Au banc des accusés


par  M. DIEUDONNÉ
Publication : janvier 1968
Mise en ligne : 22 octobre 2006

Le divorce entre le progrès technique et le profit est, de très loin, le fait dominant de notre économie présente. En refusant systématiquement de le prendre en considération, en prenant vaille que vaille la défense du profit pourtant condamné par l’automatisme et :’abondance, les économistes se condamnent eux-mêmes à la médiocrité. C’est le cas de M. René Sédillot qui défend le profit dans un article paru dans le « Sud-Ouest » du 29 octobre dernier. D’emblée, nous allons le prendre en flagrant délit d’erreur dans l’alinéa reproduit ci-dessous :

« Pourquoi faut-il qu’en France le mot sonne mal ? Tout le monde, aujourd’hui, tombe d’accord sur la nécessité du profit. L’idée n’a plus d’adversaire nulle part. Mais le vocable demeure discrédité. Cet opprobe lui vient-il de l’étymologie ? Nullement : le latin « profectus » ne veut rien dire d’autre que « tiré de ». Le profit, c’est ce qui est tiré d’une bonne gestion. »

Où diable avez-vous vu tirer un profit d’une bonne gestion, Monsieur le docteur ès sciences économiques ? Le profit, c’est de l’argent, et l’argent ne peut être tiré que de l’endroit où il se trouve, c’est-à-dire de la poche d’autrui, de son portefeuille ou de son compte courant et non d’une bonne gestion, conception abstraite qui ne peut contenir d’argent.

Cette mise au point faite, écoutons notre ami formuler une seconde erreur :

- « Ce sont les écrivains, les philosophes, les beaux penseurs qui ont commencé à donner au mot un sens péjoratif : « Le profit de l’un est le dommage de l’autre », a écrit Montaigne. Mais l’auteur des « Essais » se trompait »...

Comme on le sait, le profit rémunère l’effort, le travail, le service rendu, mais attention !... il rémunère généreusement les uns, parcimonieusement les autres...

Les uns, tels les financiers et les hommes d’affaires, tirent sans grand effort de gros profits de la poche des autres - au détriment de ces derniers !...

D’autres, tels les paysans et les salariés, peinent durant toute leur vie pour recevoir le petit profit que d’aucuns sortent de leurs poches avec parcimonie, au désavantage des premiers !...

D’autres encore, tels les arsenalistes et les militaires, tirent leur profit de la caisse de l’Etat en préparant la guerre - au grand dommage des contribuables du monde entier qui paient et les armes et la préparation de leur propre supplice !... etc.

Comme on le voit, le profit des uns est bien le dommage des autres, dans la majorité des cas. Ce n’est donc pas l’auteur des « Essais » qui se trompait, mais c’est vous, Monsieur l’expert économique et financier, qui’ vous trompez, d’où la pauvreté de votre exposé... En voici la conclusion, stupéfiante de désinvolture et d’inconscience :

« Au point où nous en sommes, et compte tenu de nos habitudes de langage, il est sans doute vain de prétendre réhabiliter un mot tenu en mésestime. Mieux vaut sauver la chose et l’idée, en abandonnant le terme à son nouveau sort. Le problème est de trouver un mot nouveau, qui remplace « profit » sans encourir sa disgrâce. Est-ce impossible ? La langue française dispose de bien des ressources. Jusqu’à nouvel ordre, le mot « marge », au singulier ou au pluriel, ne semble pas suspect. Qu’un industriel, un commerçant dise crûment : « Je veux augmenter mon profit », et il sera vilipendé. S’il dit : « Il me faut reconstituer mes marges », il sera compris et approuvé. A bas le profit ! Vivent les marges ! »

« Profit » est un vocable qui exprime parfaitement la réalité, étymologiquement et effectivement. Pourquoi donc le remplacer par le terme « marge », qui ne présente pas la même clarté ?

- Parce qu’on lui donne un sens péjoratif !...

- C’est la réalité qui est « péjorative », Monsieur Sédillot !... Ne chercheriez-vous pas à la travestir en l’affublant d’un terme obscur ?

De plus, les verbes « augmenter » et « reconstituer » n’ont pas du tout la même signification, et vous le savez fort bien, Monsieur le latiniste !... Il n’y a pas de doute possible, vous trompez sciemment les gens, vous leur masquez délibérément la réalité, comme le montrent vos propos mêmes : en augmentant son profit, le commerçant sera vilipendé, mais en reconstituant ses marges, il sera compris et approuvé !... Pour qu’il soit compris et approuvé, et non vilipendé, il faut rendre incompréhensible ce qui est compréhensible, il faut obscurcir dans l’esprit des gens la clarté relative de l’économie du profit, il faut travestir la réalité par un langage sophistiqué...

Nous ne nourrissons pas de sentiments particulièrement hostiles envers M. Sédillot. Nous avons choisi son article pour analyser les arguments des économistes défenseurs du profit, parce qu’il exprime franchement et sans ambiguïté sa détermination de tromper les gens. Mais tous ses congénères, qu’ils s’appellent Alfred Sauvy, Jean Fourastié, Michel Debré, Jean-Marcel Jeanneney, Jacques Rueff, Michel Drancourt, etc... manifestent la même détermination de cacher la réalité défavorable au profit sous un langage fallacieux ou obscur.

Dans ce langage, abondance devient surproduction - Profit : marge - Lutte contre l’abondance : assainissement des marchés - Crise économique : récession - Persistance de la crise : la prospérité est pour demain - Echec de la politique économique du gouvernement : le redressement économique s’impose - Malthusianisme économique : adaptation de la production aux besoins de la consommation - Mévente conjoncture maussade - Travail inutile : occasions d’emplois - Détérioration du territoire : aménagement des loisirs, etc.

Nos maquilleurs cachent aussi la réalité économique défavorable au profit en gardant un silence prudent. Donnons un seul exemple : Jacques Duboin ayant découvert les lois de l’évolution économique propulsée par le progrès technique, ils mentent par omission depuis plus de trente ans en étendant le manteau du silence sur ces découvertes.

- Pourquoi donc ?

- Pour cacher aux yeux de tous l’évolution économique qui débouche, comble de l’horreur !... sur la mort de leur cher profit ! ...

L’économie politique devrait être une science et les économistes des savants. Mais la première qualité morale d’un vrai savant est de dire la vérité, d’exprimer clairement la réalité qu’il observe. Un vrai savant n’a pas de préjugé, il décrit objectivement tous les aspects de la réalité, même quand ils sont contraires à ses propres opinions, qu’il modifie en conséquence.

Messieurs les truqueurs, vous ne manifestez pas une seule de ces qualités. Vous êtes obnubilés par le préjugé que le profit restera éternel et que l’économie du profit est la seule possible. Vous êtes des partisans butés. Vous êtes de faux savants et votre économie politique tronquée, amputée, déformée est une « science » qui n’évolue pas, contrairement à toutes les autres sciences., Elle est une « science » stagnante en marge de l’économie en évolution accélérée. Elle est une. fausse science, inutile et nuisible.


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