Au fil des jours


par  H. MULLER
Publication : juin 1985
Mise en ligne : 11 mars 2009

La « carte à mémoire » en URSS ? Les difficultés n’ont pas manqué pour entraver l’essor de la carte « à puce » dont la carrière balbutiante avait débuté il y a quelques années. Enfin, les trois coups viennent d’être donnés. Les banques se disent satisfaites mais le commerce risque de traîner les pieds car il va bien falloir faire passer dans les prix l’amortissement de coûteux terminaux. L’URSS ne devrait pas connaitre ce genre de problème. Ayant déjà fait la moitié du chemin en direction d’un socialisme communautaire à monnaie de consommation, avec la déprivatisation de ses moyens de distribution et d’échanges, il lui est loisible de s’épargner la mise en place de terminaux, ceux-ci étant remplacés par un « lecteur » très simplifié se bornant à positionner le crédit porté sur la carte. Salariés, les gérants de distribution se voient munis d’une carte de paiement analogue à celle de leur clientèle pour régler leurs propres achats. Chaque gérant étant assuré de son revenu n’a pas besoin, ici, de transférer à son crédit le débit enregistré sur les cartes de sa clientèle. Cessant de circuler au delà de l’achat, la monnaie sur carte, devenue fongible, n’est plus que le véhicule d’un avoir sur compte approvisionné par des ouvertures de crédits notifiées à tout adulte. Il s’agit de revenus gagés par l’ensemble de la production destinée aux consommateurs, revenus indépendants des aléas propres à chaque entreprise, des avatars de l’existence, de la durée du travail.
L’URSS, sa révolution communiste avortée, a enfanté le capitalisme d’Etat, économie de profit et de plein emploi, planifiée, centralisée, agressant les idéologies libérales mais pareillement vulnérable aux pléthores présentes ou latentes. Que n’a-telle pas découvert les vertus des thèses d’Edward Bellamy, celles d’un système à monnaie de consommation ? L’adoptant, elle prendrait rapidement le leadership mondial dans tous les domaines à la fois recherche, développement tous azimuts, loisirs, culture, formation, ses entreprises, ses combinats libérés des sujétions financières et l’Etat, du souci d’entretenir la circulation de sa monnaie.

La « Silicon Valley ». Les livraisons de micro-ordinateurs à l’Union Soviétique vont sauver la mise aux entreprises californiennes. Le discours reaganien anti- soviétique  ? Du cinéma pour la galerie. Le business, c’est « Vodka-Cola  », les grandes embrassades.

26 milliards de dollars « pour les études de faisabilité de la guerre des étoiles ». Au Pentagone, on a vraiment de l’argent à perdre, à moins qu’il s’agisse seulement de transférer l’argent public au bénéfice des bureaux d’études privés. Quant aux contribuables qui se laissent ainsi plumer, victimes du mythe de l’agression soviétique, ils se révèlent toujours aussi tartes.

Excédents et besoins. Sucre : stocks pléthoriques. Lait : un fleuve en crue. Oléagineux : surproduction. Céréales  : une récolte record. Oeufs : 40 millions d’unités en excédent chaque semaine. Beurre : les frigos débordent. Viande : les cours s’effondrent. L’office achète à tour de bras. Du vin plein les cuves : on distille. A Bruxelles, on sort les longs couteaux, les producteurs jurant d’en découdre avec les envahisseurs grecs, espagnols et portugais. Ne parlons ni de l’acier, ni du pétrole, ni du charbon, ni du cuivre, ni des voitures, ni du prêt-à-porter, ni du gigantesque effort publicitaire ciblant une clientèle évanescente, rebutée par les prix. Faute d’acheteurs, l’Etat doit se porter acquéreur de centaines de milliers de micro-ordinateurs que l’on s’ingénie à placer un peu partout, gratuitement. Bref : une caverne d’Ali Baba dont les richesses narguent la multitude des malchanceux, un pied de nez à trois millions de chômeurs dont visiblement la production n’a que faire. Si les syndicats n’ont pas encore pris conscience de l’inanité de leurs revendications visant l’emploi, de l’inéluctabilité d’une révolution économique, d’un nécessaire changement de la règle du jeu consistant à dissocier les revenus de la durée, de la permanence de l’emploi grâce à l’usage d’une monnaie de consommation, alors force est de conclure à la sclérose de leurs instances dirigeantes repliées sur un passé mort. Dans l’une de ses formulations inimitables, J. Duboin notait qu’il serait plus facile de faire absorber les surplus de production par les chômeurs que de faire absorber les chômeurs par une production qui n’a plus besoin d’eux. Pour cela, il faut envoyer sur la touche les doctrinaires du libéralisme, du capitalisme d’Etat, du communisme, du social- capitalisme, de l’autogestion, des socialismes à enseigne, les réformistes impénitents, pour laisser place aux utopistes d’hier, à un socialisme communautaire à monnaie de consommation, distributif de l’abondance.
Le socialisme en quenouille. Après un démarrage spectaculaire, la politique sociale du Pouvoir est venue buter sur les réalités financières et celui-ci a dû prendre ses distances avec l’idéologie socialiste, faute d’avoir appris à s’en libérer. Du côté des communistes, c’est le même vide doctrinal. Là aussi, on cherche à surmonter la crise, à créer des emplois, à soutenir prix et profits en combattant l’abondance. On claque la porte aux innovateurs- qualifiés, a priori, d’utopistes.
Ainsi se creuse un fossé entre le peuple et un pouvoir incapable de le satisfaire. Ainsi se constitue au fil des jours et des déceptions une réserve d’électeurs en attente de quelque chose d’autre, victimes du profit, de la fiscalité, du chômage, de l’endettement, de la malchance, d’un environnement hostile, des gaspillages, des mille nuisances d’un progrès dévoyé par le gain, par le commerce de l’argent.
En face de la « solution libérale », il n’y a plus rien hormis la voie d’une révolution économique et monétaire. Le socialisme s’en est allé en quenouille. Même en Chine, le profit a commencé à renaitre et à l’Est les pénuries restent nombreuses. Personne, hormis Edward Bellamy, ce Jules Verne de l’économie dont le message a été étouffé depuis un siècle, n’a imaginé d’associer la socialisation des moyens de production et d’échanges à un système à monnaie de consommation. Système sans prix ni monnaie de Marx, capitalisme d’Etat de Lénine, monnaie à cases de Gesell, tous ont tourné le dos à la solution de bon sens, universelle. Il faut remonter aux Incas pour en trouver la première expérience soulignée par de gigantesques travaux et l’accumulation d’incroyables richesses sans recours à l’esclavage. Le « quibu » des Incas peut, dès demain, se retrouver dans la carte de paiement à mémoire, forme de monnaie de consommation pareillement fongible qu’il appartient à un groupe de pression de placer sur le bon rail en obtenant, dans un premier temps, la suppression dans les terminaux de la fonction de transfert de débit à crédit. La suite ? A chacun de l’imaginer. De quoi enflammer l’ardeur des chercheurs !


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