Au fil des jours


par  J.-P. MON
Mise en ligne : 31 août 2008

 Le mythe de la dette publique

Le traditionnel débat d’orientation des finances publiques a eu lieu le 15 juillet à l’Assemblée et au Sénat. On y a débattu, comme à l’accoutumée, des grandes orientations de la loi de finances pour 2009, de l’évolution des finances de l’État pour les trois prochaines années et des 30.000 à 32.000 suppression d’emplois prévues l’an prochain dans la fonction publique d’État. Nos braves parlementaires n’ont pas manqué de se désespérer sur « l’alourdissement de la dette publique » qui atteint 63,9 % du PIB (soit 47.000 euros par actif occupé comme ne manquent pas de nous le rappeler les journaux). Pour assombrir un peu plus le tableau, le ministre du budget, Eric Woerth, a annoncé que les moins-values fiscales seraient de 3 à 5 milliards d’euros en 2008 et que la charge de la dette (c’est à dire les intérêts que paient les contribuables français) augmenterait désormais de 1,5 à 2,5 milliards de plus par an. Il faudra donc « être extrêmement vigilant sur la dépense », a-t-il précisé. Le PS n’est pas en reste pour le catastrophisme. Son député du Lot et Garonne, Jérôme Cahuzac, tout en dénonçant comme il se doit l’inconséquence et les cadeaux fiscaux du gouvernement [1], enfonce le clou : « La situation des finances publiques est très dégradée. À part la Grèce, la France est le plus mauvais élève de l’Europe […] Les jeunes générations en feront les frais : elles devront payer la facture du sarcozysme en remboursant sa dette… ». Bref, ils sont tous, désespérément, aussi financièrement orthodoxes les uns que les autres. Si on regarde les indicateurs économiques internationaux Le Monde/Eurostat, régulièrement publiés dans Le Monde Économie, on constate [2] pourtant qu’en 2007, le rapport Dette publique/PIB est égal à 64,2 % pour la France alors qu’il est de 65 % pour l’Allemagne, 84,9 % pour la Belgique, 94,5 % pour la Grèce, 66 % pour la Hongrie, 104 % pour l’Italie et que sa valeur moyenne pour les 13 pays de la zone euro est 66,4 %. Il est de l’ordre de 62,2 % pour les États-Unis et de 180 % pour le Japon ! On voit donc que la situation française n’a rien de catastrophique. Son montant, toujours en 2007, est de 1.209,5 milliards d’euros [3]. Quant aux calculs de la dette par individu (rapport Pébereau [4], par exemple) ou par bébé en train de naître (Raffarin [5]), ils n’ont pour seul but que de laisser croire qu’un État et un ménage gèrent leur budget de la même façon. Il n’en est rien, bien évidemment. Comme le montrent Bruno Tinel et Franck Van de Velde [6], les règles élémentaires de la comptabilité ne doivent pas uniquement tenir compte du passif : « Si l’État doit de l’argent à ses créanciers, il produit aussi des richesses durables. Par exemple, les infrastructures des administrations publiques[…] Certes, le nouveau-né français hérite d’une dette publique, mais il hérite aussi d’actifs publics : routes, écoles, maternités, équipements sportifs… Évoquer l’une sans évoquer les autres est peu rigoureux » [7]. « Ainsi en 2006 (derniers chiffres connus), les actifs financiers (les créances) et non financiers (essentiellement les infrastructures) des administrations excèdent largement leur passif financier (les dettes) ; la valeur nette de leur patrimoine est de 676,6 milliards d’euros, soit l’équivalent du tiers du PIB. Autrement dit, au total, chaque berceau reçoit en héritage 11.000 euros de patrimoine public ! » [6]. Alors la dette publique ? —C’est, en fait, une redistribution à rebours venant de tous les contribuables, y compris les plus modestes, au bénéfice des détenteurs de la dette publique, c’est à dire des plus fortunés qui ont placé leur épargne sur les marchés financiers, notamment sous forme de bons du Trésor.

 Retour de balancier ?

On se souvient qu’il y a quelques mois, après avoir longtemps hésité, le gouvernement britannique s’était décidé à nationaliser la Northern Bank au bord de la faillite. Mais cette nationalisation ne pouvait être que provisoire, disaient les autorités financières, car cela serait un exemple désastreux pour le renom de la City. Il semble maintenant que les États-Unis soient en train de s’engager dans la même voie. Après avoir déjà sauvé plusieurs banques dont la Bears Stearns, le Trésor américain et la Réserve fédérale sont venus au secours de deux “géants” du refinancement du crédit, Fredie Mae et Fannie Mac dont les actions en Bourse avaient chuté respectivement de 47 et 45 % au cours de la deuxième semaine de juillet. Ces deux établissements détiennent, ou garantissent, à eux deux quelque 5.300 milliards de dollars (soit 45 % de l’encourt actuel) des prêts immobiliers. Leur faillite aurait des conséquences “incommensurables” pour l’ensemble du système bancaire. C’est pourquoi le Trésor américain vient de leur allouer un crédit supplémentaire (pour une somme qui n’a pas été indiquée) et va demander au Congrès l’autorisation de pouvoir acheter « provisoirement » leurs actions, afin que les deux groupes puissent disposer « d’un capital suffisant pour remplir leur mission ». Ces diverses interventions de la Fed et du Trésor américain, qui se montent à 130 milliards de dollars, ont rouvert un débat aux États-Unis sur une réévaluation du rôle de l’État dans l’économie.

Jan Hatzius, économiste en chef de la grande Banque d’affaires Goldman Sachs, laissait même entendre qu’une nationalisation en dernier recours n’aurait rien d’effrayant !

En Europe, où la situation n’est guère plus brillante, certains experts envisagent un changement de modèle qui pourrait faire passer d’une « économie de surendettement à un système favorisant la montée en puissance d’investisseurs échappant à la contrainte de la rentabilité immédiate » [8].

Ça serait déjà un progrès !


[1Le Monde, 15/07/2008.

[2Le Monde Économie, 10 juin 2008.

[3INSEE, Les comptes de la Nation, tableau 3.341, 2007.

[4Rapport de la commission sur la dette publique au ministère de l’économie, 14/12/2005.

[5Entretien à France 2, 26 septembre 2002.

[6Le Monde diplomatique, Juillet 2008.

[7J. Creel et H. Sterdyniak, Faut-il réduire la dette publique ? Lettre de l’Observatoire français des conjonctures économiques, n° 271, 2006.

[8Le Monde, 22/07/2008.


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