2006
Objet : Accès aux soins des bénéficiaires de l’AME( Aide médicale de l’État)
Cher confrère,
Vous trouverez ci-contre copie de la lettre que le Collectif des Médecins Généralistes pour l’Accès aux Soins adresse ce jour au Président du Conseil de l’Ordre.
Nous sommes bien conscients qu’en cette période de l’année particulièrement, la charge de travail de chacun est importante, mais nous aimerions attirer votre attention sur l’importance, pour des médecins assurant le premier recours aux soins des patients, de cette problématique.
Nous espérons que vous nous apporterez votre soutien au service de ces patients, et aiderez à répercuter cet appel auprès de vos confrères.
Confraternellement,
Monsieur le Président et cher confrère,
Le Parlement discute actuellement, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2003, d’une loi visant à restreindre de façon drastique l’accès aux soins des bénéficiaires de l’Aide Médicale Etat (AME), qui font partie des personnes les plus démunies résidant sur le territoire national. Pour rappel, l’article 49 portant réforme de l’AME contient trois mesures :
• 1. la suppression du dispositif de « l’admission immédiate » à l’AME, qui équivaut à écarter des soins tous ceux qui seront rejetés par les nouvelles conditions draconiennes d’accès à l’AME et/ou à retarder les soins et ainsi à aggraver les pathologies tout en alourdissant leur coût in fine ;
• 2. l’exigence d’une présence ininterrompue en France de 3 mois avant de pouvoir demander l’AME ;
• 3. la limitation des soins médicaux pris en charge en urgence aux seules situations qui mettent en jeu le pronostic vital immédiat, et ce uniquement à l’hôpital.
Ces textes, s’ils devaient être adoptés, mettraient les médecins en contradiction avec les articles 2, 7 et 47 du Code de déontologie qui stipulent :
• (article 2) : « Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. »
• (article 7) : « Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. »
• (article 47) : « Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. »
Si cette loi était votée, nous, médecins, nous trouverions confrontés à une population médicalement fragile, trop pauvre pour payer les soins et dans l’impossibilité de pratiquer les examens complémentaires nécessaires et d’acheter les médicaments prescrits.
Il n’est pas acceptable pour nous, médecins, de trier nos patients en deux catégories, ceux qu’il serait licite de soigner en employant toutes les possibilités de la médecine actuelle et ceux qui n’auraient pas accès aux soins.
Nous, médecins, conformément aux engagements que nous avons pris en prêtant le serment d’Hippocrate et conformément au code de déontologie médicale, ne pouvons accepter cette situation.
Vous avez été, Monsieur le Président, Rapporteur du dossier Précarité devant le Conseil National de l’Ordre. Vous savez comme nous qu’en termes de santé publique, refuser les soins à des personnes démunies, ou rendre cet accès aux soins plus difficile, c’est courir le risque de laisser se disséminer des maladies, notamment infectieuses.
Humainement, c’est une obscénité. Médicalement, c’est une aberration. Dans un récent interview au Quotidien du Médecin (17/12/2003), vous faites part de votre volonté de « regarder de près les dispositions qui encadreront la réforme, quand elle sera définitivement adoptée, quitte à réagir si des amendements ne fournissent pas toutes les garanties nécessaires. » Nous ne pouvons nous satisfaire de cet attentisme et vous conjurons, en tant que garant de la déontologie médicale, de dénoncer ces mesures à venir et de faire connaître dès maintenant votre opposition à ce texte.
Déjà, avec la loi de finances rectificative pour 2002, adoptée l’année dernière, le principe avait été acquis d’introduire un ticket modérateur à la charge des bénéficiaires. Au prétexte de les “responsabiliser”, ces personnes, souvent étrangers en situation irrégulière, se voyaient de fait exclus des soins. Quelle attitude l’Ordre des Médecins a-t-il adopté devant cette situation ?
Nous ne comprendrions pas que l’Ordre des Médecins puisse continuer à se taire sur ces graves atteintes à la déontologie qui relèvent totalement de ses attributions.
Restant à votre disposition, nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président et cher confrère, l’assurance de notre respect confraternel.